Titre : The Haunting of Bly Manor
Créateur : Mike Flanagan
Année : 2020
Avec : Victoria Pedretti, Amelie Bea Smith, Benjamin Evan Ainsworth, Henry Thomas, Oliver Jackson-Cohen, T'Nia Miller, Amelia Eve, Rahul Kohli
Synopsis : Une gouvernante est engagée pour veiller sur deux orphelins vivant dans un manoir isolé en pleine campagne. Peu à peu, d'effrayantes apparitions viennent la hanter
En très peu de temps, Mike Flanagan s'est imposé comme un réalisateur à suivre grâce à plusieurs films intéressants (Oculus, Hush, Before I Wake) et un rythme de stakhanoviste (un film par an, environ). En 2018, il se retrouve catapulté sous les projecteurs avec sa série, The Haunting of Hill House, roller coaster d'une efficacité redoutable quand il s'agit de nous tétaniser avec d'impressionnants fantômes mais qui se prenait un peu les pieds dans ses sous-intrigues à rallonge et le pathos de drames familiaux dont on avait, avouons-le, pas grand chose à faire. Succès oblige, la série a droit à une seconde saison et après avoir adapté le roman de Shirley Jackson, Flanagan s'est cette fois attaqué à La Tour d'Ecrou de Henry James.
Comme pour Hill House, The Haunting of Bly Manor prend des libertés vis-à-vis du roman d'origine, très court, pour ajouter quelques personnages et transpose l'intrigue à une époque plus moderne, en l'occurence les années 80. Il est intéressant d'ailleurs d'observer comme la série semble s'inspirer aussi bien de l'histoire écrite par James que des précédents films l'ayant plus ou moins adaptée : dans The Haunting of Bly Manor, on sent par exemple très clairement l'influence des Innocents de Clayton (la jeune fille au pair, anonyme dans le roman, porte d'ailleurs ici le nom du réalisateur) voire des Autres d'Amenábar.
On est immédiatement saisis par l'ambiance gothique, mélancolique et brumeuse de cet immense manoir perdu dans la campagne anglaise. C'est élégant, poétique, la photo superbe et les personnages attachants. Les deux gamins, tout particulièrement, font vivre la première partie de la série, entre l'innocente et trop guillerette Flora ("the bubble gnome") et l'ambigu Miles : on sent que quelque chose ne tourne pas rond. On est surpris par l'absence totale de scène horrifique : alors que la première série garantissait son lot de traumatismes, ici, le trouillomètre reste muet. Les fantômes sont pourtant là, discrets, mais The Haunting of Bly Manor n'est jamais effrayante : comme le dit la narratrice à la fin "ce n'est pas une histoire de fantômes, c'est une histoire d'amour"... Ce n'est pas forcément un problème dans l'absolu, tant le montage et la mise en scène nous laissent sentir, via un regard pas tout à fait dans les yeux ou un raccord unissant deux personnages que, que quelque chose, décidément, cloche avec ces deux marmots. Mieux : la série semble éviter plusieurs travers de Hill House en nous épargnant les tourments du quotidien de personnages auxquels on n'arrivait pas à s'attacher.
Et puis, soudain, c'est le drame. Le charme n'aura duré que la première moitié de la série. L'histoire se retrouve subitement mise en pause pour laisser la place à un enchaînement d'épisodes flashbacks qui, à grands renforts de monologues pompeux surlignés par une musique d'une niaiserie insupportable, essayent désespérément de donner de l'épaisseur aux personnages en nous racontant avec la subtilité d'un 36 tonnes conduit par Adam Sandler bourré qu'en fait, ils sont tous un peu hantés à leur façon. Entre la caractérisation à la truelle (on a de la peine pour la jardinière badass au franc parler, qui se la joue rebelle, coiffée comme Sigourney Weaver dans Alien), les romances que l'on subit sans y croire, et les maladresses d'une écriture surexplicative, poussive et complaisante que les accents forcés des comédiens rendent insupportable, on a l'impression que Bly Manor nous bourre au chausse-pied ses idées au fond de la gorge tout en nous les hurlant à tue-tête dans les deux oreilles. On retrouve alors tous les travers d'une production Netflix qui, derrière une image bien soignée, prend son public pour des veaux et se sent obligée de répéter chaque chose très lentement pour être sûre que le dernier des demeurés a bien tout compris, prenant parfois une heure pour expliciter inutilement quelque chose que l'on avait déjà saisi deux épisodes plus tôt tant les "indices" étaient appuyés et réchauffés. C'est d'autant plus agaçant que le roman savait habilement jouer avec plusieurs zones d'ombres, responsables en grande partie de l'impression de malaise qu'il provoque.
Il faut bien faire durer la chose sur neuf épisodes d'une heure, probablement pour répondre à un obscur cahier des charges, et Flanagan patauge dans ses sous-intrigues forcées et ses délires temporels qui, s'ils fonctionnent la première fois, se cassent la gueule au bout de la 357ème... Il faut quand même avoir bien peu d'estime et de confiance pour l'histoire que l'on raconte pour ainsi la stopper et chercher vainement à l'étoffer avec autant de clichés superficiels jusqu'à totalement l'étouffer. The Haunting of Bly Manor se transforme alors en errance poussive et prétentieuse qui recycle tout ce qui ne marchait pas dans Hill House. Quand, vers le cinquième épisode, un des personnages prend sa voiture pour faire "trois heures de route", on ne s'attendait pas à prendre la chose aussi littéralement : le type met bel et bien trois épisodes à arriver à destination, laissant en plan un cliffhanger qui, à force d'attente et de redites, a perdu tout impact. Entre temps, on aura bien pris le temps de nous rappeler que bon, s'ils sont alcooliques, s'ils sont tordus, s'ils sont mélancoliques, c'est parce que ces personnages ont eu un passé difficile. Merci, hein, ça c'est de la fine étude de caractère, bravo, les scénaristes auront sans nul doute une bonne note au bac...
The Haunting of Bly Manor est un ratage rageant car, pendant la première moitié, on y a cru. On aurait aimé défendre ce parti-pris audacieux d'une série fantastique nous prenant à contre-pied en refusant de recycler les frayeurs de la saison précédente. Mais à force de ne pas croire en ce que l'on raconte, à force de vouloir toujours en rajouter, à force de poses artificielles, à force de ne pas oser laisser le moindre mystère et de croire le public trop con pour comprendre les choses quand on les montre subtilement, la série se vautre totalement. Si à la limite c'était juste une série B un peu coconne, on aurait pu lui pardonner, mais tout ici suinte la prétention et l'auto-satisfaction, entre les tunnels de dialogues poético-philosophiques nanardesques filmés avec paresse, les longs plans qui caressent les murs du manoir au son d'une musique orchestrale dégoulinante et les délires oniriques surexploités. Ne mentionnons même plus l'ambiguïté du roman qui a tant contribué à sa réputation, elle a été définitivement oubliée en route. Finalement, on finit par s'identifier aux personnages : comme eux, on se noie (dans notre ennui), on respire fort (d'agacement) et on a hâte de quitter de cet enfer interminable pour l'oublier.