Titre : The House (Skinamarink)
Genre : Horreur analogique
Réalisateur : Kyle Edward Ball
Année : 2022
Pays : Canada
Avec : Lucas Paul, Dali Rose Tetreault, Ross Paul
Synopsis : Deux enfants se réveillent au milieu de la nuit pour découvrir que leur père a disparu et que toutes les fenêtres et les portes de leur maison ont disparu.
Depuis quelques années, Kyle Edward Ball crée de courtes vidéos horrifiques sur sa chaine YouTube, Bitesized Nightmares, des cauchemars à l'esthétique souvent rétro qui jouent sur l'étrangeté, l'inquiétude et le mystère plus que les effets de manche. Une approche qui penche ouvertement vers l'expérimental quand Ball opte pour une narration cryptique propre au domaine onirique et une mise en scène minimaliste où le spectateur est invité à imaginer à peu près tout à partir de presque rien : un lieu, une ombre, un son... De "l'analog horror", ou horreur analogique, très en vogue sur internet, du lo-fi avec de gros parasites, où la technologie du passé suffit parfois à créer des ambiances flippante et explorer de nouvelles manières de faire naître la peur, héritant des creepypasta, du found-footage, de Ring et même de David Lynch pour essayer de nouvelles manières de faire peur avec peu de moyens.
Skinamarink, renommé en France The House pour faire original (la comptine Skidamarink ou Skinnamarink n'est pas une référence évidente pour le public francophone), est son premier long-métrage et la chose a rencontré un petit succès en festivals et a même eu droit aux honneurs d'une sortie en salles aux Etats-Unis, rapportant quasiment vingt fois son budget initial (15.000 dollars, une bouchée de pain). Si personne n'a souhaité le distribuer dans les salles françaises, le film sera disponible sur la plateforme française de "screaming" Shadowz dès fin juillet. Projeté en avant-première, le film était présenté comme une "expérience à vivre en salles".
Et au début, on y croit. On veut se perdre dans cet enchaînement de plans fixes, filmés souvent à hauteur d'enfants : on se met à scruter dans les épaisses ténèbres pleine d'un bruit émulant une qualité d'image VHS ou des débuts du numérique, on guette en vain une ombre, un mouvement. Les personnages ne sont jamais montrés mais uniquement suggérés par une voix par-ci, une paire de petits pieds par-là. Deux enfants, visiblement seuls. Ou pas. L'un d'eux s'est blessé et est revenu. La temporalité est fracassée, comme dans un rêve. Il fait nuit, la télé cathodique passe des vieux dessins animés en boucle à la musique entêtante. Le parti pris est radical : narration quasi inexistante, pas de personnages, grande majorité de plans fixes dans lesquels rien ne se passe directement sous nos yeux, éclairage bleuté des écrans comme unique lumière... Skinamarink est bel et bien un exercice de style.
On peut alors saluer la démarche et sa radicalité à laquelle Ball se tient du début à la fin : il faudra alors se contenter des rares phrases entendues de temps en temps pour coller les morceaux et comprendre un peu ce qu'il se passe hors-champs. Le procédé est intéressant et honnête, différenciant immédiatement Skinamarink d'autres projets fauchés et minimalistes qui reposent sur un concept simple pour générer un petit buzz et filouter les spectateurs, remplissant le tiroir-caisse facilement sans avoir grand chose à proposer (Paranormal Activity et compagnie, c'est de vous qu'on parle). L'entreprise est honnête et il y a fort à parier que le réalisateur est le premier surpris du petit phénomène qu'est devenu son film dont des séquences ont fuité sur internet, générant alors anticipation et mystère.
Sauf qu'une idée radicale et un concept développé sur une heure et demi ne donnent pas forcément un bon film. Une succession de plans fixes de nuit sur des coins de meuble ou des couloirs vides et quelques phrases prononcées occasionnellement par une voix inquiétante ne suffisent pas à maintenir un public captivé. Skinamarink échoue à maintenir son atmosphère sur la durée : non seulement le film est trop long mais quand la composante horrifique devient (relativement) plus explicite le film se perd dans des travers pénibles (parmi les plans fixes viennent se greffer de longs plans entièrement noirs qui étirent inutilement le film).
On repense alors aux mots prononcés lors de la présentation du film : "une expérience à vivre au cinéma". Si l'on comprend le potentiel immersif d'une salle plongée dans l'obscurité, eh bien, pour une fois, non : Skinamarink n'est peut-être pas un film à vivre en salles. Le meilleur moyen de rendre hommage à ses expérimentations est peut-être de l'utiliser pour ce qu'il est : un film d'ambiance que l'on pourrait diffuser en boucle comme accompagnement d'une soirée à thème, d'une exposition ou juste pour créer une atmosphère, comme on passe de la musique en fond. Parce qu'à suivre avec attention, la traversée en est aussi pénible que laborieuse. On repense alors au budget anémique du film : 15.000 dollars pour filmer des couloirs à peine éclairés dans sa maison d'enfance, sans acteurs ni décors particulièrement développés, ni rien de plus que quelques légos, des toilettes et une vieille télé ? Eh bien, finalement, elle cogne fort, cette fameuse inflation !
Skinamarink aurait pu ne durer qu'un gros quart d'heures. On apprécie tout à fait l'intégrité et la singularité de la démarche ainsi que le potentiel de certaines idées (la fenêtre qui disparait, le téléphone comme unique lien avec l'extérieur qui se transforme en jouet)... Mais hélas, ce cauchemar ne peut pas fonctionner comme objet filmique "classique". Quand les lumières de la salle se rallument, quelques rires étouffés et de rares applaudissements timides expriment alors la gêne ressentie : on ne sait pas trop quoi penser de ce truc, si ce n'est qu'on s'y ennuie sacrément quand on comprend, après quelques minutes, que ça va être "comme ça" tout le long mais le film dégage une aura suffisamment intrigante pour que l'on soit resté jusqu'à la fin.