Titre : The Conjuring : The Devil Made Me Do It
Réalisateur : Michael Chaves
Année : 2021
Avec : Vera Farmiga, Patrick Wilson
Synopsis : Dans cette affaire issue de leurs dossiers secrets – l'une des plus spectaculaires – , Ed et Lorrain commencent par se battre pour protéger l'âme d'un petit garçon, puis basculent dans un monde radicalement inconnu. Ce sera la première fois dans l'histoire des États-Unis qu'un homme soupçonné de meurtre plaide la possession démoniaque comme ligne de défense.
Il y a plein de bonnes raisons d'aller voir le troisième Conjuring au cinéma. Déjà, on avait bien rigolé pendant les deux premiers, qui, malgré leur classicisme, dépoussiéraient le genre avec efficacité. Et puis on a été privé de cinéma pendant un moment. Et puis il fait chaud, merde, alors allons nous planquer à l'ombre. Oui, mais c'est un traquenard de la pire espèce, n'y allez pas, ne cédez pas. Il y a plein d'autres films à voir en salle, même dans le genre horrifique : Méandre est bien plus intéressant et si vous voulez du crétin, Peninsula vous arrachera des ricanements neuneus auxquels cette troisième aventure des époux Warren n'oserait même pas prétendre.
Reprenons vaguement dans l'ordre : James Wan, artisan génial capable de transformer le pire purin (Fast & Furious) en quelque chose de regardable (le régressif Fast & Furious 7) offre à quelques années d'écart deux succès publics et artistiques au cinéma d'horreur : Insidious et Conjuring. Le bonhomme sait filmer et divertir tout en faisant exploser le trouillomètre et en caressant ses fans dans le sens du poil avec un amour du genre évident. Le succès de Conjuring amène la mise en chantier d'une pelletée de spin-offs (qui vont du catastrophique au tout simplement mauvais) pour finalement, avec ce troisième film, suivre la même trajectoire que les Insidious : un deuxième film très rigolo et, dès que James Wan lâche les commandes, ça se vautre.
La réalisation de Conjuring : The Devil Made Me Do It est confiée à Michael Chavez, pourtant coupable de The Curse of the Llorona, et le pauvre homme n'a strictement aucune imagination et bien peu de choses à nous montrer. Le film accumule les clichés rassis à un rythme soporifique et rien ne nous est épargné. De la énième scène d'exorcisme poussif qui n'arrivera jamais à la cheville de vous-savez-quel-film (c'est fou, en bientôt 50 ans, y'en a encore qui n'ont pas compris que la puissance du film de Friedkin ne se reproduit pas en diluant bêtement ses effets choc) à la sorcière tout de noir vêtue au visage austère qui marmonne des machins au milieu de ses pentacles et ses bougies, on se les cogne tous. Le tout saupoudré de jumpscares aussi épuisants et prévisibles qu'une mauvaise private-joke qu'un ami lourdingue vous ressort depuis 10 ans.
Que Conjuring 3 ne soit pas inventif, on peut l'accepter : les précédents étaient plus efficaces qu'originaux. On a déjà plus de mal avec sa bondieuserie indigeste. Le problème n'est pas la foi des personnages, mais c'est cette absence total de recul ou de questionnement vis à vis de ce qu'on nous raconte : on nous balance à la gueule un "inspiré de faits réels" et on nous baragouine sans aucune finesse des trucs sur Dieu et le Diable avec le plus grand sérieux, sans jamais réfléchir un instant sur tout cela. C'est d'autant plus regrettable que le rôle des époux Warren dans la véritable affaire Arne Johnson est bien plus trouble, aux antipodes du couple vertueux et noble qu'on nous présente ici, et coller un peu plus aux "faits réels" aurait permis un film bien plus riche et nuancé... Conjuring 3 se passe peut-être en 1981, mais on est 2021, là. Les notions de mal, de foi, le jeu sur le réel, ça serait bien de les développer un peu (merde, revoyez Friedkin), et à part notre Christine Boutin nationale, on voit mal qui frissonnerait devant un truc aussi ringard.
Mais ça aussi on peut le pardonner à Conjuring : après tout, le fantastique repose sur des superstitions et, quand c'est bien fichu, on peut accepter que ça ne soit pas plus creusé que ça, surtout que les époux Warren étaient très croyants. On excuserait même au film son scénario qui n'arrive pas à choisir entre l'horreur, le thriller et un film de procès qui, étonnamment, aurait pu être plus intéressant. On a plus de mal avec une incohérence taille mammouth sur le fonctionnement même de la malédiction au milieu du film, mais passons.
Non, ce qui rend Conjuring 3 totalement inexcusable, au-delà de sa bêtise et son absence d'idée, c'est son ennui mortel. Mais qu'est ce qu'on s'emmerde ! Au pire, on espérait ricaner un peu face à une bestiole boiteuse qui cavale dans un couloir, un truc grotesque rigolo, mais non, même ça, on n'y aura pas droit. Les scènes d'épouvante se comptent sur les doigts de la main et sont mises en scène n'importe comment (on secoue la caméra dans le noir, on balance le faisceau de la lampe-torche à la gueule du spectateur, aucun plan ne dure plus de deux secondes, on met du bruit très fort). Y sont régurgités les clichés qui faisaient déjà soupirer dans les pires DTV des années 2010 (les yeux blancs cerclés de noir, les contorsions, etc). Masochiste et légèrement scatophile, le spectateur courageux reste cependant : il se dit que dans sa dernière partie, le film lâchera un peu la bride et qu'on devrait rigoler (on n'espère plus aucun frisson depuis longtemps). Mais non. Quand le film atteint sa conclusion, il le fait non seulement en nous faisant avaler de force un semi-remorque de niaiseries mais, en plus, malgré l'impression d'y avoir passé six heures au moins, on est surpris par une fin si soudaine. Il faut dire que l'histoire avait si peu avancé, il s'était tellement rien passé, qu'on était sûr de n'en être qu'à la moitié et qu'on croyait encore, naïvement, que la fin nous tirerait de notre torpeur.
Conjuring 3 est une purge. Vera Farmiga et Patrick Wilson ont toute notre sympathie, les pauvres, mais voilà bien un navet de la pire espèce : sans idée ni aucune autre ambition que de ramasser le maximum de thunes, jouant les cadors de l'horreur mais en étant aussi aseptisé et timide qu'un épisode de Supernatural, le film n'est rien de plus qu'un produit ringard et cynique fait sans conviction ni talent. La cerise sur le pompon qui fait déborder le vase, c'est qu'un truc aussi con se prenne autant au sérieux. La vie est trop courte pour la gâcher avec un tel foutage de gueule.