[Jeu vidéo] Silent Hill : (re)plongez dans vingts-cinq ans d'horreur psychologique

[Jeu vidéo] Silent Hill : (re)plongez dans vingts-cinq ans d'horreur psychologique

Julien 17 avril 2025

Attention, cet article contient des spoilers potentiels sur différents jeux de la franchise Silent Hill.

La sortie récente du remake de Silent Hill 2 et la venue prochaine de Silent Hill f sont une occasion parfaite pour se replonger dans les premières itérations d'une série vieille de vingt-cinq ans. Pour ceux qui ne savent pas de quoi il s'agit, Silent Hill est une licence de jeux vidéo de survival horror dont le premier opus est sorti en 1999 et qui compte à ce jour huit épisodes principaux et de nombreux produits dérivés, dont deux films.

Si la série a souvent été comparée à Resident Evil, les deux licences sont pourtant très différentes dans leur approche de l'horreur et ne partagent finalement que cette qualification "horrifique". Là où Resident Evil et ses zombies tendent vers la série B, mettant en avant des personnages caricaturaux dans des situations absurdes où le gore et le sensationnel sont légion, la série Silent Hill mise quant à elle sur l'horreur psychologique et le malaise constant. 

Mis à part le troisième jeu qui est une suite directe du premier, tous les épisodes sont indépendants et reliés uniquement par le fait qu'ils se déroulent dans la ville fictive américaine de Silent Hill ou dans ses environs. On suit généralement les aventures d'un protagoniste dont on ne sait rien et dont on va découvrir peu à peu des portions de vie. Ces éléments, souvent révélés par flashbacks ou prises de conscience, nous servent à mieux comprendre pourquoi et comment il s'est retrouvé à arpenter les rues de la ville brumeuse. Il y a cependant des éléments liés à l'histoire de la ville (notamment à un culte qui s'y déroule) qui constituent un lore commun, encore que chaque jeu apporte sa pierre à l'édifice de façon plus ou moins prononcée.

Une ville dans le brouillard

La ville de Silent Hill est enveloppée d’un épais brouillard permanent, parfois accentué par des cendres tombant du ciel comme s’il y avait un incendie constant en arrière-plan. Conçu à la base pour contrer les limitations techniques des consoles de l’époque, principalement en ce qui concerne les distances d’affichage réduites, ce brouillard est vite devenu une des caractéristiques majeures de son identité et lui confère une atmosphère mélancolique et onirique. Traverser cette cité abandonnée nappée d’un voile blanc donne l’impression d'évoluer dans un rêve ; un rêve qui bascule très vite dans le cauchemar lorsque l’on entre dans l'Autre monde, la facette sombre de la ville où tout est remplacé par des structures métalliques, des grillages et des barbelés. Ce monde alternatif transforme ce qui était déjà sinistre en quelque chose de totalement infernal. La transition qui s’opère pendant le passage entre les différents plans est accompagnée de sirènes d’alarme qui renforcent le sentiment d’oppression et d’urgence.

Ce qu'il faut comprendre en jouant à Silent Hill c'est que la ville sert à la fois de théâtre pour les évènements qui s'y déroulent mais est surtout un lieu emprisonnant les personnages face à eux-même et n'est qu'un reflet de leur psyché, souvent torturée. D'un point de vue métaphorique, la bourgade pourrait faire office de Purgatoire, une zone au-delà des dimensions dans laquelle le personnage joué par le joueur est confronté à ses propres démons (littéralement). Ainsi, d’un jeu à l’autre, et même si l’on parcourt parfois les mêmes rues, la disposition des bâtiments change, ce qui appuie le fait que la ville s’adapte en fonction de qui s’y trouve. La progression d’une rue à l’autre est souvent impossible directement et il faudra s’aider de divers indices pour continuer sa progression. De plus, des pans entiers de routes sont parfois arrachés et il semble impossible de s’échapper de la ville ; une fois encore, le parallèle est fait avec l’esprit humain et le fait qu’on puisse se sentir prisonnier de ses propres pensées ou être impuissant face à ses blocages psychologiques. Le passage de la version brumeuse de la ville à sa version dans l'Autre monde réprésente alors le basculement du protagoniste dans un état proche de la folie.

Poursuivi par ses propres démons

Jeu vidéo oblige, Silent Hill confronte le joueur à tout un bestiaire d'entités monstrueuses et propose quelques créatures parmi les plus réussies du média. Là encore, la série se démarque et propose un second niveau de lecture quant à la nature repoussante des ennemis dont l'apparence joue un rôle dans ce qu'ils représentent d'un point de vue métaphorique. Les monstres ne sont pas de simples ennemis à vaincre : ils incarnent les peurs, les traumatismes et les pulsions refoulées des personnages.

Chaque créature est conçue avec une symbolique psychologique forte, souvent dérangeante, mêlant chair déformée, gestes saccadés et apparence grotesque. Par exemple, les fameuses infirmières défigurées du second jeu reflètent la culpabilité et les désirs sexuels réprimés par James Sunderland - personnage principal dont on apprend qu'il a laissé mourir sa femme malade - tandis que Pyramid Head (sûrement l'ennemi le plus emblématique de la série) incarne le châtiment et la souffrance qu'il cherche inconsciemment à s'infliger. On retrouve quasiment les mêmes aspects chez le Bogeyman de Silent Hill: Downpour, humanoïde massif représentant la culpabilité, la peur et la punition. Ces monstres ne servent pas seulement à effrayer le joueur mais à enrichir la narration en matérialisant les angoisses profondes, créant ainsi une horreur intime et troublante propre à l’univers de la franchise.

Plus orienté action que ses prédecesseurs, Silent Hill: Homecoming offre certains des boss les plus affreux et perturbants de la série qui matérialisent les péchés et les horreurs cachées des personnages qu'on rencontre. On pense par exemple à Asphyxia, créature féminine au corps serpentiforme et composée de bras enchevêtrés qui incarne Nora Holloway, une mère ayant étouffé sa propre fille. La créature représente ainsi l’étouffement, au sens propre comme au figuré. On combat également Scarlet, poupée géante d’abord faite de porcelaine et qui se brise pour révéler une forme sanglante et rapide. Ce boss est l'incarnation d'une jeune fille assassinée par son père ; la porcelaine reflète ici son innocence brisée.

Une ambiance sonore travaillée

Difficile de parler de la série Silent Hill sans évoquer sa bande-son tant elle lui confère son ambiance si particulière et lui insuffle son atmosphère angoissante, mélancolique et profondément émotionnelle. Le tout premier opus nous accueillait sur le thème aujourd'hui culte d'Akira Yamaoka, compositeur de talent qu'on retrouve aux crédits de la plupart des jeux. Son style particulier emprunte aussi bien à l'ambient, au trip-hop ou encore au rock alternatif et, même s'il peut parfois paraître un peu en décalage avec le reste, constitue une des caractéristiques principales de l'identité de la série. Le titre Promise de Silent Hill 2 est un véritable bijou de mélancolie, sa mélodie au piano ainsi que les divers élements de sound design nous plongeant dans une atmosphère poignante entre rêve et cauchemar. Dans Silent Hill: The Room, Room of Angel pose une ambiance douce et sinistre avec son chant hanté, très marquant.

Les différents effets sonores sont aussi puissants que la musique — parfois même plus dérangeants. Outre les éléments de l'interface du joueur (inventaire, sauvegarde...) composés de bruitages assez aériens, le sound design contribue à créer une anxiété constante notamment avec les grésillement de la radio, objet phare de la série qu'on retrouve quasiment à chaque fois et qui indique la présence d'un ennemi proche. Lorsqu'on avance dans le noir et que la radio se met à siffler, l'angoisse nous cloue immédiatement sur place, surtout dans un jeu où l'on évolue avec peu d'armes à feu et où les possibilités de se défendre sont réduites au minimum.

Des thèmatiques matures

Dernier point important sur Silent Hill dont nous parlerons ici, les thématiques abordées par les jeux sont souvent très matures, bien plus que ce que l'on a l'habitude de voir en général quand il est question de jeu vidéo. La maladie mentale est évidemment un des thèmes récurrents mais la série parle également de sujets forts comme le suicide, les différentes formes d'abus à la personne, la dépression ou le deuil. Que ce soit le protagoniste ou les personnages secondaires, la série met en avant tout un panel de personnalités torturées. Dans Silent Hill 2 (ce n'est pas pour rien que cet épisode est considéré comme le meilleur tant ses personnages sont bien écrits) on fait la connaissance d'Angela Orosco qui est à la recherche de sa mère. On apprend plus tard qu'elle a été abusée sexuellement par son père dans sa jeunesse avec la complicité passive de sa mère. À la fin du jeu on l'aperçoit dans un couloir en flammes qu'elle déclare percevoir comme normal et qu'il s'agit de sa réalité ; pour elle, l'Enfer est une habitude.

Silent Hill: Homecoming nous met dans la peau d’Alex Shepherd, un soldat qui revient dans sa ville natale Shepherd’s Glen pour retrouver son jeune frère Joshua qui a disparu. Toute l’intrigue tourne autour de sa recherche, à la limite de l’obsession. On comprend lors d'un twist scénaristique qu'Alex n'a en réalité jamais été soldat et qu'il se trouve dans un hopital psychiatrique ; tout ce qui semblait être la réalité du jeu tient en fait d'une illusion mentale qu'Alex a projeté pour fuir la réalité, à savoir qu'il est en fait responsable de la mort de Joshua qu'il a noyé accidentellement. Cette fin (nous parlons de la fin "canon", étant donné que chaque jeu propose différentes fins) n'est pas sans rappeler un certain L'Échelle de Jacob, film d'horreur réalisé par Adrian Lyne dont Silent Hill s'inspire grandement pour le design de ses monstres. La boucle est bouclée !

Walter Sullivan apparait quant à lui dans Silent Hill: The Room même si on entend parler de lui dès le tout premier jeu. Il s'agit d'un tueur en série qui a commis des meurtres en tentant d'accomplir un rituel occulte. On apprend dans le jeu que Walter a été abandonné par ses parents dans un appartement vide et qu'il n'a pas connu d'amour maternel. Il fini par penser que l'appartement est "sa mère" et que s'il fini le rituel, il pourra la rencontrer. On est face à un personnage qui est à la fois victime et bourreau : abandonné et sans repère, il commet des atrocités sans en mesurer les conséquences, c'est simplement l'acte désespéré d’un enfant qui veut rentrer chez lui.

Bien plus qu'un jeu vidéo

Comme on a pu le constater, Silent Hill dépasse largement le simple cadre du jeu d’horreur. C’est une expérience introspective, une plongée dans les ténèbres de l’esprit humain. Cette capacité à faire peur de manière intime est ce qui la rend si marquante. Chaque épisode laisse une empreinte durable dans l’âme du joueur, un mélange troublant de fascination macabre et de mélancolie glacée.

Presque mise de côté pendant une décennie, la licence refait surface pour notre plus grand plaisir. Il y a bien sûr eu le remake du second jeu fin 2024 et l'annonce du nouvel opus qui se déroulera au Japon, mais aussi la sortie prochaine d'un nouveau film Return to Silent Hill (par Christophe Gans à qui on doit l'excellente première adaptation) en 2025. Il y aura donc encore beaucoup de matière pour parler de ce que toute la série a pu apporter à la pop culture et nous prévoyons déjà une seconde partie à cet article qui parlera de ses influences, ses adaptations et son héritage. La brume autour de Silent Hill n’a pas encore tout révélé. Le cauchemar continue... bientôt.