Titre : The Sadness (titre original : Ku bei)
Genre : Horreur
Réalisateur : Rob Jabbaz
Année : 2021
Pays : Taiwan
Avec : Berant Zhu, Regina Lei, Tzu-Chiang Wang, Ying-Ru Chen.
Synopsis: Après un an de lutte contre une pandémie aux symptômes relativement bénins, une nation frustrée baisse enfin la garde. C'est à ce moment que le virus mute spontanément, donnant lieu à une peste psychotrope.
Présenté l'année dernière en festival, The Sadness s'est vite retrouvé avec la réputation d'un film sulfureux, fou, particulièrement extrême et cradingue qui apporterait au film de zombies un souffle moderne sous fond de pandémie... La réalisation de Rob Jabbaz a eu droit à une petite sortie en salles en France cet été avant son édition vidéo. Alors, buzz médiatique exagéré né en festival (on pense à The Raid de Gareth Evans, autre péloche d'Asie du Sud-Est réalisé par un occidental étiquetté "film intense" un tantinet surestimé...) ou réel choc ? Rien que poser la question, suffit à y répondre.
Un film fait pour faire parler de lui peut-il avoir des arguments intéressants à faire valoir ? Eh bien, parfois, oui. Mais pas là. The Sadness commence comme un projet au cynisme et à l'opportunisme digne d'Hollywood ou d'une comédie avec Dany Boon : des producteurs chargent un réalisateur canadien de pondre en un temps record un film sur la pandémie de COVID-19, histoire de surfer sur le thème du moment. Jabbaz décide de pousser à fond les curseurs du gore et de la méchanceté : une épidémie rend la population sadique et agressive à l'extrême et les gens s'entretuent frénétiquement dans les rues. L'intro nous place dans un contexte bien actuel de défiance envers les médias et les annonces d'un gouvernement (auquel on reproche de prendre des décisions pour préserver l'économie avant tout, tiens, tiens, le refrain était donc international !), et de doute sur la gravité réelle de l'épidémie ("oh ce n'est qu'un petit rhume, je ne vais pas aller à l’hôpital, de toute façon ils sont débordés" déclare un personnage en début du film).
Ce n'est pas pour ses références à notre quotidien depuis plus de deux ans et son absence de commentaire ou d'analyse plus poussée que nous allons voir The Sadness, mais bien pour les trucs dégueulasses. Et The Sadness est effectivement un film cra-cra et méchant qui essaye, en nous jetant des litres d'hémoglobine au visage, de provoquer une forme de malaise. Voire d'effrayer avec sa population devenue dingue. Hélas, on déchante bien vite : tout cela est raté et vide d'une quelconque ambition au-delà de chercher à choquer. Encore aurait-il fallu y aller franchement...
"C'est de la violence gratuite" : vous avez déjà entendu cette phrase, prononcée comme une critique. D'habitude, personne ne se plaint quand c'est gratuit ! Et encore, il faudrait définir ce que ce "gratuit" signifie et expliquer en quoi de la violence gratuite serait plus condamnable dans le cadre d'une création que, au hasard, de l'humour gratuit ou du drame gratuit. Un des nombreux problèmes de The Sadness vient de la représentation de cette violence : hormis une minuscule poignée de scènes, les passages gores se contentent d'asperger de sang et d'entrailles les corps, sans montrer directement les mutilations, les blessures, bref, le spectacle. Si l'on met de côté une tête qui explose, une assez amusante attaque de femme âgée à la trogne splendide et un parapluie dans l’œil, tout se passe hors-champ. Un comble pour un film prétendument mal élevé, qui jette un voile pudique sur l'argument principal autour duquel il est construit. Il faut alors se farcir des tunnels de menaces proférées par les personnages ("je vais te couper la bite en rondelle", tiens, on aurait bien aimé voir ça !), et The Sadness rappelle vite ce petit chien qui aboie plus qu'il ne mord, mais qui se vautre quand même avec complaisance dans ses idées les plus déviantes sans réellement les montrer ni les suggérer intelligemment (le viol d'un orbite crevé, des bébés infectés jetés à la poubelle...).
Le gore peut être drôle, comme l'ont prouvé les années 80 en général et Sam Raimi et Peter Jackson en particulier avant de devenir des titans d'Hollywood. Le gore peut mettre mal à l'aise et révulser avec une représentation réaliste... Le gore peut même devenir poétique, comme le montrait Lucio Fulci avec des scènes particulièrement repoussantes dans des films à l'histoire confuse et aux acteurs à l'ouest mais qui avaient pour eux une grâce et une élégance irréelle unique. The Sadness n'a rien de tout ça, la faute à une mise en scène brouillonne faite de scènes trop découpées pour être intelligibles. Jabbaz souhaitait une approche réaliste pour être plus effrayant et raye ainsi du scénario un passage où un infecté défèque sur le cerveau exposé de sa victime, au crane ouvert. "Trop amusant". Mince, on aurait aimé voir ça, aussi ! A quoi bon se prétendre "extrême" quand on ne cherche même pas à approcher les niveaux d'outrance de films vieux de trente ans, comme Ebola Syndrome ou Braindead ?
Le vrai problème de The Sadness n'est évidemment pas d'opter pour le plus grand sérieux. Ce n'est pas non plus ses maladresses d’exécution technique, ni son scénario vide de toute substance et son histoire d'amour bidon dont on se fiche pas mal. Ce qui pose problème dans The Sadness, c'est le cynisme de l'entreprise dès la mise en chantier du film et qui transparaît dans la paresse du propos. Le réalisateur se défend en disant qu'il s'agit d'un film sur la méchanceté... difficile de s'en satisfaire quand aucun infecté ne peut résister à ses pulsions, à moins que le propos soit un simple et fainéant "tous des pourris" ? Tout cela n'est finalement qu'un projet servant à nous balancer des scènes interchangeables de sadisme sans folie, sans intérêt et dont l'accumulation routinière provoque rapidement chez le spectateur une accoutumance et un ennui pénible.
Pour nous marquer, il aurait fallu qu'on en ait quelque chose à fiche. Il aurait fallu que ce qui est montré soit plus frappant ce que ce que l'on peut voir désormais dans la première série Amazon Prime grand public venue (l'excellente The Boys est finalement bien plus turbulente !). Il aurait fallu autre chose que cette heure et demi laborieuse qui s’abrite derrière une subversion de façade finalement très puérile et sans inspiration pour masquer sa vacuité et son absence totale d'ambition scénaristique ou esthétique, d'idée, de propos ou même de talent. The Sadness n'est pas effrayant, ni drôle, ni dérangeant, ni particulièrement choquant : The Sadness est dégueulasse, et c'est tout. Pire : ce qui est dégueulasse dans The Sadness, c'est sa malhonnêteté plus que ce qui y est montré, sa tendance à se reposer avec facilité sur ce qu'il y a de plus sale en nous (les personnages passent le film à ricaner en répétant qu'ils vont violer, violer... et encore violer) au point de rendre le pire banal et sans intérêt. The Sadness est à l'horreur ce qu'un pet est à la comédie ou ce qu'une mère perdant un enfant est au drame : un argument d'autorité paresseux et la prétention d'atteindre des sommets sous prétexte qu'on se repose sur le pire, tout de suite, mais sans chercher à creuser, étoffer, développer ou donner une substance. Passez votre chemin, on mérite mieux qu'être pris pour des neuneus qui se satisferaient de cette purge bâclée.