Titre : Vij ou le Diable (Viy)
Réalisateurs : Konstantin Ershov, Georgiy Kropachyov
Année : 1967
Avec : Leonid Kuravlyov, Natalya Varley, Aleksey Glazyrin
Synopsis : Trois jeunes séminaristes quittent leur monastère pour partir en vacances. La nuit, ils se font héberger par une fermière qui se révèle être une sorcière. Khoma l’empoigne et la laisse pour morte, après qu’elle se soit transformée en jolie jeune fille. Sous la pression de la famille, le recteur oblige Khoma à passer trois nuits auprès de la défunte afin de prier pour son âme. Il va vivre trois nuits d’épouvante jusqu’à l’apparition de VIY, le démon et maître des Gnomes…
Considéré comme l'unique film d'épouvante soviétique (entre 1922 et 1991, donc), Vij ou le Diable proposait en 1967 une adaptation gothique d'une nouvelle de Gogol. Récemment réédité en blu-ray par Artus Films, l’œuvre méritait bien d'être (re)découverte.
Sans réellement se hisser au niveau des maîtres du genre (Mario Bava, qui déjà s'inspirait de la même nouvelle quand il réalisait Le Masque du Démon, Terence Fisher, Roger Corman...), principalement en raison d'une histoire très sommaire, Vij offre néanmoins quelques plans sublimes, entre envolées oniriques et cauchemars gothiques qui justifient à eux seuls le visionnage. La production du film a été compliquée, et si l'histoire n'a pas retenu le nom des deux réalisateurs, c'est peut-être parce qu'ils ont été officieusement remplacé par le génial Alexandre Ptouchko (le "Walt Disney russe") à qui l'on doit les effets spéciaux du film et son atmosphère visuelle, poétique et irréelle.
Mais avant d'arriver à la spectaculaire dernière partie du film, où l'on pense aussi bien à Nosferatu qu'au mythe d'Orphée et Eurydice, on peut aussi en apprécier l'atmosphère bien particulière. Gogol oblige, le ton y est comique et satirique, et le regard porté sur les religieux n'est pas tendre : les questions spirituelles n'ont que peu d'intérêt pour les séminaristes / philosophes, qui passent leur temps à picoler et se goinfrer. Cette vision du christianisme orthodoxe très terrestre contraste forcément avec les austères (et bien trop glabres) hommes de Dieu catholiques que l'on retrouve généralement quand il s'agit de combattre le Malin dans les productions occidentales. Faut-il voir dans ce personnage principal trouillard, ne pensant qu'à fumer sa pipe et boire un coup, une manifestation de l'anti-cléricalisme de rigueur chez les soviétiques ? Ce point de vue impitoyable permet de nuancer le combat entre le séminariste et la sorcière : parler ici d'affrontement entre le Bien et le Mal semble finalement peu pertinent, Khoma méritant bien ce qui lui arrive !
Si l'on apprécie cette ambiance dépaysante, l'humour inattendu, les magnifiques scènes fantastiques et l’omniprésence du mystère et du Diable (chèvres et chats noirs sont de la partie et le chant du coq annonce la fin des angoisses nocturnes), on peut cependant reprocher à Vij de n'effleurer que superficiellement un folklore russe que l'on aurait adoré voir plus développé (bien que les créatures qui y figurent auraient été été inventées de toutes pièces par Gogol d'après certaines sources). Le recul de l'époque aidant, on peut aussi noter que l'adaptation ne prend pas franchement de recul avec les aspects moins reluisants du travail du Gogol, antisémite et misogyne notoire : dans Vij, où il faut souligner qu'aucun personnage n'est franchement reluisant, "toutes les femmes sont des sorcières". Avec plus d'ambition, le film aurait peut-être pu s'affranchir du cadre de la nouvelle en l'étoffant quelque peu, mais la volonté de la Mosfilm, société produisant le film, était de respecter le matériau d'origine.
Vij ou le Diable n'en est pas moins un film souvent magnifique, facétieux et amusant, jusqu'à sa conclusion que l'on peut voir comme pessimiste mais aussi comme une forme de justice assez jouissive. Amateurs de couleurs flamboyantes, de sorcières volant dans la nuit et de squelettes boiteux, vous ne serez pas déçus.