Hellfest 2024 - Jour 2 @ Clisson - 28 juin 2024

Hellfest 2024 - Jour 2 @ Clisson - 28 juin 2024

Pierre Sopor 9 juillet 2024

Hellfest, jour deux : comme des gamins survoltés qui sautent dans tous les sens pour essayer de gratter quelques précieuses minutes avant l'heure du dodo ("stp pitié, on peut regarder... la météo ?", s'accrochent-ils, comme si les prophéties d'Alain Gillot-Pétré détermineraient le reste de leur vie), on est là, de bon matin, à répéter que non, on n'est même pas fatigués. Il en faudra de l'énergie pour la journée que l'on s'est prévue, avec ses multiples grands écarts acrobatiques entre trucs de jeunes plein d'énergie, metal noir boudeur et déprime en plein soleil.

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L'amie du petit déjeuner s'appelle Saint Agnes, comme la ville des Alpes-Maritimes, mais le groupe est originaire du Royaume Uni et on y dit plein de gros mots. Le concours de "fuck" à la seconde est lancé par la chanteuse Kitty A. Austen et le rock rageur du groupe, qui pique au grunge, au rap, à l'indus et au punk, déborde d'une énergie convaincante. On ne dit pas ça souvent, mais voilà le genre de trucs solaires énervés et outranciers, à la fois viscéraux et rigolos, qui s'apprécient en plein jour et donnent envie de faire la fiesta en pétant des trucs. Heureusement, le black metal venu des mers de Houle nous rafraichit illico avec ses embruns. Le groupe vient de faire sensation avec son premier album Ciel Cendre et Misère Noire et le live, lui aussi, marque les esprits. Silhouette boiteuse commençant le concert errant une lanterne à la main parmi le public, la chanteuse Adèle "Adsagsona" Adsa est intenable et incarne toute la rage aventureuse des morceaux, cavalant inlassablement le long de la scène. Cirés, bottes, tee-shirts rayés : ça sent la marée, l'océan, sa force, ses mystères aussi. En face, nous sommes bien peu de choses et la musique de Houle, puissante, noire mais aussi mélodique et atmosphérique, nous emporte au large et nous submerge de sa personnalité. On apprécie tout particulièrement les contrastes apportés par les accalmies et les passages en voix claire, entre désespoir et démence.

Le désespoir, c'est trop bien. On ne peut résister à la mélancolie écrasante de The Devil's Trade dont les mélopées enveloppent le public de la Valley. C'est d'une beauté saisissante. Le doom folk minimalistes des débuts a muté, Dávid Makó a désormais un copain à la batterie et un autre aux claviers et le résultat évoque un rock lourd, sombre et poétique à la Antimatter ou A.A. Williams : à la fois écrasant et aérien. Deux bémols cependant : en plein soleil, l'effet n'est pas le même (mais quel stagiaire ivre mort a pu se gourer au point de coller la Valley en plein air, déjà ?) et, plus grave, en se laissant pousser la barbe Makó est passé d'un faux sosie de Tom Hardy dans Bronson à un faux sosie de Philippe Etchebest, et on préférait clairement avant. En tout cas, il nous fait fondre avec ses sourires bienveillants, introduisant ses chants d'une tristesse infinie avec une bonne humeur à se tordre de rire... avant de mieux nous nouer les tripes.

On a dit grand écart. On a dit "ce soir y'a Prodigy, alors aujourd'hui, on fait un peu les kékés". Alors pour se dépêtrer des chagrins précédents, direction les Main Stage et Wargasm, le duo neo-electro-metal encensé par Jonathan Davis. C'est clinquant, exubérant, d'une élégance approchant le néant. Mais ça envoie, oui, ça c'est sûr. Le duo formé par Sam Matlock et Milkie Way accapare l'attention, réclame des moshpits ("on sait que vous êtes français, mais vous savez quand même faire ça ? Et la taille, ça compte : plus c'est gros, mieux c'est !"). Un peu comme en studio, on meurt d'épuisement au bout de trois morceaux et les postures semblent un peu trop forcées, mais force est d'admettre que c'est d'une efficacité imparable. On en revient au concours de fuck, mais Wargasm comme Saint Agnes se sont lancés dans un jeu dangereux : vouloir concurrencer les Dropout Kings.

Que l'on vous rassure : notre instinct nous hurlait d'aller plutôt voir Shores of Null. Mais on a dit "ce soir y'a Prodigy, alors on fait les kékés". On assume, let's go la Warzone pour voir les fameux Dropout Kings. Bon sang, mais qu'est ce que c'est que ce cirque ? Des types avec des bouées qui sautent dans tous les sens, essayent de balancer un ballon de plage dans le public en se ratant à chaque fois. Deux chanteurs : Adam Ramey, planqué sous un bonnet et des lunettes, passe la moitié du concert dans la foule pendant qu'Eddie Wellz est un spectacle à lui tout seul. Mimiques, sourires XXL, énergie explosive : on gueule comme des possédés, on balance des kamehamehas sur l'hommage au papa de DBZ Toriyama, des riffs poids lourds viennent secouer les influences trap et surtout on mitraille du fuck à la seconde comme personne. Jouissif et complètement barge, la performance souffre d'un défaut majeur : c'était quoi ce son ? Rajoutez-nous des graves que l'on puisse faire les hommes des cavernes comme il se doit sur PitUp et GlitchGang !

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L'heure tourne, on n'est toujours même pas fatigués ! Les groupes qui jouent commencent à être plus sérieux : on souffle un coup devant Klone, le groupe de prog est toujours d'une classe folle et, bien qu'avec les années le propos se soit apaisé, il balance sous l'Altar quelques secousses bien senties. Plus intense que sur ses derniers efforts studios, Klone, qui a joué un nouveau morceau au titre d'Interlaced, nous donnerait-il un indice sur l'orientation de son nouvel album qui arrive ? Nous verrons, en attendant on a apprécié le retour du saxo sur scène, une rareté ! Côté Main Stage, on a droit à du gros metal indus rugueux et lourd avec Fear Factory, l'affiche 2024 du Hellfest n'ayant laissé qu'une place infime au genre. On y découvre leur nouveau chanteur Milo Silvestro, qui fait le job avec enthousiasme au milieu des tauliers Tony Campos et Dino Cazares, ça fonctionne mieux que ce que l'on attendait... Toujours pas fatigués ? Même pas. Mais quand même un peu. Alors on retourne à l'ombre de l'Altar voir Einar Solberg, le chanteur de Leprous, en "solo" (mais bien entouré quand même). Sa voix haut perchée, les violons, les touches jazz, pop et prog : tout cela fonctionne très bien et offre une oasis calme et poétique aussi surprenante que bienvenue. Solberg taquine son public qui répond un truc genre "ouuaaaaiiiiis !" à la question "comment allez-vous ?", regrettant que l'échange ne puisse aboutir d'un "nous allons merveilleusement bien, merci" : on fait le sensible, mais on n'en oublie pas de rigoler.

Juste avant Fear Factory, on a quand même assisté au show de Reuno. Désolé, l'ami : Lofofora est un peu loin de nos rivages musicaux, mais tu nous as régalés. Après le wall of death boiteux de Slaughter to Prevail la veille, le happening du jour, c'était lui. Ce grand bonhomme au regard à la fois tendre et fou a multiplié les missiles entre les morceaux : le racisme, la misogynie ("si tu sais pas contrôler ta bite, mets-y un cadenas" avant de se lancer dans Macho Blues en compagnie de deux Femen et leur slogan "l'Enfer c'est vous,   nous, c'est MeToo !"), l'écologie et la programmation du festival ("alors le Hellfest, t'es content d'avoir payé 350 boules pour voir Shaka Ponk et sa tournée écolo avec huit semi-remorques ?" - on n'est pas sûr du nombre exacts de camion mais vous avez l'idée), le tout avec en fond un message explicite : Nique le R. Haine. Le gentleman punk, toujours aussi intègre et subtil, toujours poil à gratter, a trollé à tout va et les fans de Steel Panther ou Shaka Ponk en ont pris pour leur grade. Du côté de l'orga, qui a mis le paquet sur la communication avec de nombreuses affiches et leur stand Hellcare (en attendant de voir si ces mesures sont sincères ou de vulgaires écrans de fumée), on doit serrer les dents. Nous, on a bien ri.

CA SUFFIT LES SENSIBLERIES ! FINI LES KLONERIES ! MAINTENANT IL Y A DES EXPLOSIONS, DU FEU, LA GUERRE ! On écrit gros, parce que comme ça, vous lirez en criant dans votre tête. Parce que Kanonenfieber nous a rendu sourds d'entrée avec ses feux d'artifice d'étincelles. Le groupe de black metal allemand nous fait revivre la Première Guerre Mondiale pour dénoncer toutes les atrocités de la guerre. Les musiciens cachent leur visage, hommage au Soldat Inconnu. C'est spectaculaire et martial, la pyrotechnie vient souligner les variations imprévisibles de rythme et le groupe attaque avec la récente et furieuses Menschenmühle, premier extrait d'un nouvel album qui succédera à un premier nommé lui aussi Menschenmühle (vous suivez ?). On en prend plein les yeux et plein les oreilles, le concept est solide et on tient un truc en tenues militaires avec DES EXPLOSIONS moins lourdingue que Sabaton, dans un genre plus fréquentable pour les esprits chagrins comme nous.

Choc de planning : Satyricon ou Clawfinger ? Là encore, nous avons été contre nos instincts ("on n'est même pas fatigués !") pour céder à la nostalgie devant Clawfinger. Là encore, aucun regret. Les Suédois ont offert un des shows les plus sympathiques que l'on ait vu cette année. Pas d'album depuis 2007 (mais quelques singles ici ou là), un projet né il y a trente-cinq ans : le groupe a bien conscience de ses propres limites et joue avec. Rois du second degré, les très très vieux messieurs sur scène nous remercient de ne pas être allé voir Tom Morello ("il n'est pas foutu de chanter" balance Jocke Skog, ce à quoi le chanteur Zak Tell répond "moi non plus"). Surtout, Clawfinger envoie du lourd avec son mélange rap-metal-indus qui sent bon les années 90 et leurs clips plein de Vivelle Dop et de couleurs saturées. Hold Your Head Up, Biggest & the Best, Do What I Say : un peu comme Body Count qui joue plus tard sur la même scène, Clawfinger a compris que ce n'est pas parce que c'est daté que c'est ringard. C'est fédérateur, fun et jouissif. Le tee-shirt Powder for Pigeons de Skog lance cependant un débat : le Hellfest, un festival pour les pigeons ? A en croire la présence de plusieurs de ces sympathiques Columbidae sur des éléments de décorations du site, la réponse serait oui.

Cette année au Hellfest, il y avait le gars d'Iron Maiden en "solo". Il y avait le gars de Slipknot en "solo". Il y avait le gars de Leprous en "solo". Un mec de Rage Against the Machine en "solo", etc, etc. Mais, alors que la nuit tombe, il est temps d'aller rendre hommage à l'empereur car Ihsahn était là, et avec son groupe, lui. Les traits inquiétants de Samoth à la guitare, Jørgen Munkeby de Shining toujours aussi impliqué aux claviers... et le détachement toujours délectable du boss, Ihsahn, chemise-lunettes, sobre et élégant, aux antipodes des codes du genre. Le son est dantesque, les morceaux n'échappent pas à la folie de leur génial créateur qui s'envole le temps de quelques fulgurances progressives surprenantes. Après un I Am The Black Wizards qui fait toujours son effet, il fait scander la foule sur Inno A Santana : ça en jette et réconcilie ceux qui avaient été un peu perdus après l'étrange set d'Ihsahn en 2022 plein de reprises.

Alors que la fin de cette seconde journée approche, le pire dilemme de la programmation se profile à l'horizon. Les restrictions photos sur The Prodigy nous laissent alors le choix entre Body Count et Anaal Nathrakh. Pourquoi choisir quand on peut courir entre les scènes ("on n'est même pas fatiguééééés !"). Côté Body Count, on est évidemment cueillis par la mythique Body Count's in the House qui permet à Ice-T de présenter ses éternels camarades Ernie C tout en rouge à la guitare, Vincent Price à la basse... mais aussi le fiston, Little Ice, qui fait partie du line-up depuis 2016 et assure quelques backing en plus de mettre l'ambiance. Body Count, comme Clawfinger plus tôt, nous ramène quelques décennies plus tôt (la moitié des morceaux joués ont au moins trente ans) et bien qu'Ice T, du haut de ses 66 ans, ne soit pas totalement explosif (son fils se charge de remuer dans tous les sens), son flegme en impose. Côté Temple, Anaal Nathrakh, face à une audience clairsemée (la concurrence est rude), est impérial. Leur metal extrême qui pique au black, à l'indus et au grind ratatine le public. Le chanteur s'amuse : "si vous voulez des tubes, il y a The Prodigy. Nous on n'a pas de tubes". Ce qui n'empêchent pas des titres comme les théâtrales et massives Forward et Obscene As Cancer de servir vaguement de hits. C'est massif et fou. Précision pour les profanes : non Anaal n'a rien à voir avec les popotins et vient de l'Irlandais anál nathrach, le souffle du serpent. Si vous vouliez des popotins, il y avait Steel Panther...

Et Prodigy alors ? Bon, eh bien, il y avait un monde de fou, des lasers, une ambiance rave au Hellfest à 1h du mat qui fait plaisir, les immortelles comme Breathe ou Poison ça envoie, Maxim passe les morceaux à s'époumoner et on a rarement vu un groupe qui fédère chez autant de générations ou de genres musicaux au Hellfest, symbole d'une ouverture qui a fait grincer quelques dents. Nous, on est ravis, même si on a assisté à tout ça d'un peu loin. On commençait à être un peu fatigués, quand même.

Nos tops 3 (par ordre alphabétique) :
Pierre : Anaal Nathrakh, Dropout Kings, Emperor
Erick : Clawfiner, Emperor, Wargasm

SAINT AGNES

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HOULE

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THE DEVIL'S TRADE

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WARGASM

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DROPOUT KINGS

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KLONE

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FEAR FACTORY

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EINAR SOLBERG

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KANONENFIEBER

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CLAWFINGER

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EMPEROR

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ANAAL NATHRAKH

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BODY COUNT

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