Titre : Maniac par Junji Itō : Anthologie macabre
Créateurs : Shinobu Tagashira, Kaoru Sawada
Année : 2023
Synopsis : Un florilège des récits les plus étranges, les plus dérangeants et les plus terrifiants sortis tout droit de l'esprit du génie du manga d'horreur Junji Itō.
Avec la sortie en janvier 2023 de Maniac par Junji Itō : Anthologie Macabre, Netflix s'attaque à un gros morceau de la production culturelle japonaise. La série d'animation est en effet une adaptation des œuvres de Junji Itō, réputé pour être le maître du manga d'horreur. La perspective est alléchante car les mangas de l'auteur ouvrent force perspectives traumatisantes, construits avant tout par le souci de l'image dérangeante mettant en scène les peurs irrationnelles, surgissant souvent sans explication et qui ont pourtant leur propre logique, à la fois grotesques et terrifiantes ; il n'est pas rare non plus qu'on y rencontre des récits construits autour de la psychologie des personnages, parfois même sans intervention du surnaturel. Si l'on ajoute à cela le soin du détail graphique de Junji Itō, on devine qu'une adaptation en animé peut être impressionnante.
Le mangaka a donc cédé à la chaîne américaine les droits de vingt histoires, adaptées par la réalisatrice japonaise Shinobu Tagashira et le scénariste Kaoru Sawada. Le résultat en est une série de douze épisodes d'une vingtaines de minutes chacun dont la plupart contiennent deux histoires ; néanmoins, Tomié : les photographies, Les ballons aux pendus et Les mystérieux enfants Hikizuri ont droit à un épisode entier chacun. Le tout est déconseillé aux moins de seize ans.
La série animée s'avère pourtant beaucoup moins immersive que le manga, et par-là moins choquante. Nos yeux butent rapidement sur l'animation en raison de la rigidité dans les mouvements des personnages, donnant l'impression qu'elle a été faite avec peu de moyens. Le trait ne restitue pas non plus le soin du détail de Junji Itō, l'univers visuel en ressort appauvri et les expressions des personnages moins marquantes. On n'y trouve pas non plus le jeu sur la lumière du mangaka, avec ses ombres pesantes. Dommage : on a besoin de se laisser accaparer visuellement pour que l'horreur soit vraiment marquante lorsqu'elle survient. Ce que l'animé perd en détail, il le gagne en couleur par rapport au manga, néanmoins la couleur a justement tendance à adoucir les images par rapport aux violents contrastes du noir et blanc.
Cet adoucissement est également palpable dans la mise en scène de la violence. Les choses les plus atroces se produisent souvent hors-champ, et les scènes qui se veulent les plus traumatisantes ne le sont plus tant que ça : témoin la découverte de la décollation dans l'un des épisodes, saisissante dans le manga, mais ici présentée avec un ralenti à mourir d'ennui sur un corps trop informe pour nous marquer... Cela suscite davantage le dégoût que l'effroi, la révolte ou l'empathie, or ce n'est pas vraiment l'émotion que l'on cherchait !
Ce n'est pas sans ironie que l'on constate que le générique de début de la série est au contraire très réussi, à la fois riche, effrayant et psychédélique. Allons bon : serait-ce là qu'est parti le budget ?
Sur le fond, la série a tout de même le mérite d'avoir constitué un échantillon représentatif des différents types de nouvelles de l'auteur : on y trouve à la fois des histoires courtes d'horreur absurdes et grotesque, d'autres histoires reposant sur la noirceur psychologique des personnages, des chapitres d'histoires longues, de petites histoires plus proches de la facétie que de l'épouvante. Cependant, tout n'est pas indispensable chez Junji Itō : parmi la myriade d'histoires qu'il a écrites, certaines s'avèrent maladroites ou dispensables, en particulier au sein des premières ; or, à ce titre, on reste dubitatif sur la sélection. Adapter Ice Cream Bus, sérieusement ? Ni effrayante ni même assez grotesque pour être drôle, l'histoire aurait tout à fait pu être oubliée, de même que les deux histoires impliquant Soïchi. Ajoutons à cela que la série fait le curieux choix de démarrer par le très poussif Les mystérieux enfants Hikizuri... Inversement, on aurait aimé l'adaptation d'autres histoires qui auraient pu être frappantes même sans beaucoup de moyens visuels, telles que Le cœur d'un père, Souvenirs ou encore La maison au déserteur. Si l'anthologie est représentative de la variété des histoires de Junji Itō, on regrette que la qualité soit si inégale.
Et encore faut-il noter que la pingrerie de Netflix dont a visiblement souffert l'animation affecte aussi la longueur des épisodes : une histoire aussi choquante en manga que La chevelure sous le toit perd beaucoup de sa force ici, faute d'avoir adapté les quelques cases qui auraient permis de mieux rendre les réactions des personnages -cela n'aurait pourtant nécessité d'ajouter que quelques minutes à l'épisode ! On trouve d'autres histoires arrêtées avant d'avoir pu prendre leur envol, L'épave en est un exemple particulièrement frustrant, car le peu qu'on en voit suscite l'intérêt.
Tout cela n'empêche pas de prendre plaisir aux épisodes, dont certains fonctionnent heureusement très bien, particulièrement lorsqu'ils reposent sur une idée dérangeante, sans avoir besoin de beaucoup de richesse visuelle ou d'une animation soignée. Il en va ainsi des scènes surréalistes auxquelles conduit Les ballons aux pendus, de l'horreur de la situation initiale de La ville aux pierres tombales qui est choquante précisément par son ordinarité, des scènes effrayantes qui s'abattent rapidement sur Tomié : les photographies, du décor pour le coup très réussi de Moisissures ; plus encore, on reste marqué par Archéologie de la terreur (qui est en fait une adaptation de la nouvelle Couches de peur), histoire terrifiante précisément parce que l'on sait très bien comment elle va finir, ainsi que par La femme qui chuchote, à la fois inquiétant et triste, dont la fin est tout à la fois choquante et quelque peu jouissive... Ces deux histoires sont les meilleures, parce que ce sont celles qui donnent le plus de place aux émotions des personnages.
Certes, on aura aimé cela mais le sentiment qui domine est bien celui du gâchis : Netflix a misé sur les histoires de Junji Itō mais ne semble pas avoir voulu y mettre les moyens nécessaires pour que l'adaptation soit à la hauteur des mangas. La série peut sans doute servir de porte d'entrée pour découvrir l'univers du mangaka, mais pour celles et ceux qui le connaissent déjà, le résultat est bien maigre.