Hellfest 2022 - Partie 2 - Jour 2 @ Clisson (24 juin 2022)

Hellfest 2022 - Partie 2 - Jour 2 @ Clisson (24 juin 2022)

Pierre Sopor 11 juillet 2022 Pierre Sopor & Erick Wïhr Pierre Sopor

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Quand le Hellfest partageait pour la première fois son affiche de l'édition 2022, il y avait bien une journée qui attirait tout particulièrement notre regard : celle du vendredi 24 juin. Imaginez un peu : le festival voulait s'offrir depuis des années NINE INCH NAILS, pourtant peu friand de festivals metal, Reznor souhaitant décloisonner son groupe. La condition réclamée par le boss himself ? Choisir quels groupes joueront sur la MainStage le même jour que lui. On se retrouvait donc avec un mélange des figures majeures de la musique industrielle (MINISTRY, SKINNY PUPPY, KILLING JOKE) et parmi le top des groupes émergeant outre-Atlantique (YOUTH CODE, HEALTH). Trent Reznor qui ramène l'indus, d'ordinaire cantonné aux sous-sols sombres et poisseux, en plein jour, sur la plus grande scène d'Europe et face à un public pas forcément initié ? Malgré finalement l'annulation de SKINNY PUPPY, remplacé par NITZER EBB, c'est la grande classe. De la névrose, de l'angoisse, de la rage, du malsain, du viscéral, des t-shirts que l'on reconnaît et du sale : les vilains petits canards s'incrustent à Clisson pour notre plus grand bonheur.

Refaisons un point météo : après un week-end de canicule, cette fois, il fait gris. On attend même de la pluie. En soirée, il fera trente degrés de moins que quelques jours plus tôt. On peut râler, on peut s'inquiéter, mais il y a de quoi être fier : l'indus, ce n'est pas que des paroles en l'air quand il s'agit de refroidir l'atmosphère !

On attaque la journée avec FAUXX, une des grosses sensations récentes du genre. Une voix déshumanisée qui hurle son désespoir, une batterie impitoyable : à deux, les musiciens nous écrasent avec leur électronique sombre et leur univers dystopique anti-capitaliste. De bon matin, se manger un tel déferlement de noirceur fait toujours plaisir. L'écran géant assure la partie spectacle, mais on n'est pas venus pour voir un cirque. En revanche, on se dit que ces deux-là, autant on est ravis de les voir sur une scène aussi immense, autant on a hâte de les retrouver dans un truc plus sombre, poisseux et intimiste pour vraiment profiter de toute la puissance de ce qu'ils ont à proposer.

Comme on n'est pas sectaires, on rend visite à FRACTAL UNIVERSE sous l'Altar. Les jeunes Nancéens sont d'une productivité impressionnante (quatre albums en presque autant d'années) et leur metal extrême et progressif (on pense à IHSAHN) nous séduit tout particulièrement quand la technique se met en retrait pour laisser parler les émotions et s'installer les atmosphères mélancoliques. Des remous, de la puissance, des interludes contemplatifs : on ne s'ennuie pas et notre esprit est constamment stimulés par une surprise, un détail, une évolution imprévue.

Ce qu'on n'avait pas forcément prévu, c'est aussi le succès de YOUTH CODE sur la MainStage. On les adore, mais on n'était pas sûrs que leur electro-indus-EBM hardcore super agressifs trouve son chemin jusqu'au cœur des métalleux un peu touristes venus chiller sur le gazon. Tu parles, l'énergie et le charisme de Sara Taylor déclenchent ce qu'il faut de circle pits. En live, on retient de YOUTH CODE la violence de l'agression mais on peut également en apprécier les nappes atmosphériques mises en place par Ryan George dans son coin pendant que sa compagne cavale sur scène, distribuant des coups de pied à des ennemis invisibles. Rien qu'à la voir, on perd cinq kilos.

Joli succès aussi pour HEALTH, dont l'électronique alourdie par les guitares a su toucher un nouveau public cet après-midi. Le chant introspectif et mélancolique de Jake Duzsik donne un côté planant au show, alors que John Famiglietti assure à lui seul la ventilation du festival avec son interminable crinière. Les deux derniers albums du groupe étant des collections de featurings, on se demandait si l'on aurait le plaisir de voir d'autres artistes passer une tête. Point de Reznor en pleine journée, fallait pas rêver (oui, mais on en reparle plus tard), mais Sara Taylor revient distribuer quelques mandales et taper quelques sprints en fin de set pour Innocence. Plutôt cool !

NITZER EBB, en revanche, cumule les handicaps. Annoncée pour remplacer SKINNY PUPPY, déjà, le groupe culte souffre de la comparaison avec le show cauchemardesque des Canadiens (même si en plein jour, on avait nos doutes). Mais surtout, la bande de Douglas McCarthy nous réservait une sacrée surprise : c'est en fait sans son charismatique leader et chanteur que NITZER EBB se produit ce jour-là. Ceux qui suivent l'actu du groupe étaient au courant, l'homme est actuellement hospitalisé, et finalement personne ne semble plus chagriné que ça vu que rares sont les connaisseurs (impossible d'échanger le moindre regard interloqué avec les autres types dans le pit photo, tout le monde s'en fout si y'a un chauve en marcel qui chante plutôt qu'un gars sorti tout droit de Reservoir Dogs). On se retrouve donc avec Bon Harris au chant, lui qui se planque d'habitude derrière des synthés ou des batteries, on vous dit pas la surprise au début. De l'EBM, à deux, au Hellfest, en MainStage ? NITZER EBB ne s'est pas démonté, enchaîne les classiques, Bon Harris assure carrément (niveau voix, finalement, la différence avec McCarthy est négligeable) et garde le sourire... Mais leur passage reste un des moments les plus étranges de cette édition, devant des festivaliers médusés qui se demandent un peu ce que c'est que ce truc. Du coup, dans le public ça fait la chenille, ça danse la macarena.... Et ça va ensuite se plaindre que franchement, c'était n'importe quoi et que ce groupe n'avait rien à faire là (pas de problème par contre pendant YOUTH CODE au dispositif similaire, ni pendant tous les groupes de vikings n'ayant rien de metôôôl non plus). Bravo pour l'ouverture d'esprit et la curiosité. Et dire qu'après, ça va pogoter sur du RAMMSTEIN, tout se perd, y'a pu d'saison (d'ailleurs, il commence à vraiment cailler)... Nous, on s'est bien marrés.

Changement d'ambiance pour les heures à venir : on commence par se perdre dans l'univers brumeux d'A.A. WILLIAMS et son rock folk mélancolique. C'est très élégant et sa parenthèse calme est particulièrement bienvenue au milieu de toute cette folie. D'ailleurs, des échos venus de l'Altar parasitent le son sur les bords de la Valley, dommage pour ceux qui se trouvent loin de la scène. Ceux qui ont la chance d'être plus proche sont transportés par les complaintes de la chanteuse à la ténébreuse présence.

IHSAHN, lui, attire les foules. C'est un habitué, et même un monument. On attend le génial virtuose de pied ferme, comme beaucoup d'autres personnes venues profiter du concert... Et, finalement, un peu comme à JERRY CANTRELL la veille, malgré tout notre respect et notre admiration pour le bonhomme, on s'est poliment emmerdés. Un choix de setlist curieux qui boude les morceaux les plus emblématiques et fédérateurs pour privilégier des titre plus exigeants, en festival, ce n'est pas toujours payant. Certes, Until I Too Dissolve et Mass Darkness réveillent notre flamme (plus que les reprises de Lenny Kravitz et IRON MAIDEN), mais IHSAHN, dans toute sa classe, toujours impeccable, n'a pas une présence suffisante pour captiver. Conscient de proposer un show inhabituel, il salue l'ouverture d'esprit de ce "festival de rock'n'roll". On comprend la démarche, on la respecte, on la salue même pour son intégrité et son ambition d'offrir à son public plus que ce qu'il attendait... Mais on en repart vaguement chafouins.

Bon allez, on est même un peu colère. Du coup on va bouder à la Valley. Y'a GODFLESH. Dispositif minimum sur scène, pas de fioritures visuelles, mais des gros parpaings qui font mal. Se manger les riffs de Shut me Down en pleine face, finalement, est le meilleur échauffement qui soit avant d'éventuellement aller voir MINISTRY plus tard dans la soirée. Un petit miracle se produit : GODFLESH, malgré une communication réduite au minimum légal, son refus total du spectacle et ses musiciens statiques, dégage en live une puissance rare, décuplant l'impact des enregistrements studio.

On décide de ne pas aller (re)voir tout le show KILLING JOKE : Jaz Coleman et ses copains jouaient déjà la semaine dernière et revoir le même groupe sur l'immense MainStage seulement quelques jours après ne nous semblait pas judicieux : il vaut mieux garder l'excellent souvenir de leur performance sur la scène moins gigantesque de la Valley, donnée à une heure plus tardive propice aux ténèbres glacées. Il y avait pourtant du monde pour les voir, ou revoir, et on ne peut que s'en réjouir. En revanche, hors de question de rater MOONSPELL, valeur sûre en live. Le charisme du line-up et la variété de la setlist suffisent à faire notre bonheur... surtout grâce à la forte présence des morceaux de l'excellent Extinct et ses accents gothic rock (les SISTERS OF MERCY ne sont pas si loin), qui avait pourtant disparu des setlists de la précédente tournée. Chouette surprise, qui nous console de la disparition des gadgets et des costumes de Fernando Ribeiro, l'enthousiaste chanteur.

Aller voir MINISTRY ? Ne pas aller voir MINISTRY ? Allez, pesons le pour et le contre : le dernier album est sans surprise. On les a vus des milliers de fois. C'est souvent très moyen, rarement génial. Ils ont viré comme des malpropres KMFDM et FRONTLINE ASSEMBLY de leur tournée US... Mouais. Mais en même temps, rien d'autre ne nous tente au planning. Sans grande conviction, on va donc une énième fois voir le groupe d'Al Jourgensen. Et en plus, il tombe des cordes. Super, ça commence bien cette affaire... Quand soudain se produit le plus grand miracle du festival : après une entrée sur l'hymne Ukrainien, le groupe balance un Breathe d'emblée qui met tout le monde d'accord. Al, regard vif, est déchainé. Il cavale, fait la mouette, grimace, à la fois complice et menaçant. Les riffs mordent fort et le show est à la fois profondément méchant, sale et irrésistiblement fun. On n'a jamais vu MINISTRY comme ça ces quinze dernières années... Est-ce la pluie qui tombe sur le public et donne au show un parfum apocalyptique monumental qui le galvanise ? Ou bien la présence de son ancien poulain devenu calif-à-la-place-du-calif, le petit Trent, qui suit le show discrètement planqué dans un coin ? Peu importe : MINISTRY balance une setlist parfaite (Bad Blood, la reprise de Supernaut, Thieves, So What, Just One Fix...) avec une énergie et une bonne humeur exceptionnelle. La baffe est aussi puissante qu'inattendue (en témoignent les échanges de réactions par sms du genre "mais putain comment ça tue" ou "il nous fait quoi le Al ? j'en saigne du nez !") et Jourgensen, redevenu le temps d'un concert le patron indiscutable d'un genre qu'il a fait exploser, descend dans le public serrer les mains de ses fans qui sont restés malgré la pluie. Il est si content d'être là que le Hellfest doit venir le déloger alors qu'il était parti pour rester toute la nuit... C'est qu'il est l'heure de laisser la place à ALICE COOPER. MINISTRY a été magnifique, MINISTRY a été glorieux, MINISTRY nous a fait rajeunir de vingt ans... Et dire qu'une heure avant, on hésitait à aller les voir !

Qui pouvait passer après un tel concert ? ALICE COOPER, évidemment. Showman exceptionnel, il assure un grand spectacle avec ses monstres, ses mises en scène, ses gadgets, son inévitable décapitation à la guillotine (et des adultes à tête de bébé creepy à mourir de rire) et bien sûr son éternelle Sheryl qui change de costumes selon les morceaux. Les hits s'enchaînent et quand il s'exprime enfin, c'est avec son mélange d'élégance et d'humour noir. On ne s'ennuie jamais devant cette monstrueuse parade réjouissante et la bonne humeur manifeste qu'y met tout le groupe, notamment son impressionnante guitariste Nita Strauss qui volerait presque la vedette au maître de cérémonie : les deux faisaient preuve d'une chouette complicité (la musiqienne vient cependant d'annoncer qu'elle quittait le groupe). A bientôt 75 ans, Cooper dégage une simplicité, une bienveillance, une envie de faire plaisir, une passion et une énergie communicative que devraient lui envier d'autres têtes d'affiche de cette édition.

L'envie de faire plaisir, la bienveillance, tout ça, c'est bien gentil, mais ça va un temps. Là, il fait nuit. Là, c'est NINE INCH NAILS. Alors on arrête les conneries, on éteint ces sourires agaçants et on attend ce qui est, pour nous, le gros événement du week-end. Des tonnes de fumée, de la pénombre, des stroboscopes et Mr Self Destruct pour entrer dans le vif du sujet sans traîner et donner au festival des airs de tempête de fin du monde : bonne nouvelle, Reznor ne va pas nous emmerder avec du Hesitation Marks ! Le groupe enchaîne les hymnes rageurs, le son est monumental (la violence de Last, la lourdeur de Reptile, les fantômes qui hantent Piggy...) et collent particulièrement bien à cette atmosphère de fin de soirée, alors que la pluie a transformé le sol en marécage, qu'on n'y voit rien, que l'air sent le danger. On peut néanmoins remarquer que la setlist est finalement assez prévisible (il arrive pourtant que le groupe joue Happiness in Slavery ou The Perfect Drug, et casse un peu la routine de ce final Head Like a Hole - The Hand that Feeds - Hurt que l'on se coltine depuis bientôt vingt ans... mais pas ce soir), NIN est une machine au professionnalisme inaltérable, un rouleau compresseur en live, et rien ne vient enrayer le show mené tambour battant. Seule surprise : le retour des petits gars de HEALTH (on vous avait dit qu'on en reparlerait) pour jouer pour la première fois en live Isn't Everyone : si le morceau n'est pas le plus mémorable, chacun restant un peu dans sa zone de confort, c'est le genre d'événements qui permette de rendre une date plus unique qu'une autre. Pour le reste, c'était un très bon concert de NINE INCH NAILS, comme d'habitude, rien de plus, rien de moins. (Comme on n'avait pas le droit de photographier le show, on vous partage deux photos de Nicko Guihal, comme ça tout le monde y gagne : nous on profite du concert, vous vous avez droit à une image plus jolie... Le seul qui y perd, c'est Reznor : il sait pas ce qu'il loupe à ne pas nous laisser le shooter !).

On note néanmoins en partant que la foule est moins dense que pour d'autres têtes d'affiche, peut-être à cause d'une météo atroce, ou peut-être que finalement, l'indus n'est pas aussi rassembleur que le hard rock de grand père. On s'en fout, nous, on a pris notre pied !

Top 3 de la journée (Pierre) : MINISTRY, NINE INCH NAILS, ALICE COOPER

Top 3 de la journée (Erick) : MINISTRY, MOONSPELL, ALICE COOPER

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FAUXX

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