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Hellfest, troisième jour. Jusque là, on se vantait de ne même pas être un peu fatigués. Tu parles, cette fois, ça cogne et heureusement le programme qui se profile pour cette journée nous colle des insomnies tant on anticipait certains concerts. Toujours pas fatigués ? Eh bien, pour tout vous dire, on en a raté le début de set de Përl et croyez-nous, c'est bien la mort dans l'âme. Le groupe, vainqueur du tremplin Voice of Hell (c'est mérité !), plonge la Valley dans une humeur maussade avec son post-metal poétique fait d'explosions cathartiques et d'accalmies mélancoliques. La musique prend aux tripes, c'est à la fois enragé et beau et si la pluie associée à l'horaire matinal n'aide pas le groupe à réunir une foule monumentale (mais bon sang, figurez-vous que malgré nos protestations, personne n'a décidé pendant la nuit de remettre cette scène sous une tente, un scandale !), on apprécie la fraicheur et la grisaille qui accompagnent si bien l'humeur.
S'il y en a qui ont bien profité de la pluie, c'est Eihwar. On commencerait presque à s'habituer à voir des groupes triompher de la sorte de bon matin (on se souvient de Shaârghot en 2019). Un visuel accrocheur, une Temple Stage idéalement placée à l'entrée du festival pour capter les lève-tôt curieux et un abri pour ceux qui ont peur de se mouiller : tous les ingrédients sont réunis pour attirer l'attention. Le duo electro-pagan assume sa démarche décomplexée et fun, davantage fantasme festif et chaotique que posture pseudo-historique (ils nous racontaient tout ça en interview) et enchaîne les tubes en puissance. La Temple se transforme en dancefloor à l'heure du petit déjeuner et s'amuse des danses possédées d'Asrunn, contrastant avec la silhouette plus en retrait et mystérieuse de Mark aux machines. Pour peu que l'on laisse de côté nos inhibitions, Eihwar propose un cocktail jouissif dont la simplicité primitive apparente n'enlève rien à l'efficacité : ça fonctionne d'emblée, c'est épique, mystique et dansant, le public en ressort comblé et il y a quelque chose de touchant à voir ces deux-là, apparus d'un peu nulle part il y a à peine un an, rencontrer un tel succès. Pourvu que ça dure !
Faisons un peu le yoyo : après la cérémonie orgiaque d'Eihwar, Konvent vient fracasser nos sourires avec sa pesanteur proche du funeral doom. Présence inquiétante, la chanteuse Rikke Emilie List et son regard imposent une ambiance mystique : le rituel de Konvent est d'une puissance et d'une lourdeur monumentale, on en ressort tout retourné. Le yoyo, alors : retour à la Temple pour retrouver une fiesta costumée, cette fois avec les Mongols de Uuhai. Comme The Hu, ils mélangent musique traditionnelle de leur pays (le fameux chant de gorge est bien sûr de la partie) et du gros rock accrocheur. La force de Uuhai réside dans l'énergie qu'ils dégagent, notamment le chanteur Ts. Saruul dont l'enthousiasme incarne à lui seul le propos de Uuhai : le nom est un cri de ralliement, l'équivalent de notre Hourra.
Si l'on avait prévu de plus ou moins passer la journée devant la Valley avec quelques incursions du côté de la Temple Stage, on se risque à approcher des Main Stages pour y voir Alien Weaponry qui se retrouve sur le même créneau horaire qu'il y a deux ans, devant des gens qui attendent Metallica, comme il y a deux ans. Aucun album n'est sorti entre temps : on se prépare alors à une redite. Entre temps, les cheveux de Lewis de Jong, chanteur et guitariste, ont poussé. Le trio a gagné en assurance, en présence, et profite du Snake Pit installé pour Metallica pour s'approcher du public. Leur groove metal catchy infusé de culture maori fonctionne toujours aussi bien : c'est percutant en entraînant. On a désormais hâte de les voir grandir et franchir de nouveaux paliers.
Scoop au Hellfest ! Scandale ! Infamie ! Il est bientôt 13h et la Valley est toujours en plein air, c'est la deuxième année de suite et ça ne peut vraiment plus durer ! Conséquence fâcheuse : impossible d'entrer dans le set de Spotlights, que l'on attendait pourtant de pied ferme. On les aime d'amour, leur mélange introspectif post-metal / shoegaze aux touches grunge est d'une élégance saisissante, mais là, sous le soleil, avec un son pas terrible (dans la Valley, on a cru entendre les échos ?), pas aidés par la fatigue, c'est compliqué. Un tel univers se prête à l'intimité et à la pénombre. Partie remise. Heureusement, sous la Temple, il y a de l'ombre et le mélange americana / western / black metal de Wayfarer peut y ramper et séduire avec ses touches mélodiques. Le background western reste discret, on évite le folklorique rigolo mais on aurait peut-être aimé que ce soit un tantinet plus poussé pour plus de singularité. Pour le reste, c'est la classe.
Pas de pluie mais pas non plus de soleil éblouissant : les conditions pour voir Brutus sont bonnes... Enfin, c'est sans compter sur la foule, impressionnante. Que s'est-il passé du côté de Brutus ces dernières années ? Eh bien, il s'est passé Unison Life, tout simplement, une merveille post-tout (punk, hardcore, metal, rock, pop) bouleversante que le trio défend depuis sans relâche sur scène. Brutus est partout, tout le temps, mais surtout dans nos cœurs : cet après-midi, les Belges sont habités. Derrière ses fûts, Stefanie Mannaerts donne tout avec rage, sourires, douleur et sueur, joue comme personne des fêlures dans sa voix. Quelle performance ! On a déjà vu Brutus par le passé, on a toujours trouvé qu'il manquait un petit quelque chose ou que les balancer en plein jour en festival était criminel. Tout ça, c'est du passé : Liar, Miles Away, Brave, What Have We Done... Brutus retourne son public qui, faute de place, suit parfois le concert depuis des angles improbables d'où on ne voit même plus les écrans géants. Heureusement, on a pu profiter une dernière fois de les voir avant qu'ils ne soient "trop grands" car la prochaine fois, il faudra les coller en Main Stage.
Après Brutus, on aurait pu retourner un peu sous la Temple voir Kvelertak ou Corvus Corax. On préfère plutôt souffler et garder en nous les échos de ce dernier concert, les savourer encore un peu avant le prochain rouleau-compresseur émotionnel. Se dire qu'on enchaine Brutus et Chelsea Wolfe, rien que ça, pour nous, efface la fatigue. Trois semaines après un concert parisien mémorable (on vous le racontait par ici), Chelsea Wolfe prend place sur scène avec sa sobriété habituelle. On regrette que la Valley, toujours en plein air (prenons les paris : dans quelques décennies, on sera encore en train de râler là-dessus en nourrissant les pigeons sur un banc public), empêche de profiter d'un show lumière pourtant impressionnant en salle. Ce sera le seul bémol : toujours dans une démarche cyclique depuis She Reaches Out to She Reaches Out to She, Chelsea Wolfe met en lumière son dernier album, déjà synthèse de son œuvre, mais laisse également de la place à toute sa discographie.
Les sonorités trip-hop / indus gothiques (le rendu live de Feral Love est à tomber) mutent en doom mystique avec 16 Psyche, alors qu'une fine pluie commence à tomber sur un public happé. Le temps d'arriver au magnifique enchaînement Carrion Flowers / After the Fall, ce sont des trombes d'eau. Ce n'est pas de la pluie : le ciel, déchiré, pleure devant la beauté du set. On n'est pas bien, là ? Quel plaisir, toute cette tristesse ! La météo est en harmonie parfaite avec l'humeur, on n'aurait pas pu rêver mieux. On ne sait pas qui a foutu la Valley en plein air, mais qu'on lui donne une promotion : c'est une idée de génie ! Les bonus du jour ? Le retour sur scène de la chanteuse de Konvent et ses growls d'une profondeur insondable sur Vex et un final acoustique sur Flatlands.
Heureusement, on retrouve un peu de légèreté par la suite : Nekromantix et son show psychobilly, sous la flotte, ça passe très bien. Trente-cinq ans de carrière, une contrebasse caractéristique en forme de cercueil, une énergie communicative et une foule qui laisse la place de respirer grâce à l'action conjuguée de la pluie et de l'heure du concert de Metallica qui approche, drainant la foule pour faire de la place sur les "petites" scènes : voilà les ingrédients d'un bon moment. On reste dans le décalage avec Mr Bungle : il tombe des cordes, on est trempés, mais on ne résiste pas à l'occasion, rarissime, de retrouver Mike Patton et son projet dingo. On ne va pas se mentir : c'est d'ailleurs l'intérêt principal du set. Facétieux, intenable, il assure le show avec ses blagues débiles dignes de Beavis & Butt-Head et ses excentricités, au milieu d'un line-up plein de gueules connues (coucou Scott Ian et Dave Lombardo)
Mais, et la musique ? Eh bien, il y a deux versions. Soit on se laisse prendre au jeu de ce truc bordélique mais néanmoins un peu plus accessible que prévu via un set blindé de reprises qui a le mérite de plaire au public (avec notamment Andreas Kisser en guest sur Territory de Sepultura et Wolfgang Van Halen sur Loss in Control ou Speak or Die de Stormtroopers of Death - Scott Ian oblige - renommé en Speak French or Die)... Soit on est un peu déçus, quand on a enfin la chance de voir Mr Bungle en live, de n'avoir droit qu'à un set composé à moitié de reprises et à moitié de titres de leur dernier album, The Raging Wrath of the Easter Bunny Demo, le premier en vingt ans mais réenregistrement d'une démo de 1986 et pas forcément ce que le groupe a de plus intéressant. Sorte de cover band thrash metal fracassé, Mr Bungle régale ou agace, c'est selon, et la performance repose beaucoup sur les épaules de son leader. On se régale néanmoins d'un My Ass is On Fire vers la fin du set qui amène ce côté décalé, déglingué, généreux et touche à tout que l'on aurait aimé un peu plus voir ce soir. Verdict : choisissez votre camp. Option 1 : quand on est Mr Bungle, on se doit d'être plus qu'un cover band rigolo de milieu de journée ou de fête de la musique. Option 2 : quand on est Mr Bungle, on s'en fout, on vous emmerde, on fait ce qu'on veut et personne ne nous dicte notre conduite.
C'est trop bien la pluie. C'est trop bien Metallica. L'action cumulée de ces deux facteurs nous permettent d'avoir droit à un concert privé de Julie Christmas (vous l'aurez compris, ici, la reprise d'Indochine par Metallica qui a tant fait jaser, ça nous fait ni chaud ni froid)! Il n'y a pas grand monde pour le dernier show de la Valley ce soir. On est trempés, on est gelés, mais on n'aurait pour rien au monde raté cette artiste si rare et atypique. On ne savait d'ailleurs pas trop à quoi s'attendre, on n'en est que mieux cueillis. La voilà qui arrive sur scène avec un masque bizarre, comme une tête de mouche, et une robe en forme de sapin de Noël stylisé recouvert de guirlandes lumineuses (on ne s'appelle pas Christmas pour rien) : on est immédiatement conquis et la cerise sur le gâteau vient de la musique, avec cette entrée sur Bones in the Water de son groupe Battle of Mice.
C'est à la fois théâtral, lourd, drôle, inquiétant, viscéral, épique et furieux. La chanteuse, dans son rôle de créature bizarre, enfantine et creepy, est montée sur ressorts. Sa performance, comme sa musique, est insaisissable, variée, à la fois cathartique, intime et complètement folle. A la voir gambader, hurler, secouer sa tête dans son drôle de costume, un seul mot nous vient à l'esprit : zinzin. Julie Christmas est totalement zinzin. Son mélange doom / grunge / punk / rock alternatif, croisement improbable d'Amenra, Björk et Queen Adreena est zinzin. Le titre de son dernier album, Ridiculous and Full of Blood, finalement, la synthétise bien : on y saigne, on y sourit avec sincérité mais aussi un certain recul. Elle étale ses tripes tout en faisant le show. Monumentaux, déglingués, ludiques, les titres récents s'enchaînent et les refrains de Supernatural, la tension de Not Enough et les mystères feutrés de The Lighthouse résonnent dans la nuit. Johannes Persson de Cult of Luna, ici à la guitare, rugit sur End of the World. Cette grande crise de folie schizophrène, touchante et libératrice, s'achève par une distribution de câlins de l'artiste à son public. C'était incroyable, c'était zinzin. Pour nous, c'était aussi très probablement le meilleur concert de cette édition 2024, à la fois confirmation et surprise foudroyante, on en est ressortis dans tous nos états.
Nos tops 3 (par ordre alphabétique) :
Pierre : Brutus, Chelsea Wolfe, Julie Christmas
Erick : Julie Christmas, Mr Bungle, The Interrupters