Titre : The Moth Diaries
Genre : Fantastique
Réalisatrice : Mary Harron
Scénario : Mary Harron, d'après le roman Le Journal des papillons de Rachel Klein
Année : 2011
Pays : Canada
Avec : Sarah Bolger, Lily Cole, Sarah Gadon, Scott Speedman
Bande originale : Lesley Barber
Synopsis : Rebecca, lycéenne de seize ans, se remet peu à peu du suicide de son père deux ans plus tôt. L'environnement protecteur du pensionnat de jeunes filles où elle est entrée l'a aidée pour cela, et surtout sa relation avec sa meilleure amie Lucy, au milieu d'un petit groupe de lycéennes désinvoltes. Les choses prennent toutefois une tournure inquiétante à la rentrée, lorsque Rebecca et Lucy font la connaissance d'une nouvelle condisciple, une étrange Européenne nommée Ernessa Bloch, qui met aussitôt mal à l'aise Rebecca mais devient en revanche extrêmement proche de Lucy. Rongée par la jalousie, Rebecca bascule bientôt dans la peur des phénomènes effrayants qu'elle voit se produire autour d'Ernessa... Mais pourquoi personne ne veut-il la croire ? Et est-ce son imagination échauffée par la lecture de Carmilla, ou Lucy commence-t-elle à dépérir depuis qu'elle fréquente Ernessa ?
The Moth Diaries est un film qui a beaucoup pour nous intéresser. Du sang, du huis-clos, de la paranoïa : que demander de plus ? Et si le film est adapté du roman Le Journal des papillons de Rachel Klein, il ne cache pas ses inspirations en amont en citant abondamment Carmilla (lire notre présentation de son auteur Joseph Sheridan Le Fanu) et dans une moindre mesure Dracula. Du point de vue de l'héroïne Rebecca, l'état apathique dans lequel sombre son amie Lucy sous une emprise qu'elle s'obstine à nier ne peut que rappeler son homonyme de Dracula et plus encore Laura dans le chef d'œuvre de Le Fanu. L'assimilation du vampire à un papillon (de nuit, bien sûr) a aussi le mérite de nous changer des traditionnelles chauve-souris -on se rappelle d'ailleurs que Carmilla, quant à elle, apparaissait à Laura sous la forme d'un énorme chat, évidemment noir... The Moth Diaries a donc beaucoup pour nous aguicher, et l'on note que sa réalisatrice n'est pas une inconnue : il s'agit de Mary Harron, surtout connue pour avoir réalisé American Psycho.
On est forcément tenté au début de ne voir dans The Moth Diaries qu'un Carmilla transposé dans le décor de Lost and Delirious mais le film est à vrai dire plus intéressant que cela, parce qu'il est triangulaire : on voit tout non à travers les yeux de la proie, mais à travers ceux de son amie. Le résultat en est très différent, car le sujet n'est plus le mélange du désir et de la peur, la séduction de l'emprise et de la dépression, mais l'ombre de la folie qui plane sans cesse au-dessus de Rebecca : dans l'état mental où l'a mise le fait de voir sa meilleure amie s'éloigner d'elle alors qu'elle s'y était tant raccrochée après la mort de son père, comment savoir si Ernessa est réellement un vampire ou si c'est la jalousie qui la fait sombrer dans le délire ? On a bien du mal à différencier les hallucinations de la réalité dans ses interactions avec Ernessa tant celle-ci se comporte étrangement. Cette combinaison entre rivalité de l'héroïne avec ce qui lui paraît être une version plus aboutie d'elle-même (dans son rapport au deuil, dans sa relation avec Lucy et jusque dans son talent au piano) et visions terrifiantes rappelle quelque peu Black Swan de Darren Aronofsky, sorti l'année précédente, à ceci près qu'ici, la menace se fait plus palpable, car surviennent autour de Rebecca des morts qui n'ont rien d'imaginaires...
Ajoutons à cela que l'effroi qui s'empare de Rebecca prend place dans un environnement joliment développé, grâce au développement des autres lycéennes autour d'elles ; la peur s'inscrit dans le cadre de leurs expériences d'adolescentes. On remarque également le rôle inquiétant du professeur de lettres, qui apparaît comme un allié à Rebecca mais frise rapidement le #metoo... Rebecca elle-même a l'immense mérite d'être un personnage développé, et la chose n'est pas si fréquente s'agissant de l'héroïne d'un film fantastique : loin d'être une victime passive, elle est active et intelligente, cherche à comprendre et à ne pas se laisser emporter, consciente de son état mental ; on s'attache à elle avec ses qualités et ses défauts, d'autant qu'elle est très bien incarnée par l'actrice irlandaise Sarah Bolger. Tout cela participe à rendre l'histoire crédible.
Et pourtant, malgré toutes ces qualités, difficile au visionnage de se départir de l'impression qu'il manque quelque chose. C'est que si le fond est excellent, on ne peut pas en dire autant de la forme. On est un peu gênés à la marge, tout de même, par le fait que deux des actrices principales (Lily Cole, Sarah Gadon) aient visiblement passé la vingtaine, même si le physique atypique de Lily Cole est du meilleur effet pour jouer Ernessa. Mais surtout, le film manque cruellement de partis-pris esthétiques forts : le décor est traité d'une manière purement fonctionnelle, sans devenir un élément à part entière de l'épouvante et du charme comme c'est habituellement le cas dans la littérature gothique, la bande originale et la photographie ne suscitent rien de particulier, et la mise en scène reste somme toute assez plate, de sorte que les visions de Rebecca sont beaucoup moins impressionnantes que celles d'une Nina dans Black Swan. Pour cette raison, The Moth Diaries manque d'intensité : l'histoire est bonne, mais ne provoque pas des émotions aussi fortes qu'elle le devrait.
On est tentés de comparer The Moth Diaries à l'excellente adaptation de Carmilla par Emily Harris (chronique) : les deux films ont en commun non seulement leur inspiration mais aussi la subjectivité du surnaturel et le fait d'établir un triangle entre les personnages, Miss Fontaine jouant comme Rebecca le rôle du personnage autour de la proie qui prétend la protéger malgré elle, dans une relation de rivalité avec la vampire présumée, à ceci près que c'est de son point de vue que le film est ici réalisé. La comparaison est intéressante mais tourne hélas en défaveur de The Moth Diaries : le film d'Emily Harris est non seulement bien meilleur sur la forme, avec des moyens pourtant faibles, mais surtout parvient à faire passer des idées fortes par son esthétique, au-delà de ce qui est directement exprimé par l'histoire.
The Moth Diaries ne mérite pourtant pas l'accueil glacial que lui a fait la critique. Si l'on veut bien prendre la peine de passer outre les défauts de sa réalisation trop sage, on a là une belle œuvre gothique, où la psychologie du personnage principal est au cœur de l'histoire, où le surnaturel répond terriblement bien à ses craintes et à ses désirs secrets, et qui exprime tout à la fois le bien et le mal que peuvent faire les relations amicales et amoureuses, spécialement à des personnages jeunes ; le film nous fait sympathiser fortement avec son héroïne, marchant sur le fil entre sentiment d'être incomprise alors qu'elle est la seule à voir le danger et peur d'être réellement en train de perdre la tête. Ce sont bien sûr là des qualités que le film hérite du roman de Rachel Klein mais Mary Harron a le mérite d'y avoir été fidèle, alors qu'il aurait été facile de noyer la psychologie sous l'hémoglobine et la cyprine pour obtenir un film plus spectaculaire mais beaucoup moins intéressant. S'il ne faut pas s'attendre à un film parfait, on recommande donc The Moth Diaries à qui cherche un film vampirique doué de subtilité et fidèle à la tradition gothique.