Difficile d'échapper aux vampires dans la culture contemporaine : ils sont littéralement partout, sous les formes les plus variées, pris au sérieux ou non. C'est a fortiori le cas pour nous qui aimons les musiques sombres, imprégnées depuis toujours par l'esthétique du cinéma fantastique ! Et depuis des années, si vous nous aviez demandé des conseils pour découvrir les œuvres mettant en scène le vampire, nous vous aurions sans hésité recommandé le site d'Adrien Party, vampirisme.com, auquel nous devons de splendides découvertes. C'est donc avec un immense plaisir que l'on accueille son livre Vampirologie, paru aux éditions Actu SF en 2022 !
Plusieurs études sur le vampire dans la culture ont déjà été produites mais ce que Vampirologie a de singulier, c'est l'approche résolument multimédias d'Adrien Party : il aborde l'évolution de la figure du vampire évidemment dans la littérature fantastique et la fantasy urbaine ainsi qu'au cinéma, ses supports les plus connus, mais aussi dans les bandes dessinées européennes, les comics américains, les mangas, les jeux vidéos, les jeux de rôle, les séries télévisées, la littérature de science-fiction, les romans policiers et, on y tenait, la musique ! On trouve également des chapitres consacrés à l'évolution du vampire à partir du folklore, à celle de la place des femmes dans les œuvres ou encore à son émergence comme sujet d'études universitaires. Il en résulte un livre forcément volumineux, plus de sept cent pages, "une brique" comme le dit son auteur, qui présente quantité d'œuvres tout en analysant les évolutions sur chaque support et comment ceux-ci s'influencent entre eux. Rien n'oblige à lire les chapitres dans l'ordre, on pourrait tout à fait sauter sur le chapitre qui nous intéresse sur le moment, mais lire dans l'ordre a le mérite de nous obliger à nous intéresser à des supports que l'on ne connaissait pas jusque-là, ce qui peut nous mettre l'eau à la bouche.
Une autre particularité de Vampirologie est l'hétérogénéité de forme des chapitres, qui le différencie des ouvrages universitaires sur le sujet : on y trouve de longs chapitres d'analyse dédiés à chacun des supports, suivis de tops d'œuvres recommandées, mais aussi des interviews de créateurs et de chercheurs ; en outre, certains chapitres d'analyses ne sont pas d'Adrien Party, on verra ainsi invitée la plume malicieuse de Jeanne A-Débats sur la place du vampire dans la science-fiction, "Le vampire dans le jeu de rôle" est quant à lui traité par l'auteur Robin Schulz. Ce jonglage permet une diversité de points de vue, outre qu'il évite la lassitude.
En dépit de cette hétérogénéité, on retrouve de grands axes d'un support à l'autre : la combinaison du désir et de la peur héritée des romans fondateurs (Le Vampyre de Polidori, Carmilla de Sheridan le Fanu et Dracula de Bram Stoker), incarnant une remise en cause radicale des normes de la société victorienne ; l'émergence du vampire comme lui-même héros de certaines œuvres d'abord dans les séries télévisées avec Dark Shadows puis dans la littérature via Entretien avec un Vampire d'Anne Rice, conception qui a ensuite gagné les autres supports ; la question de l'organisation de sociétés vampiriques qui est souvent clanique sous l'influence du jeu de rôle Vampire : La Mascarade (nous avions d'ailleurs chroniqué un jeu vidéo tiré de cette licence) ; la place que se sont faits les chasseurs de vampires et les dhampires, les demi-vampires ; l'éventuel "coming-out" des vampires dans la société que l'on trouve dans Anita Blake de Laurell K. Hamilton puis dans La Communauté du sud de Charlaine Harris, cette dernière ayant été adaptée par la série télé True Blood ; l'émergence de thèmes post-apocalyptique ; la façon de traiter l'héritage de Dracula, adapté sur tous les supports... A contrario, dans le chapitre sur les mangas, Adrien Party montre ce que la production japonaise a de singulière, en particulier l'absence de manichéisme, et comment le vampirisme s'est implanté dans une culture très différente de celles de l'Europe et de l'Amérique du nord.
La question de savoir si les vampires ont perdu de leur mordant au fil du temps revient à plusieurs reprises. Adrien Party a alors le mérite d'aborder l'œuvre qui en est la plus emblématique, évidemment Twilight de Stephanie Meyer, en allant au-delà de la critique facile pour chercher pourquoi, malgré tout, cette saga a eu du succès, l'interview de l'autrice Sophie Dabat se pose également la question du féminisme revendiqué par Stephanie Meyer malgré le poids du conservatisme dans son œuvre. À rebours de cette tendance, Vampirologie insiste sur l'originalité et l'impact de Buffy sur les différents supports ainsi que sur l'empuissancement féminin qu'il représente, et présente des créations dans la démarche exactement inverse de rendre la violence et la sexualité plus explicites qu'elles ne l'étaient au XIXème siècle, le livre comprend d'ailleurs une interview de Morgane Caussarieu, l'autrice de Dans les veines.
Notons enfin que le chapitre sur la musique est particulièrement réussi -la thèse d'Estelle Valls de Gommis Le Vampire, enquête autour d'un mythe était restée un peu frustrante pour nous sur ce point, n'ayant abordé que le metal dans les musiques sombres, malgré son intérêt notamment sur les différents folklores, que Adrien Party expose beaucoup moins. Ici, au contraire, l'approche embrasse une large palette de genres musicaux, qui ne se cantonnent d'ailleurs pas aux musiques sombres : Adrien Party évoque des morceaux de folk, de rap ou même de reggae en plus de plonger pour notre plus grand plaisir au pays de BAUHAUS et autres BATHORY... Ce n'est évidemment pas exhaustif, on recommanderait bien à l'auteur le fantastique album Lust For Blood de VELVET ACID CHRIST (chroniqué en des temps immémoriaux dans ces colonnes) mais c'est un très bel aperçu et on a forcément appris des choses.
Livre d'un spécialiste dont l'érudition nous réserve au bas mot des années de découvertes, Vampirologie se distingue donc par son approche extrêmement ouverte : Adrien Party s'est intéressé à tous les supports possibles, et au sein de ceux-ci, à des genres différents, cherchant à comprendre aussi bien le hip-hop vampirique que la batcave, la bit-lit que le fantastique ou le splatterpunk. On le recommande vigoureusement à quiconque souhaite une vision large du sujet ! Tant qu'on y est, pour se focaliser sur deux auteurs abordés par l'ouvrage et qui sont particulièrement chers à l'auteur de ces lignes, on vous invite également à lire notre article sur le vampire chez Tanith Lee ainsi que notre portrait de Joseph Sheridan Le Fanu. Et on vous laisse avec une petite sélection de morceaux sur le thème !