Hellfest, jour 6 sur 7 : finalement, le temps passe vite quand on s'amuse. La fin du marathon approche mais on n'a pas pour autant le temps de souffler. En arrivant de nouveau de bonne heure sur place, on peut non seulement apprécier de patauger dans des flaques de boue qui ne demandent qu'à vampiriser les semelles des chaussures mais aussi et surtout aller voir des concerts un peu au pif pour essayer de découvrir des trucs et mourir un peu moins con.
On va donc faire la connaissance des CHANTS DE NIHIL, dont on entend pourtant parler depuis des éternités. Du black metal atmosphérique avec des mélodies marquantes et des chœurs aux airs de chant militaire lugubre : c'est plutôt élégant et les émotions y sont variées. On passe de l'épique au funèbre, de la violence à l'introspection avec un raffinement certain. Le constat est similaire pour NERO DI MARTE : malgré ses quinze ans d'existence, c'était pour nous une découverte. Le metal expérimental des italiens mélange influences extrêmes, progressives et doom pour un résultat qui peut parfois nous perdre en route mais stimule en permanence notre curiosité. C'est riche et complexe sans être non plus purement cérébral.
Parmi les concerts qu'on ne voulait surtout pas rater, il y avait MY OWN PRIVATE ALASKA. Le groupe français est sorti d'une décennie de silence juste avant que le covid ne vienne chambouler un come-back qui nous faisait particulièrement plaisir. MOPA joue avec les codes : pas de guitare, pas de basse, des musiciens qui jouent assis... Et pourtant, en terme de lourdeur et de puissance dans l'expression violente de sentiments, ils n'ont rien à envier à personne. Les mélodies fulgurantes et obsédantes à la Chopin épousent tout naturellement les hurlements de désespoir de Matthieu Miegeville (quelqu'un lui a demandé s'il était de la famille de Simon Pegg ?) et les coups de batterie. Parfois glacial, parfois plus rassurant, le groupe souffle le chaud et le froid avec style, poésie et rage. Plusieurs nouveaux titres nous laissent supposer qu'on entendra à nouveau parler d'eux. Tant mieux.
Après un concert aussi poignant, on avait besoin d'un truc plus solaire et moins éprouvant. Direction la MainStage pour voir AYRON JONES, dont le blues rock n'est pas si aseptisé que ce que l’appellation laisserait supposer. Elle ne rend d'ailleurs pas justice à sa musique qui emprunte également au grunge mais aussi parfois au hip-hop. Il en résulte des titres entraînants mais aussi un goût pour la lourdeur viscérale rageuse et l'envie de tout envoyer bouler. On note que l'artiste peut se reposer sur des musiciens super enthousiastes qui font le show pendant que lui garde sa moue boudeuse et ses grosses lunettes noires (on appelle ça "l'école Rob Zombie,", il paraît).
Et puis là, en milieu d'après-midi, on se retrouve comme deux ronds de flan, un peu claqués, en manque d'inspiration. Tiens, on va rarement à la Warzone. Et si on allait à la Warzone, là comme ça, au pif, histoire de voir des gens slamer ? Manque de chance : on se pointe en plein show du groupe de hardcore / death XIBALBA. En chemin, un copain nous croise et demande si "on vient perdre quelques neurones" : en fait, on venait se perdre nous-même, tout court. Mazette, mais dans quel Enfer nous sommes-nous fourrés ? C'est gras, sauvage, bourrin, on n'y comprend rien, des mecs font du karaté dans le public et à part s'éclater des canettes de bière sur la tête ou acheter un casque, on se demande bien ce qu'on pourrait faire d'autre à ce truc. Alors on retente notre chance ensuite pour les RUMJACKS, sorte de version moins connue des DROPKICK MURPHYS : des Irlandais qui chantent des trucs sur le fait de boire de la bière, d'aller au pub et de boire de la bière au pub. Le public apprécie (c'est d'ailleurs trop blindé pour approcher de la scène) et il se met à pleuvoir des slammeurs... Au point de voler la vedette au groupe qui, probablement mi-amusé mi-un-peu-jaloux-quand-même constate que les photographes présents leur font tous dos pour observer le public plus que les musiciens. Rigolo.
On a le temps d'attraper ARCTURUS en cours de route. On sait que le projet n'est pas franchement conventionnel et en live ça n'y loupe pas : il y a un temps d'adaptation nécessaire pour tout à fait comprendre ce qui se passe sous la Temple Stage. Entre les costumes des musiciens, des claviers en roue libre et la voix haut perchée décalée d'un chanteur qui erre sur scène avec des manches de camisole et s’assoit à côté de la batterie en attendant que le temps passe, le show ne ressemble à aucun autre. C'est foutraque, théâtral, barré et ce mélange avant-gardiste est, finalement, assez insaisissable. C'est aussi surprenant que réjouissant, mais comme souvent avec ce genre d'entreprises, il y a de fortes chances de se sentir abandonné sur le bord de la route. On pourrait y voir une mise en jambe pour IGORRR, qui joue un peu plus tard sur la même scène, finalement.
Dans la journée, on a croisé plusieurs personnes disant "oh moi cet après-midi, j'ai un planning plutôt light... Mais je ne raterais pas VILLAGERS OF IOANNINA CITY". Comme le nom l'indique, les musiciens viennent de Ioannina, en Grèce. Ils se sont pas trop foulés par le nom... Sûrement parce qu'ils étaient occupés à faire de la musique. La présence d'un joueur de Gaida sur scène nous laisse craindre un truc folklorique pénible pour jouer au Seigneur des Anneaux ou ce genre de conneries (après tout, y'a bien BATTLE BEAST et IN EXTREMO le même jour), tu parles : VILLAGERS OF IOANNINA CITY nous embarque nous un univers psychédélique et mystique teinté de stoner, de doom et de folk. C'est apaisant, chargé d'émotions et très élégant. Imaginez un rituel halluciné qui convoque aussi bien l'ombre de DEPECHE MODE (les lignes de chant ont parfois des airs, si, si) que des références plus lourdes. Tu parles d'une belle découverte, d'autant plus que le groupe est relativement rare chez nous !
Fin de l'errance et des découvertes (malgré un show pyrotechnique surprise de la troupe Mystical Tribes devant l'espace presse), il y a IGORRR. On sait que le bébé mutant de Gautier Serre est incroyable en album, faisant éclater toutes les attentes, toutes les frontières pour mélanger avec génie du gros metal, de l'opéra baroque, du breakcore, des cris d'animaux et diverses musiques du monde. En live, IGORRR est une merveille au show majestueux et imposant (que l'on redécouvrait récemment au Trianon, la bave aux lèvres). Sauf ce soir. Ça nous fend le cœur, mais non, désolé, ça ne veut pas marcher. Avec un show mutilé de 15 minutes (sur 50, ça compte) en raison d'un problème technique (commencer sous quelques sifflets n'aide pas), IGORRR n'avait aucune chance d'être vraiment dedans. Ajoutons à cela la lumière du jour qui filtre sous la Temple Stage et ampute les lumières d'habitude magnifiques... Alors certes les musiciens donnent tout, on est surtout impressionnés par le nouveau duo au chant où la présence de JB Le Bail intimide et Aphrodite Patoulidou fascine avec son énergie et la puissance hallucinante de sa voix… Mais condamné, c'est condamné : mené tambours battant, le concert n'a pas le temps d'installer cette ambiance théâtrale qui en fait tout l'intérêt, nous on n'a pas le temps d'entrer dedans et, sûrement pour la première fois, IGORRR nous déçoit. C'est d'autant plus cruel que les pauvres n'y sont pour rien et ont tout fait pour que leur minuscule demi heure de show soit mémorable. Quand ça veut pas, ça veut pas…
En allant voir MYRKUR, on est de nouveau déçus, mais cette fois "en bien" comme on dirait en Suisse. La venue d'Amalie Brunn était déjà prévue en 2019, mais l'arrivée imminente de son bébé avait donné lieu à un remplacement de dernière minute par JO QUAIL. La découverte de l'orientation folk / acoustique de MYRKUR sur scène nous laissait pourtant dubitatif : son album Folkesange est certes très beau, mais tout cela ne risquait-il pas d'être un chouïa soporifique ? Surtout qu'on ne garde pas d'Amalie Brunn le souvenir d'une artiste à la présence scénique incroyable. Eh bien, que nenni. On la découvre occupant parfaitement l'espace, captant l'attention et créant une atmosphère intimiste magique avec ses mélodies mélancoliques et nostalgiques et ses chants inspirés des traditions scandinaves. Sa voix suffit à elle seule à maintenir notre intérêt et quelques maquillages complètent le tableau… A l'arrivée, alors qu'on ne dirait pas forcément la même chose des enregistrements studio, on se surprend à préférer MYRKUR en live comme ça plutôt qu'avec des amplis branchés et des guitares énervées. On en ressort apaisé, comme soulagé d'un poids, et avec l'énergie de finir la journée.
Doit-on parler des GUNS'N'ROSES ? Doit-on rester pudiques et respectueux, en hommage à ce que ce groupe a été ? Doit-on insister cruellement sur la voix d'Axl Rose, que le FBI cherche toujours désespérément ? Sur l'absence d'alchimie dans ce line-up "mythique" enfin reformé ? Sur les errances d'un frontman autrefois incroyable et qui continue d'abandonner ses copains sur scène, leur laissant la tâche ingrate de meubler pendant de longues parenthèses ? Comme le disait Panpan dans Bambi : si tu n'as rien de gentil à dire, alors tais-toi. N'en parlons pas plus, alors.
Comme les curieux qui papillonnent un peu tous au hasard sont allés voir les GUNS, la Temple Stage est plus respirable pour le show de MOONSORROW, qui se déroule donc devant une audience de connaisseurs. Leur mélange de black et de pagan fonctionne bien, c'est sauvage, puissant et charismatique. Le groupe n'ayant pas spécialement de nouvel album à défendre sur scène, il puise dans sa discographie pour offrir une sorte de best-of condensé, toujours conquérant. Les amateurs d'hymnes belliqueux virils peuvent enfin laisser jaillir la testostérone qui les démangeait pendant MYRKUR !
La venue de CONVERGE en formation Bloodmoon (avec Chelsea Wolfe, son producteur Ben Chisholm et Stephen Brodksy de CAVE IN) était pour nous l'événement de la journée (on ne s'est donc pas ému plus que ça de l'annulation de KATATONIA à la dernière minute, prévu sur le même créneau horaire). Le line-up en impose, l'événement est inédit et l'album composé par tout ce beau monde a beau avoir divisé, nous, on en est fans. En live, l'enchantement est immédiat : le groupe a la bonne idée de démarrer avec Viscera of Men et d'enchainer avec les chœurs hypnotiques de Coil, de quoi nous plonger d'emblée dans l'ambiance mélancolique et mystique de ce projet atypique et d'en offrir un aperçu relativement complet en deux titres, entre violence des fulgurances hardcore, pesanteur doom et ténèbres fascinantes. Au chant, l'expressivité de Jacob Bannon contraste avec la discrétion de Brodsky et la présence spectrale de Chelsea Wolfe, qui semble attirer sur elle toute l'obscurité du monde. Le concert est enchanteur, tumultueux, sombre, puissant, poétique et majestueux. On pourrait cependant pinailler et trouver que la voix de Chelsea Wolfe manque un peu de présence : problème de mix ou santé fragile (la chanteuse s'éloigne régulièrement pour tousser) ? On ne boude pas notre plaisir : notre âme saigne un truc épais et noir et, devant quelque chose d'aussi sublime, le temps passe cruellement trop vite. Le mot de la fin sera pour Chelsea Wolfe, qui s'approche du micro alors que le final en apothéose du morceau Bloodmoon joué en conclusion résonne encore. Pour nous remercier ? "Fuck white supremacists, my body, my choice". Oh, Chelsea (émoji cœur).
Après quelque chose d'aussi fort, on n'avait pas envie de se confronter à d'autres groupes, d'autres univers. On a préféré préserver notre petit nuage de noirceur magnifique et quitter les lieux sur ce qui restera une des plus belles impressions du festival.
Top de la journée (Pierre) : CONVERGE : BLOODMOON, VILLAGERS OF IOANNINA CITY, MY OWN PRIVATE ALASKA
Top de la journée (Erick) : CONVERGE : BLOODMOON, MY OWN PRIVATE ALASKA