[Cinéma] November : des groseilles pour le diable

[Cinéma] November : des groseilles pour le diable

Pierre Sopor 4 décembre 2019

Titre : November
Réalisateurs : Rainer Sarnet
Année : 2017
Avec : Rea Lest, Jörgen Liik, Arvo Kukumägi, Dieter Laser
Synopsis : Dans un pauvre village Estonien, un groupe de paysans utilise la magie et des rituels populaires pour survivre à l'hiver et une jeune femme de rendre amoureux d'elle un jeune homme.

Il est très difficile de parler de November, film Estonien (ils sont rares) dont le magnifique noir et blanc, l'imagerie païenne et l'atmosphère fantastique laissent imaginer une oeuvre gothique, étrange et angoissante, quelque part entre David Lynch et le cinéma expressionniste, ou l'improbable rencontre de The Witch de Robert Eggers et Chat Noir Chat Blanc d'Emir Kusturica. Il y a un peu de ça dans November, dont les licences poétiques assumées par le réalisateur, qui jongle avec un budget rikiki, contribuent à créer une ambiance mystérieuse, parfois hermétique. Ce que l'on n'imagine pas, par contre, c'est que November est aussi un film très drôle.

Remontons un peu le fil du temps : avant le film, il y a un roman. Les Groseilles de Novembre du génial Andrus Kivirähk, récit à la fois satirique, fantastique et onirique particulièrement drôle dans lequel des villageois se lancent dans les combines les plus improbables pour survivre à leurs malheurs (le froid, la pauvreté, la Peste, etc.). Se déroulant à une époque où l'envahisseur Allemand a apporté aux Estoniens le christianisme, les villageois sont partagés entre leur croyance en ce nouveau Dieu et leurs anciennes pratiques païennes. Ainsi, après la messe, ils vont par exemple vendre leur âme au Diable, qui attend sagement dans les bois, pour pouvoir créer un Kraat, ou Kratt, sorte de démon fait de bric et de broc, qui les aidera à piquer les vaches du voisin. 

En raison de son atmosphère irréelle et contemplative, November ne provoque pas les mêmes francs éclats de rire que le livre, qui n'hésite pas à alterner entre la farce hilarante et la noirceur totale (les maladies y sont des vraies personnes qui "attrapent" leurs proies, sachez donc que la tuberculose déteste l'odeur de l'alcool et que le meilleur moyen de ne pas se faire prendre est donc d'être constamment bourré). Il reste cependant un film par moments très drôle, grâce notamment à ses acteurs aux gueules marquantes. L'image, par contre, met en avant le romantisme de l'oeuvre d'origine et sa poésie en proposant plusieurs tableaux superbes, comme ce moment où les morts tout de blanc vêtus traversent les bois gelés.

Il se peut que November vous perde si vous n'avez pas lu le livre. Ouvertement fantastique, le film doit cependant faire l'impasse sur certaines choses plus explicites et spectaculaires à l'écrit, rendant certains moments opaques pour le spectateur non-averti. Ces histoires de poulets, de peste et de loup, par exemple, peuvent ne pas sembler très claires. Mais là où l'on perd en clarté, on gagne en atmosphère et en mystère, faisant de November une superbe adaptation qui, tout en étant fidèle à l'esprit d'origine, réussit à proposer une vision différente et complémentaire. Le film est sorti il y a bientôt trois ans en Estonie et a eu droit à quelques projections en festival, mais il reste à espérer qu'une distribution française digne de ce nom, sous une forme ou une autre, finisse par voir le jour. November est un très beau film qui le mériterait amplement.