Après une courte pause, le Hellfest est de retour pour un deuxième week-end consécutif. Après deux ans sans festival, l'organisation a voulu marquer le coup et si les trois premiers jours reprenaient dans les grandes lignes l'affiche annoncée en 2020, la deuxième partie qui se profile devant nous intimide déjà avec ses têtes d'affiche mastocs et sa durée rallongée à quatre jours.
Un peu à la manière du Knotfest qui s'était greffé avant l'édition 2019, le premier de ces quatre jours est un peu plus court et ne commence que l'après-midi. Tant mieux : on peut attaquer en douceur, faire un peu de tourisme et se coltiner un absurde combat de catch de Dessinateurs à Moustaches. La performance a déjà fait le tour des premières parties de divers concerts de metal et est assez inexplicable : un type survolté commente des affrontements de dessinateurs déguisés en catcheurs qui relèvent des défis lancés par le public... Et vu la tronche du public, évidemment, ça tourne vite à des mélanges de personnalités publiques et de parties du corps habituellement cachées.
Autant vous dire qu'on était plus dans notre élément sous la Temple Stage pour voir LILI REFRAIN sur scène. On l'avait prédit avant le festival : il ne faudra pas rater sa performance. On ne s'était pas trompés. L'artiste italienne a le chic pour fasciner son audience, tout d'abord intriguée par son maquillage puis happée par les boucles qu'elle crée avec ses claviers, ses cloches et sa guitare. Un petit côté world music atmosphérique, une élégance gothique mystérieuse et quelques riffs psychédéliques qui ajoutent une lourdeur progressive au tout : c'était magique.
On se demande en revanche comment des gens au nez aussi creux que le notre, toujours dans l'air du temps et au courant des dernières tendances (ahem...) ont pu passer à côté de CROWN tout ce temps. Le groupe alsacien jouait sous l'Altar et sa musique coche toutes les cases pour faire un bingo dans nos petits cœurs : froideur électronique, guitares mélancoliques, mélodies obsédantes et quelques éclats de rage... Du rock industriel comme on l'aime, riche, original et poétique sur lequel planent fortement les ombres de DEPECHE MODE et NINE INCH NAILS. Cette facette plus apaisée est relativement récente et il reste en live quelques restes d'un passé plus agressif et plus rugueux mais certainement pas moins élégant. La grande classe.
Il est à peine l'heure de l'apéro que, déjà, cette journée à fière allure. On reste dans les propositions uniques avec TRIBULATION et son metal extrême, mélodique, psychédélique et mystique aux sonorités goth rock. Un cocktail résumé par l'apparence des musiciens, entre corpse paint et looks retro kitch, mais aussi par ces bâtonnets d'encens qui brulent sur les amplis. C'est La Vie en Rose d'Edith Piaf qui accompagne le groupe (sans Jonathan Hulten, son génial guitariste qui a quitté le navire... et l'ambiance en prend un sacré coup dans l'aile) lors de son arrivée sur scène, mais le set démarre vraiment comme le récent Where the Gloom Becomes Sound, avec le titre In Remembrance. Inquiétant et conquérant, TRIBULATION est aussi très rock'n'roll. Les ténèbres avaient le groove et s'achèvent sur les notes hantées de Lacrimosa, histoire de conclure le show dans une ambiance spectrale du meilleur effet.
Parmi les concerts que l'on attendait le plus ce week-end, il y avait bien sûr le mélange blues / gospel et metal énervé de ZEAL AND ARDOR. Depuis son dernier passage à Clisson, le groupe de Manuel Gagneux a bien grandi et on aime voir en lui un futur grand (la Temple déborde d'ailleurs très largement). Le récent troisième album éponyme a continué de confirmer tout le bien que l'on pensait du projet mais aussi apporté une diversité dans les structures des morceaux, évitant l'impression de redite qui pouvait surgir sur la durée. Sur scène, le groupe dégage une puissance phénoménale malgré un dispositif particulièrement simpliste et des musiciens statiques (à l'exception d'un choriste très expressif). D'une efficacité immédiate imparable et beaucoup trop cool pour être boudé, ZEAL AND ARDOR a amplement mérité l'impressionnante ovation que le public lui a réservé. Les champs aux alentours en frissonnent encore.
L'ambiance est forcément plus froide pour les Islandais de SÓLSTAFIR et leurs longs morceaux tout en mélancolie. Le concert est exigeant et demande une implication et une attention que l'on peut aussi avoir la paresse de fournir en plein festival sans avoir à en rougir. Se plonger dans SÓLSTAFIR, ça se mérite et pour les élus ça reste la grande classe, le groupe apportant finalement une forme de soulagement doux-amer au public, avec lequel l'envie de partager ce moment est palpable (le groupe n'est pas avare en proximité, malgré les dimensions de la scène).
Du soulagement, il n'est plus question à 22h30 quand, torturé, il faut choisir entre se faire rouler dessus par SEPTICFLESH ou écraser sous la pesanteur du désespoir de HANGMAN'S CHAIR. Du côté du groupe de death metal grec, la performance est à l'image des albums studio : une surenchère irrésistible de puissance et de lourdeur menée par l'enthousiasme de Spiros "Seth" Antoniou, à la fois tyran galvanisant ses troupes et complice de son public auquel il ordonne de cinq fois par morceaux de "destrrrroy" à peu près tout et rien. On a beau le savoir, l'effet comique reste garanti. Quand il réclame à la foule le plus gros cri que le Hellfest n'ait jamais entendu, en tout cas, il l'obtient. Une évolution, et pas des moindres, est néanmoins à noter : Sotiris était présent sur scène. Peut-être qu'en raison de l'importance plus grande du chant clair sur le dernier album du groupe, Modern Primitive, ce qui était autrefois très rare va devenir une habitude... Sa présence majestueuse sur la plupart des titres (sauf celui qu'on a pu photographier, ha, ha, ha...) était en tout cas un vrai plus au show.
Du côté de la Valley, l'ambiance est à la retenue et à la déprime. HANGMAN'S CHAIR ne fait pas dans la conquête épique, le péplum et les monstres de science-fiction, bien au contraire : le spleen s'ancre dans le quotidien sinistre de banlieues mornes et grises dont les horizons sont bouchés par le béton et la dépression. Entre doom et coldwave, le malheur dégouline et étouffe. Pas de costume ni de démonstration technique ici, mais des riffs qui nous retournent les tripes, des coups de batterie boostés à la réverb qui viennent cogner dans le ventre et un chant déchirant. HANGMAN'S CHAIR connaît une ascension méritée et sur eux aussi on met une pièce : d'ici quelques années, leur nom sera écrit encore plus gros sur l'affiche.
Quelque soit le choix fait à l'embranchement précédent, on retrouve l'air libre en mille morceaux. Il nous faut du léger. De la rigolade. Ça tombe bien, le spectacle du Parc Astérix se prépare sous la Temple Stage. Pardon. Il paraît que taquiner HEILUNG, c'est blasphémer et que, paradoxalement, on n'aime pas trop les blasphémateurs au Hellfest. Alors certes, les costumes sont magnifiques et la scénographie ne laisse rien au hasard... Mais non, rien n'y fait : en live, la tentative de rituel chamanique et ses multiples scénettes et figurants que propose HEILUNG manque de spontanéité ou de sincérité pour réellement nous convaincre. On sent que les personnes sur scène sont plus des acteurs récitant leur partition sans fausse note que des artistes éprouvant un besoin profond d'exposer leurs tripes. Le concert se veut rite ancestral, mais entre l'absence totale de communication, le masque de Maria Franz qui cache ses émotions et ce calcul de chaque instant, l'humain s'efface et l'ensemble paraît finalement froid, routinier et bien trop scripté. Tout cela est aussi bien huilé qu'une parade dans un parc d'attraction qui aurait lieu trois fois par jour : c'est très beau, très bien fait, il y a du spectacle... Mais on en ressort encore et toujours déçu, notamment parce qu'il y en a sur qui ça marche, visiblement.
Souvent mis dans un même panier, WARDRUNA s'installait sur la MainStage 2 en fin de soirée et se présente plus comme le reflet inversé du blockbuster HEILUNG : bien moins démonstratif, le show se limite à une sobriété et une élégance poétique qui permettent à la musique mélancolique et atmosphérique d'Einar Selvik d'emplir l'espace nocturne. Le groupe est assis en fond de scène dans la pénombre, leurs ombres se découpant derrière eux, une disposition qui met en avant Selvik, seul au milieu. Les notes de Kvitravn ont un effet magique d'emblée, la musique transpirant l'expression sincère d'un homme plus qu'une tentative de reconstitution fantasmée. Il y a là-dedans une âme qui n'a pas besoin de gimmicks et d'artifices tape-à-l’œil. A vous de savoir apprécier les deux ou de choisir votre camp entre le son et lumière tout en percussions de l'un ou l'intimisme primitif de l'autre. Une fois les camps départagés, on pourra faire la guerre et boire dans nos cranes respectifs pour faire honneur à toute cette folie nordique.
Pour conclure, on a été voir JERRY CANTRELL. Jerry, on t'aime. Ce que tu as fait avec ALICE IN CHAINS a marqué nos âmes pour l'éternité. Ta voix sera toujours de celles qui nous secouent immédiatement et on n'imagine pas le grunge autrement que dans la lourdeur poisseuse dans laquelle tu l'as plongé avec ton pote Layne (de loin le meilleur chanteur mort à Seattle un 5 avril). Cela étant dit, sauf ton respect, Jerry, mais en live, bah on s'ennuie. Cantrell en "solo" souffre finalement des mêmes défauts qu'ALICE IN CHAINS sur scène : tout est très propre, très classe mais beaucoup trop sage, beaucoup trop lumineux. Des mecs bien habillés jouent tranquillement de la guitare en adressant des sourires bienveillants et en tapotant du pied. Où est la rage, où est le désespoir ? Ils hanteront pour l'éternité des enregistrements datant d'une époque bien plus torturée. Allez Jerry, on ne t'en veut pas : après tout ça, t'as bien mérité d'être un peu heureux, toi aussi. Mais nous, on a mérité d'aller se coucher.
Top de la journée (Pierre) : HANGMAN'S CHAIR, ZEAL & ARDOR, LILI REFRAIN
Top de la journée (Erick) : ZEAL & ARDOR, SEPTICFLESH
