Titre : What We Do in the Shadows
Créateur : Jemaine Clement
Année : 2019
Avec : Kayvan Novak, Matt Berry, Natasia Demetriou, Harvey Guillén, Mark Proksch
Synopsis : Un aperçu de la vie quotidienne (ou plutôt nocturne) d'un groupe de vampires vivant ensemble depuis plus de 100 ans à Staten Island.
Quand le réalisateur néo-zélandais Taiki Waititi sort en 2014 What We Do in the Shadows, son faux documentaire sur une bande de vampires vivant en collocation à Wellington, il est encore relativement inconnu du grand public malgré déjà de très chouettes péloches à son CV. Le film est instantanément culte : on y retrouve ce qui fait la personnalité de l'auteur dans ses autres travaux, à savoir un humour décalé et absurde et des personnages de grands enfants un peu rêveurs et inadaptés au monde qui les entoure. Les aspects plus dramatiques laissent leur place à une horreur parodique réjouissante et propulse Waititi devant les projecteurs. Quelques années plus tard, on l'a vu faire le guignol devant et derrière la caméra, notamment chez Marvel, mais aussi recevoir un Oscar du meilleur scénario pour Jojo Rabbit.
Depuis trois ans, What We Do in the Shadows a été décliné en série, sous la supervision de Waititi et Jemaine Clement (avec qui il avait déjà commis Flight of the Cochords). Le principe est le même que pour le long-métrage: un faux documentaire (interviews posées et soignées, séquences filmées de manière plus chaotique) sur une bande de vampires vivant en collocation, cette fois-ci dans le New Jersey. La série n'est cependant pas un remake américain, mais bel et bien un prolongement du film puisque l'on en croise certains personnages. Très vite, les mêmes qualités et défauts apparaissent (personnages attachants en total décalage avec le monde dans lequel ils vivent, détournements amusants des codes du fantastique... mais aussi une tendance à trop faire durer certains gags, à être trop bavard). Pourtant, petit à petit, la série surpasse son modèle grâce aux additions géniales de l'assistant humain Guillermo et du vampire énergétique Colin Robinson (plutôt que votre sang, il draine votre énergie en vous assommant d'ennui, on connaît tous quelqu'un comme ça).
C'est le propre des séries d'avoir le temps de creuser ses personnages, et What We Do in the Shadows ne déroge pas à la règle. Nos vampires, persuadés d'être de mystérieuses, séduisantes et toutes-puissantes créatures de la nuit ne sont finalement qu'un petit groupe de has-been dont le moindre contact avec le monde extérieur tourne à la farce, qui passent leur vie à jurer comme des charretiers et être superbement ridicules. Sans leur Guillermo de service, qu'ils traitent comme une vieille chaussette, ils ne sont rien.
Si la deuxième saison proposait une réelle évolution qualitative, aussi bien au niveau visuel que pour les gags avec des passages franchement hilarants (les vampires terrifiés par un mailchain disant qu'ils sont maudits, Colin Robinson promu à son travail), la troisième s'essouffle un poil. On rigole moins, parce qu'on connaît la recette qui commence à montrer ses limites, à l'image de Laszlo obnubilé par son entrejambe. Les personnages se borgnent trop souvent à cracher dans le vide les obscénités les plus infâmes sans provoquer autre chose qu'une lassitude vaguement amusée. Même les guests sont moins prestigieux : Donal Logue n'a pas franchement la même aura que Tilda Swinton, Danny Trejo ou Mark Hamill. On s'y amuse toujours, par sympathie, mais on ne s'étouffe pas non plus franchement.
Pourtant, dans son dernier tiers, un petit miracle se produit. Ce qui permet à What We Do in the Shadows de garder la tête haute, c'est son humanité. On s'amuse bien entendu des éternels décalages, comme quand une bande de vampire fait du hula hoop face à un miroir qui ne reflète que les cerceaux, mais le réel intérêt de la série vient des liens qui se nouent entre les personnages et leur évolution. On y découvre le spleen de Nandor, irrésistible grand naïf persuadé d'être un puissant guerrier, la tendresse bienveillante du très snob et libidineux Laszlo, l'affirmation de Nadja comme leader, la quête de Colin Robinson pour en savoir plus sur ses origines mais surtout la montée en puissance de Guillermo, petit assistant inoffensif et soumis qui monte en grade, devient homme d'action et indispensable garde du corps un tantinet frimeur. Comme les années précédentes, l'histoire semble accélérer en fin de saison, donnant l'impression que certains épisodes servaient juste de remplissage, mais on nous laisse sur des perspectives réjouissantes de renouvellement pour l'avenir.
Bien que What We Do in the Shadows soit souvent très drôle, la série nous rappelle une nouvelle fois que pour faire mouche, l'humour a besoin d'être mélangé à un soupçon d'émotion. Portée par un casting merveilleux, cette troisième saison a donné un temps l'impression d'avoir fait le tour du sujet et de trop se reposer sur la sympathie que l'on éprouve pour les personnages, avant de rebattre les cartes de manière radicale dans sa dernière ligne droite. Finalement, l'avenir s'annonce toujours aussi enthousiasmant. Vivement la suite !
Notez que si vous êtes client de la chose, une première série spin-off du film est diffusée depuis 2018 en Nouvelle-Zélande. Wellington Paranormal met en scène deux flics naïfs dans des situations fantastiques et horrifiques souvent hilarantes. Le ton y est moins trash et les ambitions plus modestes, mais c'est également très bon.