Pour cette deuxième journée du festival Freak Frequenz organisé par Black Speech Productions et Devilicious Couture au Ferrailleur, on le savait, l'ambiance allait s'assombrir. De lourds nuages planent d'ailleurs au-dessus de la salle et une légère pluie nous met d'humeur pour replonger, le temps d'une soirée, dans la frénésie electro / indus de l'affiche concoctée avec amour qui associe de l'inédit, des projets émergents mais aussi des artistes cultes.
MATT HART
Enfin, vous savez, on vous parle de ténèbres et tout ça, mais c'est vrai que la soirée commençait avec Matt Hart, le gentleman à la moustache déjà fameuse et dont l'enthousiasme et l'énergie en font déjà un visage connu de la scène industrielle européenne. Son mélange entre EBM, metal indus et électronique sombre au sens large mise tout sur l'efficacité : c'est accrocheur, les refrains se retiennent facilement et le bonhomme donne de sa personne pour aller chercher un public qui le découvre. S'il est d'habitude accompagné d'un guitariste, ce n'était pas le cas cette fois-ci mais Steve Nine au synthé (vu notamment chez les Alien Vampires) évite au londonien de se présenter tout seul et déborde lui aussi de la même énergie communicative.
Le concert file comme une machine bien huilée, du décompte affiché sur l'écran à Terrorfying, alignant les titres fédérateurs comme le récent hymne Black Abyss, Rotations ou Gone to Shit et sa tension très Nitzer Ebb. Des grosses guitares, des rythmiques martiales, des paroles scandées qui nous marquent au fer rouge : Matt Hart coche toutes les cases de la performance qui fonctionne bien, que l'on soit familier ou non de son univers futuriste. Mais sa plus grande force, c'est la sympathie qu'il dégage, l'impression qu'il est ravi d'être là, qu'il s'amuse : comment résister quand, courageux, il se lance en fin de show dans une tentative acrobatique de prononcer "le Ferrailleur" et toutes ses bizarreries qui ont dû sembler bien obscur aux non francophones ? Pour Matt Hart, ce n'était pas du gâteau ! Thank you le Fwreuyayé, c'était trop cool !
ANTANIA
Là ça y est, fini la rigolade. Posant pour la première fois les pieds en Europe, Antania voyage dans les bagages de Psyclon Nine (également une première chez nous) et, après la date parisienne de la veille, le duo venait plomber l'ambiance à Nantes. Mélange doom & bass et chant guttural emprunté au metal extrême, paroles parlant de tueurs en série et de faits divers sordides: c'est lourd, pesant, glauque et même un brin mystique.
Côté show, Antania joue à la fois sur le minimalisme de son dispositif (Doc Luna aux machines, Kali Mortem au chant) et l'inquiétante présence que dégagent leurs costumes. Mystérieuse silhouette à l'aura macabre, la chanteuse se masque derrière un voile funéraire et aucun des deux ne nous montrera son visage de tout le show. Avec son approche écrasante toute en basses épaisses, le duo modernise l'electro dark et dope l'ensemble avec des riffs pachydermiques : ça tabasse et c'est sans concession... Leur choix de scénographie radical nous fait tout de même parfois regretter l'absence d'un petit truc en plus, un écran par exemple, pour donner au public, privé de visages sur lesquels se focaliser, un coup de pouce supplémentaire pour pénétrer dans cet univers. On ne peut en tout cas pas reprocher à Antania de faire dans la redite ou l'absence de personnalité : on n'y va pas pour danser, on y va pour se faire ratatiner, ce qui nous convient très bien.
PSYCLON NINE
Enfin ! En bientôt 25 ans d'existence, Psyclon Nine n'avait jamais joué en Europe. On se souvient d'une occasion annulée il y a plusieurs années, mais c'est tout. Projet culte, parmi les pionniers du mélange entre black metal et dark electro, le monstre de Nero Bellum était l'événement majeur de cette deuxième édition du Freak Frequenz. Mais alors, en live, Psyclon Nine, ça donne quoi ? Eh bien, ça marche très bien !
C'est évidemment Nero qui canalise l'attention. Avec son maquillage, ses lentilles, ses gants griffus et sa gestuelle théâtrale il a tout d'une gargouille démoniaque et grimaçante et sait en jouer. Pas avare de sa personne, il est soutenu par l'incontournable Jon Siren à la batterie (qui a travaillé avec IAMX, Frontline Assembly, Mankind is Obsolete, Dawn of Ashes...) et Todd Buller à la guitare et aux machines. Enfin, on nous dit que c'est Todd Buller, mais nous on le soupçonne d'être un célèbre chanteur français venu incognito : il avait bien une dégaine à demander des trucs à la Lune !
Psyclon Nine régale et fait le show. Si l'on se demandait à quoi ressemblerait la setlist, vue l'évolution du projet (tout d'abord vers un son plus metal puis vers un rendu plus atmosphérique sur le dernier et très bon Less to Heaven, chronique), on est aussi comblés : il y a de tout, pour tout le monde. Divine Infekt, Parasitic, Better Than Suicide et Behind a Serrated Grin nous replongent vingt ans en arrière et côtoient les sommets d'ambiance lugubre que sont les récentes See You All in Hell et Money and Sex and Death aux inspirations trap et dark ambiant et aux explosions furieuses.
Alors qu'approche la fin du set, bien que la salle ne soit pas blindée, on a l'impression que le groupe a passé un bon moment, ils se prêtent au jeu prévisible du rappel et sortent de leurs personnages le temps de remercier chaleureusement le public... Allez, on en fait le pari : il ne faudra pas de nouveau attendre vingt ans pour les revoir !
DIVINE SHADE
Voilà, la tension est retombée. On respire un peu plus dans le Ferrailleur, qui s'est considérablement vidé. Mais il reste un concert et, là encore, la programmation fait dans le classieux avec Divine Shade, estimable projet de rock industriel lyonnais... mais avec un twist ! C'est en effet un set solo qui nous est proposé, Rémi Thonnerieux devant défendre seul son travail, écartelé entre ses machines.
Forcément, ça sonne moins rock que d'habitude. L'énergie assez rentre-dedans que Divine Shade gagne d'habitude en live mute vers une forme de minimalisme froid qui mise plus sur l'élégance que la rage viscérale. C'est une première pour l'artiste, mais on le soupçonne de s'être un peu fait la main avec son side-project techno / darkwave Ren Toner. S'il ne peut lâcher prise aussi facilement, il nous embarque sans peine, aidé par des lumières sombres et des nuages de fumée, dans son univers tout en nuances. On apprécie tout particulièrement la sombre poésie d'Oublier et son texte en français ou l'humeur introspective de Stars qui se prêtent très bien à ce dispositif plus sobre. Cette mélancolie en retenue est une conclusion parfaite au festival, un bon moyen de redescendre avec l'intensité frénétique de Psyclon Nine mais aussi de retrouver la fraicheur de la nuit en quittant les lieux...
... À moins que l'on ne veuille faire durer le plaisir avec un petit DJ set, tiens. Après tout, on est bien, là, il y a du bon rhum au bar (en même temps, le Ferrailleur est situé Quai des Antilles...), du beau monde dans la salle, on peut papoter et profiter encore un peu de l'événement.
Aux platines, Max et Zoé de Herrschaft lancent leur set avec le dernier single du groupe de metal industriel, Aphrodite. L'occasion de marquer le coup et, pour Max, de partir dans une danse frénétique... avant de se prendre les pieds dans du bazar resté sur scène, l'incitant à calmer le jeu. Bon, allez, Bad Omens et Poppy, Combichrist... Il y a de quoi rester éveillé. Et pendant que les couche-tard s'amusent bien, on souhaite de tout cœur que, malgré une fréquentation en baisse, Black Speech aura la possibilité de nous proposer une nouvelle édition. Certes, avec Suicide Commando, Hocico ou Combichrist, ça aurait rempli plus facilement, et ça aurait été très bien. Mais on connaît déjà. A la place, on a pu voir des artistes qui n'étaient jamais venus en France, dont certains que l'on attendait depuis plus de 20 ans, mais aussi se tenir au courant des futures tendances de la scène avec quelques projets qui feront de nouveau parler d'eux dans les années à venir. La proposition était aussi variée que qualitative et évitait la facilité... Tout ce que l'on demande, en somme. La classe. Pour soutenir l'initiative, vous pouvez faire un petit don à l'association pour, qui sait, revenir sur les bords de Loire un jour dans le cadre de ce mini-festival très agréable !