La voilà enfin, cette quinzième édition du célèbre festival ! Repoussé deux années de suite, le Hellfest a vu les choses en grand : un week-end double pour un total de sept jours de bruit et de fureur et 350 groupes à aller voir. Comme d'habitude, les immenses stars côtoient des artistes émergents plus obscurs et une grande variété de musiques sombres et bruyantes sont représentées, du metal extrême au folk en passant par le punk, le rock et l'indus, garantissant une programmation riche, passionnante... et pléthorique. C'est donc parti pour une première partie qui reprend dans les grandes lignes l'affiche prévue en 2020 (même si certains artistes ont été obligés de quitter le navire, on pleurait tout particulièrement FAITH NO MORE, PUSCIFER, GHOSTEMANE ou 3TEETH).
Le Hellfest, c'est un peu comme un buffet à volonté : il y a énormément de choses. Nos yeux parcourent le menu, on bave à l'avance, on se demande comment on va bien pouvoir tout savourer... On pourrait prendre une bouchée d'un peu tout, ou bien au contraire savourer uniquement quelques mets mieux ciblés. Vu qu'on avait les crocs après deux ans de diète, on a opté pour un mélange des deux.
Premier jour et premiers chamboulements : le festival a désormais son système de parking (gratuit, bravo). Le Hellfest, pourtant toujours impressionnant d'efficacité sur l'organisation, a peut-être été timide en quantité de navettes et l'Enfer commence finalement une poignée de kilomètres trop tôt. Il nous a fallu quatre heures pour faire un trajet qui n'en prend même pas une à pied et, par conséquent, notre journée n'a débuté qu'aux alentours de 14h. Heureusement, la réactivité de l'orga force le respect et tout sera totalement fluide dès le lendemain.
On attaque donc la matinée en début d'après-midi devant LEPROUS. LEPROUS en plein air par 37 degrés est une expérience particulière qui n'a pas forcément aidé les Norvégiens : en pleine lumière, leur set est pourtant d'une élégance rare. Einar Solberg fascine les festivaliers en train de cuire avec sa voix irréelle, l'évolution prog-pop-rock du groupe fonctionne du tonnerre. Malgré les conditions difficiles, le concert est à la fois majestueux, intimiste et viscéral.
Sauf que nous, on n'aime pas trop le soleil, la lumière, la chaleur. Alors zou, on file se réfugier sous la tente de la Temple Stage et les ténèbres de sa programmation black metal : c'est l'heure de la messe de SETH qui sortait récemment d'un long silence. Saint Vincent, chanteur du groupe depuis 2016, fait le show derrière son autel. Toge, poignard sacrificiel, crânes, chandeliers et backdrop à l'image de l'excellent album La morsure du Christ (essentiellement joué ce jour-ci) et Notre-Dame en feu : on sait se marrer dans le black metal. Dommage que le son de la Temple soit si brouillon et empêche de réellement apprécier la musique.
Déjà la routine s'installe : aujourd'hui, on alterne surtout entre l'obscurité de la Temple et la MainStage 2 avec ses groupes de prog psychédélique souvent passionnants... La nouvelle statue de Lemmy ? Les décorations ? On verra plus tard : se promener à découvert fait cloquer la peau et fondre les yeux des habitués des sous-sols que nous sommes. Heureusement, THE GREAT OLD ONES arrive sur scène avec son rituel lovecraftien. Toges de cultistes et symboles mystérieux : le décor ne prend cependant pas le pas sur la musique. En live, THE GREAT OLD ONES gagne en puissance et en fureur mais perd un peu en atmosphères évocatrices propres à l'onirisme malade de l'auteur de Providence. Pour réveiller ce qui à jamais dort, il en faut du boucan ! Invocation réussie ? Vue l'odeur, probablement... à moins que ça ne soit ces toilettes supplémentaires entre la Temple et la Valley.
C'est donc l'âme embourbée par de sombres délires cosmiques que l'on erre sous l'insupportable cagnard. Est-ce un mirage ? Une illusion provoquée par la folie ? Quelle est cette horreur qu'aucun esprit sain ne saurait concevoir, aux formes insaisissables ? Une larve stellaire ? Ah non, c'est juste la moustache de Mikael Åkerfeldt. OPETH cuit actuellement sur la MainStage 2 et, en début de set, n'est pas encore franchement à point : on a beau valider tout à fait l'évolution prog du groupe, on s'ennuie un peu. Il faut dire que sur scène, le groupe n'a pas un charisme à chambouler des stades et que cette ambiance de plage mexicaine n'aide pas. Il suffisait pourtant de revenir un tantinet en arrière et d'envoyer un Ghosts of Perdition d'anthologie, féroce, tempétueux et poignant pour réveiller les rangs de sardines qui marinaient dans leur jus devant la scène. Forcément, après ça, ça va mieux.
"Ça va mieux", c'est aussi ce qu'on se dit devant ROTTING CHRIST, grâce notamment au charisme de Sakis Tolis, son énergie et sa complicité avec le public. Le genre de type qui ajoute le "fun" à "funérailles" : il n'en faut pas moins pour assurer le succès du show des Grecs. Les morceaux aux airs de liturgie hypnotique sur album se redécouvrent tout en puissance, plus percutants, plus agités. Ça cogne fort, ça secoue et les ténèbres se font presque festives. Que ça fait du bien de pogoter par 40 degrés : au moins, on se souvient que finalement, on tient un peu à la vie et que regarder tout ça allongé sur le sol frais de l'Altar juste à côté est une alternative tout à fait acceptable.
Nouvel aller-retour vers les MainStages pour y voir de nouvelles moustaches, celles de MASTODON cette fois. Bien inspirés, ils attaquent leur set avec Pain with an Anchor, l'excellent premier titre de leur dernier album, le magistral Hushed and Grim. L'écran derrière ces grands gaillards velus ajoute une touche psychédélique visuelle au show. On évite l'impression de bouillie sonore que la musique du groupe laisse parfois en live (il y a mille ans environ, avant TOOL en 2006, c'était physiquement douloureux) et on admire à la fois le caniche qui orne la batterie de l'indispensable Brann Dailor et le sérieux imperturbable du guitariste Bill Kelliher qui n'est pas venu faire le mariole.
Pour faire les marioles, il y a PRIMORDIAL. La bande emmenée par Pól MacAmhlaigh, Ciarán MacUiliam et surtout l'insaisissable Alan Averill n'est pas particulièrement rigolarde, mais l'énergie du frontman qui sue le charisme à grosses gouttes sous sa capuche assure toujours un bon moment. Il cavale dans tous les sens pied de micro en main et harangue de sa voix de loup le public qui brandit la dose réglementaire de drapeaux irlandais. Sans album particulièrement récent, PRIMORDIAL parcourt sa discographie en piochant un peu partout, comme à Paris deux mois plus tôt (report). Entre black, doom et heavy metal, la musique est à la fois mélancolique, lugubre, menaçante et conquérante et le groupe est une valeur sûre en live.
Arrivé à ce point de la soirée, on se perd un peu. Est-ce qu'on a déjà pris trop de coups aux neurones ? Est-ce la faute de cet impitoyable soleil qui nous a fait fondre le ciboulot ? Toujours est-il qu'on a voulu jouer les rednecks et que, sans trop assumer, on a jeté un œil à FIVE FINGER DEATH PUNCH par curiosité malsaine. Non, désolé, y'a pas moyen : peut-être qu'on n'avait pas bu assez de canettes de Monster pour apprécier ce truc, mais tout cela est non seulement paresseux (on étouffe sous les stéréotypes et les morceaux qui semblent avoir été écrits par une I.A.) mais surtout très mal exécuté. Ivan Moody est totalement à côté de la plaque, croasse péniblement ses hymnes comme une casserole et ses tentatives pour avoir l'air d'un mec sympa mettent plus mal à l'aise qu'autre chose.
Errance toujours du côté de la Temple avec ABBATH. Lui aussi, il croasse, sauf que là c'est fait exprès. On se marre un peu : l'ex-IMMORTAL dégage quelque chose d'improbable et décalé, avec ses pas de danse que lui seul peut oser et sa voix éraillée. Parfois ça marche (par exemple avec la récente Dream Cull et son ambiance sinistre entre metal extrême et horror punk), mais c'est globalement assez routinier et surtout noyé sous des tonnes de fumée. Trop kitch pour vraiment faire peur ou impressionner, ABBATH a tout d'un plaisir coupable qui fonctionne vingt minutes mais qui reste sympathique malgré tout.
Ce n'est pas forcément mieux du côté des DEFTONES, moins en forme que lors de la précédente édition : la tête d'affiche de la soirée n'a pas fière allure. Avec son line-up amputé et chamboulé, on a l'impression de voir Chino Moreno errer seul sur scène. Il gambade et en fait des tonnes pour essayer désespérément d'apporter un peu de vie au show, mais tout cela est bien laborieux et quelque chose ne fonctionne pas. On en repart avec l'impression que toutes ses manières et gimmicks vocaux sont là pour tenter de cacher le goût fadasse d'une soupe dont la recette n'arrive pas à prendre, que le groupe est à côté de ses pompes. Au fur et à mesure du show ça ira un peu mieux, mais que c'était poussif !
Poussif, ELECTRIC WIZARD peut l'être, notamment quand le groupe s'embourbe dans une espèce d'auto-parodie aux airs de délire entre potes dont ceux qui n'ont pas fumé la même chose se sentent facilement exclus. Ce n'est pas le cas ce soir : la magie opère. Le doom ésotérique et psychédélique du groupe britannique envoûte la Valley, entre horreur cosmique, fétichisme d'adorateurs de BLACK SABBATH et trip de pothead, le tout derrière un brouillard de rigueur. C'est lent, c'est lourd, ça ressemble à une hallucination brumeuse : le set est hypnotique et dépasse nos attentes, nos cerveaux engourdis par la chaleur devenant forcément plus réceptifs à ce genre d'ambiances.
Et puis il y a eu MAYHEM. Si le groupe de "trve norwegian black metal" ne surprend plus vraiment sur scène, sa puissance d'évocation reste intacte. Il se dégage du concert quelque chose de glauque et de sinistre que n'avait aucun autre groupe de la journée, peut-être grâce à ce grand showman qu'est Attila Csihar, avec son costume en loques dégueulasses, son masque flippant et sa voix d'outre-tombe. Des tonnes de fumée à nouveau et une ambiance de rite funéraire violent : les néophytes sont impressionnés, MAYHEM fait toujours le job, même quand on connaît la recette. Un petit traumatisme morbide à 1h du mat', c'est toujours sympa avant d'aller au lit (et on ne parle pas de l'attente pour la navette du retour, hein, on ne voudrait pas passer pour des râleurs).
Voilà. C'était notre premier jour à Clisson depuis trois ans. Des retrouvailles qui font du bien : vu le quasi néant entre-temps, finalement, c'est comme si on n'était jamais partis. Notre planning du lendemain s'annonçant plus varié, on a déjà hâte d'y être. Tant mieux : quand la journée s'achève, il ne reste qu'une poignée d'heures avant d'attaquer la suivante !
Top 3 de la journée (Pierre) : MAYHEM, PRIMORDIAL, LEPROUS.
Top 3 de la journée (Erick) : MAYHEM, ROTTING CHRIST, SETH.