Hellfest, jour 2 sur 7 : c'est reparti. Bien reposé après au moins 2h30 de sommeil, on décide d'attaquer tôt : même si on se doute que le gros des festivaliers est arrivé, les bouchons épiques de la veille et la perspective de s'entasser dans la navette ne nous invite pas forcément à la sérénité. C'était sous-estimer l'organisation redoutable du festival et désormais tout est fluide. Tellement fluide que le monsieur de la navette a le temps de faire des blagues ("les girafes existent-elles ? Mais non, c'est un cou monté") et qu'on arrive avant l'ouverture des grilles... La journée va être longue. Mais on peut se balader et découvrir les lieux comme on les voit rarement : quasi vides.
Du coup, quand les concerts commencent, on se ferait déjà bien un petit casse-croute. Mais bon, comme on s'est pointés en retard la veille on se dit qu'il vaut mieux ne pas trop faire les andouilles et bosser un peu. Alors on passe voir KARRAS, le groupe de thrash / grindcore / death de Yann Heurtaux (MASS HYSTERIA) et Etienne Sarthou (AQME) qui, à défaut de casser la croute, casse tout le reste. C'est très gras, très colère, très méchant et on a pas encore trop les idées en place pour analyser plus loin la bestiole, mais ça envoie.
Côté Valley, au même moment, il y a POINT MORT. Mazette, l'affiche disait vrai : ils ne sont point morts, au contraire ! C'est que ça frétille sur scène et le groupe de post hardcore parisien a fière allure. Leur premier album vient juste de sortir et déjà cet univers singulier séduit. Chaotique mais aussi sensible et mélancolique, la musique pleine d'émotions de POINT MORT fait voler en éclat les genres avec conviction. Accessoirement, grâce à ses nombreux bâtons d'encens, POINT MORT était aussi le concert à la meilleure odeur de tout le festival.
Pour être honnête, si on n'était pas arrivés aussi tôt, on aurait commencé la journée par ARTÚS. Comme pour les deux groupes précédents, on venait les découvrir un peu à l'aveugle. On ne l'a pas regretté : la musique d'ARTÚS, au fil de ses longs morceaux folk inspirés par les traditions occitanes, fascine et propose un set idéal pour un début de journée au son de la vielle à roue et du violon, ni trop agité, ni soporifique. Le groupe a annoncé sa séparation future, il s'agissait donc d'un de ses derniers concerts : on est ravis de les avoir découverts dans ces belles conditions. Comme quoi, il existe d'autres cultures que celles du nord de l'Europe quand on veut offrir un rituel !
Comme on n'est pas encore tout à fait d'humeur à se manger des riffs super énervés dans la tronche et que la météo s'y prête (plus de 40 degrés annoncés, facile) on se traine mollement vers le concert de THE PICTUREBOOKS à l'abris de la Valley. Le duo Allemand se la joue deep south avec son blues rock qui sent le soleil, la sueur, les tumbleweeds errant au vent et le roadtrip au milieu du désert. Pas d'excès de technique ici, Fynn Claus Grabke plaisante même sur le fait qu'il ne sait pas jouer de la guitare. Alors qu'il fait le show avec bonne humeur, c'est surtout son binôme Philipp Mirtschink qui en impose avec ses percussions puissantes. Pas besoin de frimer quand on y met son âme. Zero Fucks Given comme ils chantent, peut-être, mais côté cool attitude, ça faisait carrément le job.
Allez, 13h30, il est grand temps de se manger des muscles tatoués, des barbes, des cris, de la saturation... Ah tiens, des Vikings ! HELHEIM essaye d'apporter un peu de froid sur le festival avec son metal épique aux racines black. Pas forcément notre passion, mais ils y mettent du cœur, les parties en voix claire apportent un peu d'air et de théâtralité et en studio ça passe très bien. Faut-il blâmer la fatigue, un show finalement pas si marquant que ça ou un effet de saturation pour le peu de souvenirs qu'on en garde ? Allez savoir, mais en tout cas, on se souvient plus clairement de l'assiette libanaise engloutie à peu près à ce moment.
Plus tôt, on vous parlait de ces Allemands qui jouaient les Américains avec THE PICTUREBOOKS. Il est désormais l'heure d'aller voir le plus blasphémateur des Polonais jouer au cowboy : Nergal s'installait sur la scène de la Valley avec son side-project blues / folk ME AND THAT MAN. La foule est venue en masse voir le leader de BEHEMOTH sans maquillage, planqué derrière de grosses lunettes noires, taper dans ses mains. Pour faire réagir un public, il sait y faire et le charisme est intact même sans costume. Légère déception, mais évidemment prévisible : si en studio ME AND THAT MAN aligne les featurings et qu'on espérait secrètement qu'en festival d'autres artistes pourraient passer une tête, il n'en est rien. Pour le reste, ça groove bien, le chant clair de Nergal dégage à la fois chaleur et souffle sinistre et des morceaux comme My Church is Black, On the Road ou Burning Churches fédèrent immédiatement les masses. Une interrogation cependant demeure au vu du monde présent : mais que fichait ce truc programmé à 14h ?
Pour FRUSTRATION, on espérait de la grisaille et de la pluie pour coller à l'atmosphère. Le groupe aux influences post-punk et new wave, quelque part autour de JOY DIVISION et KILLING JOKE, a finalement eu droit à un set sous un soleil de plomb… Au point que le public ne s'amasse pas franchement devant la Warzone et préfère s'entasser sous les rares points d'ombre pour suivre le show de loin. On les comprend. La formation culte fait de son mieux pour faire redescendre la température avec le synthé glacial de Full of Sorrow en ouverture, et rien n'altère l'implication de Fabrice Gilbert au chant ni de la section rythmique emmenée par Mark Adolf et Pat D. Mélancolie, urgence, énergie : FRUSTRATION méritait mieux qu'une foule tiédie à force d'agoniser de chaleur. Les voir programmés à l'affiche de ce festival reste néanmoins une très belle surprise.
Comme on est un peu masochistes, on se dit qu'on va continuer à traîner du côté de la Warzone pour le show des WASHINGTON DEAD CATS et leurs bientôt quarante ans de psychobilly / punk rock décalé, de lutte anti-raciste et antifasciste et d'ambiance de séries B des années 60. Changement radical d'ambiance : des singes font de la trompette (on s'attendait à y voir des chats, c'est pas super clair leur affaire) et les expressions faciales de Mat Firehair suffisent à faire le show. C'est fun, léger et le charme désuet opère.
Quand on se réfugie sous la tente de la Valley, on le fait pour deux raisons : tout d'abord pour échapper au show des STEEL PANTHER (et puis quoi encore ?) mais surtout pour retrouver les merveilleux MESSA alors que nous sommes encore sous le charme de leur performance de 2019. Entre temps, l'album Pilgrim (auquel est consacré la quasi intégralité du set) est sorti et délaissait les cuivres pour des ambiances orientales. Sur scène, c'est comme si rien n'avait changé : le doom ésotérique de MESSA hypnotise, emporte, obsède même, et le guitariste Alberto porte toujours une chemise absurde ouverte jusqu'au nombril. La subtilité aérienne côtoie les profondeurs abyssales, la lumière et les ténèbres se mélangent avec élégance et instaurent un climat de mystère, le son est parfait et l'assemblée retiendrait presque sa respiration pour le chant seul de Sara. Comme la dernière fois, MESSA est un de nos gros coups de cœur du festival.
Histoire de prolonger l'enchantement, on enchaîne avec le set du groupe japonais de post-rock instrumental MONO, ici accompagné d'un quartet de violoncellistes emmenés par JO QUAIL (invisible derrière des murs de fumée, mais qui apporte un supplément d'intensité et de poésie). La performance est irréelle, noyée dans le brouillard : on laisse notre âme vagabonder au fil de longs morceaux introspectifs et cinématographiques, on apprécie l'apparition d'A.A. WILLIAMS qui tourne actuellement avec MONO et joue le week-end suivant sur la Temple Stage... Mais on a aussi un peu des fourmis dans les jambes, la faute peut-être à un son qui manque de clarté pour rendre justice à toute la subtilité des titres. Ça tombe bien, SEPULTURA joue en même temps, ce qui permet de couper la poire en deux.
Passer de MONO à SEPULTURA, c'est comme mettre du tabasco sur un sorbet à la fraise. L'ambiance est survoltée, il pleut des corps et on se demande bien quand le groupe brésilien passera en MainStage (faudra-t-il vraiment attendre que l'Altar s'effondre ?). Autre question légitime : Derrick Green a-t-il plus de muscles aux bras ou aux cordes vocales ? Ce n'est pas le moment de réfléchir, il faut esquiver les jambes des slammeurs. Le frontman impressionne (malgré son air de mec beaucoup trop sympathique) et si l'on regrette que les classiques comme Ratamahatta, Bloody Roots ou Refuse Resist aient perdu en chemin un peu de viscéralité en se retrouvant balancés en medley, sa performance reste des plus percutantes.
Comme on est un peu flemmards, on se dirige vers la Temple, soit un périple d'environ trois mètres depuis l'Altar, pour assister au concert de SKÁLD. Si la version studio de SKÁLD nous laisse encore sceptique (tout cela sent un peu trop la bonne affaire dans l'air du temps), il faudrait être sacrément de mauvaise foi pour ne pas reconnaître l'efficacité du groupe en live. Dans la catégorie "Vikings déguisés", les frenchies ont une approche de la scène plus rock que les stars HEILUNG et WARDRUNA : en échangeant avec son public, SKÁLD fédère, pulse et, finalement, paraît bien moins poseur que les groupes précédemment cités. Le line-up a évolué depuis leur apparition sur cette même scène en 2019 (l'absence pour raisons de santé de la chanteuse Justine, remplacée par Chaos Heidi, est provisoire) et cette formation plus resserrée est aussi plus convaincante, plus puissante.
Ah, ce soir il paraît qu'il y avait GHOST. Trop de monde entassé pour que l'on puisse voir le concert dans de bonnes conditions, on se contente alors de quelques instants appréciés de loin, le temps de Cirice qui nous rappelle un temps où la bande de Tobias Forge dégageait quelque chose d'obscur qui nous manque un peu. Enfin, on s'en remettra : le groupe est devenu énorme et on peut aussi se réjouir de voir qu'il y a au moins un léger renouvellement des têtes d'affiche dans un festival dont c'est la principal inquiétude… GHOST n'a pas encore cinquante ans de carrière et attire les foules avec un show milimétré. On a appris le lendemain que le concert avait été écourté à cause d'une vilaine extinction de voix. Pas drôle !
Pour nous, la soirée s'achève avec les Japonais d'ENVY. Après POINT MORT qui n'était point mort, force est de constater qu'effectivement, ENVY est bel et bien en vie. La formation culte de screamo bouleverse la Valley avec sa musique violente et introspective. Au chant, Tetsuya Fukagawa s'investit corps et âme. Il parle, murmure, crie, chante, cavale, hurle comme un écorché, se contorsionne et incarne physiquement chaque tourment de la musique du groupe et son vaste panel d'émotions. Entre envolées poétiques et tempêtes rageuses, ENVY chamboule et surprend mais, surtout, offre un set plein de grâce au public. Le genre de performance qui nous colle à l'âme et nous hante un bon moment.
Après un première journée passer à alterner principalement entre la Temple et les MainStages, on est ravis d'avoir pu profiter d'une programmation variée et de grande qualité. Des émotions qui jaillissent, du mystère, du fun à la cool pour bronzer, des Vikings, des cow-boys, de la new-wave en plein cagnard… Il y avait encore une fois largement de quoi faire !
Top 3 de la journée (Pierre) : MESSA, ENVY, FRUSTRATION
Top 3 de la journée (Erick) : MESSA, ENVY, POINT MORT