Du 9 octobre 2019 au 19 janvier 2020, à la Cinémathèque de Paris.
Infos et billets : https://www.cinematheque.fr/cycle/vampires-527.html
La Cinémathèque est connue pour voir les choses en grand et proposer des expositions mémorables : les files d'attente des expos sur Stanley Kubrick ou Tim Burton hantent peut-être encore les cauchemars de certains. Alors quand il est question d'aborder les vampires de manière transmédia (cinéma, littérature, peinture, photographie), on ne pouvait décemment pas louper le rendez-vous.
Imaginez le tableau : c'est par un long couloir chichement éclairé, sous des voûtes gothiques (en carton, certes) créées pour l'occasion que l'on entre dans l'exposition. Au mur, discrètement, une citation, la plus célèbre du Dracula de Bram Stoker, vous savez, un truc sur les enfants de la nuit et leur musique. Ambiance. La Cinémathèque a d'ailleurs pris le temps de soigner l'atmosphère : l'éclairage est tamisé et l'inquiétante partition composée par Wojcieh Kilar pour le film de Coppola résonne fréquemment un peu partout.
Les vampires y sont décortiqués sous plusieurs angles, de leurs origines à l'époque moderne qui les inclue dans un quotidien parfois trivial et comique (si vous n'avez pas vu What We Do in the Shadows, film comme série, il serait temps de s'y mettre). On y parle donc romantisme et politique (peut-être la partie la plus intéressante, car cet aspect est rarement abordé), on y croise un vinyle de Bela Lugosi's Dead, mythique premier single de BAUHAUS, ainsi que la sublime robe rouge portée par Gary Oldman. Certaines œuvres sont magnifiques (la vitrine créée par le chef décorateur du Nosferatu de Herzog, pleine de rats morts, de cranes, de pieux et autres sympathiques babioles, est à couper le souffle). Le visiteur averti pourra par exemple s'amuser à comparer les couvertures des différentes éditions de Dracula et constater comme, à partir des années 60, les traits du sinistre Comte s'anoblissent et sa posture se fait plus séduisante qu'effrayante : les films de Terence Fisher et l'interprétation de Christopher Lee sont passés par là !
On y trouve des photos, des textes et des peintures, mais les extraits de film ne sont pas en reste. La sélection est variée et éclectique, souvent pertinente. Ainsi, en arrivant, un montage de scènes issues de différents films permet de comparer des passage emblématiques inspirés de Dracula et de Carmilla, vus par différentes réalisateurs. La Cinémathèque remplit son rôle pédagogique en mentionnant également quelques œuvres moins évidentes, comme lorsqu'elle propose un film de vampires Nigérian entre des extraits de Thirst de Park Chan-Wook et du chef d'oeuvre hypnotique de Jim Jarmusch Only Lovers Left Alive.
S'il est impossible d'être absolument exhaustif sur le sujet, on peut néanmoins s'étonner de ne pas voir Morse de Tomas Alfredson plus mis en avant (dans la famille des "vampires sordides et réalistes", on vous recommande d'ailleurs le récent et très poisseux Transfiguration de Michael O'Shea). La partie sur les vampires du monde aurait peut-être gagné à être plus étoffée, tant son côté anthropologique était prometteur : pas de Zinda Laash (Dracula au Pakistan), dernier film d'horreur produit par le Pakistan avant que la censure ne frappe, dont les chorégraphies et scènes à suspenses supportées par La Cucaracha aurait bien mérité sa place ! La rétrospective proposée en marge de l'exposition rattrape cependant ces lacunes (qui n'en sont pas vraiment, encore une fois, des choix -pertinents- ont dû être faits) en proposant une sélection variée de projections, allant du plus classique au plus déviant (Spermula, Blackula, ou le ridicule Un Vampire à Brooklyn de Wes Craven avec Eddie Murphy dans le rôle d'un suceur de sang).
L'exposition prend du temps. Elle est riche et complète et y passer une heure et demi est un strict minimum pour l'apprécier. Mais la scénographie, bien pensée, rend la chose agréable : si par chance vous pouvez y aller en dehors des heures de pointe, vous vous retrouverez donc à errer dans ces pièces sombre, passant d'un portrait de Bela Lugosi à une ombre de Nosferatu au mur. Visez la fin d'après-midi, ressortir alors que la nuit est tombée vous permettra de rester encore dans l'ambiance quelques instants. On s'y sent bien et on en sort avec l'envie de (re)voir tous ces films, des Vampires de Carpenter à ceux, plus romantiques, sortis d'un romans d'Anne Rice. Le sujet est fascinant et méritait une exposition si complète, dont le principal défaut est d'être bien trop passionnante : on aurait aimé que la chose s'étire encore et encore. C'est désormais à nous de creuser pour approfondir tout ça !