Chatou, début juillet, un samedi après-midi : le Catovien standard avait prévu d'aller faire un tour vers l'Île des Impressionnistes après la sieste voire, pour les plus fous, de pousser jusqu'à la forêt de Saint-Germain-en-Laye. Arrivé à proximité de la station de RER, il pourrait croiser quelques groupes de gens étranges et souriants : tee-shirts sombres, coiffures exotiques et parfois même, diantre, des tatouages. Tout fout l'camp, ma bonne dame : v'là que les beatniks envahissent cette charmante bourgade des Yvelines ?
Pour la quatrième année consécutive, Chatou accueille en son sein le Kave Fest qui, comme son nom ne l'indique absolument pas, se déroule dans le jardin ensoleillé d'un particulier. Ou plutôt de ses parents, qui sont probablement eux aussi bien particuliers ! Environ 300 festivaliers réussissent à y entrer avant que ça n'affiche complet et huit groupes se succèdent sur la scène installée pour l'occasion. Bien loin du bling-bling des gros festivals estivaux, le Kave Fest propose à la fois une expérience vraiment familiale mais aussi une programmation de qualité. Jugez par vous-même : les têtes d'affiche cette année se nomment BUKOWSKI et DEAD BONES BUNNY. Vous avez déjà eu ça dans votre jardin, vous ? Et puis, d'ailleurs, vous avez un jardin, vous ?
Premier constat en arrivant sur place aux alentours de 14 h : il y a déjà pas mal de monde. Plus que l'an dernier à la même heure. L'excellente réputation du festival y est probablement pour quelque chose (plusieurs artistes présents l'an dernier sont dans le public), sa chouette affiche aussi. Tant mieux, FUNNY UGLY CUTE KARMA aura du public.
FUNNY UGLY CUTE KARMA
Le deuxième constat en arrivant à 14h, c'est que le soleil cogne fort pile-poil devant la scène. Du coup, tout le monde s'entasse sous les arbres pour grappiller un peu d'ombre et éviter de mourir avant l'heure du goûter.
FUNNY UGLY CUTE KARMA (vous pouvez raccourcir tout ça en F.U.C.K.) a prévu le coup : deux personnes armées de pistolets à eau arrosent les badauds. Après tout, on est là pour s'amuser, et F.U.C.K. sait y faire, que ce soit avec ses morceaux décalés (du gros fourre-tout fédérateur qu'est On The Run à cette reprise de Radio Video de SYSTEM OF A DOWN), ou encore le côté ludique et bricolé de la pancarte et du tee-shirt d'Adeline Bellart. On note que les improbables mimiques de Nacim, le bassiste, n'ont rien perdu de leur verve et restent un spectacle à elles seules. Ce Kave Fest commence de manière festive, relax max, tranquille Bill, cool Raoul.
SERENIUS
Justement, c'est peut-être un peu trop cool Raoul, à l'aise Blaise. SERENIUS est venu faire les gros bras avec son death metal très sombre, très fort. L'esthétique SF à la Giger tiré de l'album Cocoon se prolonge jusqu'au look homemade des musiciens, en noir et jaune fluo. On croit avoir fugacement surpris le chanteur avec un tee-shirt KAARIS avant le concert, il n'a pas assumé (ou bien le soleil provoque des mirages). Après tout, Rueil-Malmaison et les Hauts-de-Seine ne sont pas loin, peut-être craint-il que les laquais du guignol de Boulogne soient présents à Chatou ?
Ils auraient peur du côté de SERENIUS ? Allez savoir. En tout cas, leur batteur nous fait un petit malaise dès le premier morceau : jouer sous une bâche en plein cagnard, ça fait son effet. On fait un peu semblant de s'inquiéter, on se moque bien fort pour montrer qui c'est les vrais bonshommes, on lui colle un ventilo comme à mémé et le set peut repartir. Le quatuor joue vite et fort et ça passe à merveille avec la bière du fest, une triple faussement légère.
FULL THROTTLE BABY
Ce qui est cool au Kave Fest, c'est la variété des groupes présents. On passe donc du death metal au mélange punk / hard rock de FULL THROTTLE BABY, où l'on retrouve au chant Julien Dottel, bassiste chez BUKOWSKI, et Timon Stobart, batteur. Allez savoir si c'est à cause de la météo mais les trois quarts du groupe portent d'énigmatiques chemises colorées. Voilà pour les potins sur le look.
Musicalement, le groupe envoie du gras, et son Julien de chanteur s'en donne à cœur joie : il sera probablement moins bavard avec BUKOWSKI mais là, il s'éclate comme un petit fou. Et vas-y qu'il se roule dans la poussière, qu'il va pogoter un coup, qu'il se moque de Chatou (il ose même l'insulte ultime : "Eh, Chatou, vous faites tellement pas de bruit qu'on se croirait à Croissy-sur-Seine !") et invoque le Vésinet et les testicules de Laurent Wauquiez dans une phrase sans queue ni tête que l'on n'essaye même plus de démêler. FULL THROTTLE BABY, en live, c'est super fun. Et puis ce frontman là, il en a dans le ventre : avec son regard malicieux, sa générosité et son côté poil à gratter, il a des airs d'Albert Dupontel punk, croisé avec Robert du Niro. On est obligés de le trouver sympa.
CHILD OF WASTE
On a déjà répété que l'ambiance était familiale. C'est cool le Kave Fest : des petits chiens s'y promènent. Un endroit qui acceptent les chiens et les stagiaires de notre site, c'est forcément un endroit pas chiant. Il y a même des enfants. Des petits, en plus. Pourtant, même s'il y a "Child" dans CHILD OF WASTE, on ne voit pas trop de gamins devant la scène pour ce concert...
Bizarre, le groupe de brutal death est pourtant des plus chaleureux, jusqu'aux yeux révulsés et aux douces cantiques de son chanteur, façon dégueulis de possédé. La performance est à saluer, tout cela n'est certainement pas trop gras, ni trop salé, ni trop sucré. CHILD OF WASTE, c'est healthy, PROMIS. D'ailleurs, ça transpire sec dans le public, adepte de gym (transpirer sec, ça existe ?). Une énigme, cependant, demeure : pourquoi tous les morceaux ont le même titre ? C'est gentil de prendre le temps de nous dire le titre, mais quand ils s'appellent tous "Euuaaarggll brrruueeeuuaar", on risque de ne plus se souvenir lesquels ont le plus fait shaker les popotins !
MOLYBARON
Attends, wouah, un groupe international au Kave Fest ? La classe : le chanteur dit "one two, one two" et parle anglais, c'est pas n'importe quoi ! Il s'appelle Gary le mec, c'est pas du fake, c'est un rockeur, un vrai. T'en connais beaucoup des Fernand ou des Rodolphe rois du rock ? Gary, tout de suite, à Chatou, ça fait sensation.
MOLYBARON, après la violence de CHILD OF WASTE, c'est le retour à une musique plus accessible et mainstream, mais dans le bon sens du terme : du gros rock bien musclé accrocheur, mélodique, qui groove bien (Fear is Better Business than Love), avec un chant agréable et chaleureux. Le coup de pommade idéal pour l'apéro, dont l'intensité va crescendo, les titres joués étant de plus en plus lourds. L'après-midi touche à sa fin, les petits enfants sont de retour devant la scène, MOLYBARON c'est exactement ce dont on avait besoin.
VOLKER
VOLKER en plein jour, ça fait tout de suite moins zombie de la mort et l'ambiance horrifique est moins évidente à retranscrire. En plein soleil, tout prend une dimension plus festive, mais quelque part la musique du groupe se prête bien à la foire décomplexée et tapageuse.
Dès Bitch, c'est la fiesta. Jen Nyx assure le show avec ses mimiques outrancières et son chant criard. Les compos ont un côté ROB ZOMBIE punk assez marqué et le groupe reprend d'ailleurs Dragula, comme d'habitude. Le set réservait une petite surprise : un morceau avec Anna, chanteuse de l'excellent groupe LYNN dont le premier album est sorti récemment. C'est que l'ambiance est à la convivialité, on invite les copains, les copines, et on fait la bringue tous ensemble.
DEAD BONES BUNNY
DEAD BONES BUNNY a beau ne pas être la grosse tête d'affiche de la journée, c'est le concert le plus attendu par une grande partie du public. Le copinage, ça marche bien et l'excellent souvenir laissé par la release-party du groupe en février dernier n'y est pas étranger non plus. Sorti de nulle part il y a un peu plus d'un an, DEAD BONES BUNNY séduit les foules avec son univers décalé et son mélange de rockabilly et de metal.
De l'annonce du show trois minutes avant aux looks des musiciens, en passant par les micros utilisés, tout sent très fort les années 50 / 60. Contrebasse, chœurs, chant éraillé à la MOTÖRHEAD et Bunny Bones en mascotte : tous les ingrédients sont là. On se demande un peu comment tout ce petit monde fait pour tenir sur scène, c'est peut-être pour ça que Tim (chant), Mik (guitare) et Gab (contrebasse) prennent un bain de foule le temps d'un morceau joué au milieu d'un circle-pit.
Les indispensables de l'album What's Up Rock? sont de la partie, mais le moment le plus cool du concert reste ce long medley qui démarre sur du NIRVANA, enchaîne avec, en vrac, ELVIS PRESLEY, JOAN JETT, IRON MAIDEN, OZZY OSBOURNE... "I said... Do you Wanna hear that Dream ?" beugle un sample avant d'enchaîner sur une relecture rockabilly d'I Don't Like the Drugs de MARILYN MANSON et d'enfin conclure sur une reprise frénétique de Ace of Spades de MOTÖRHEAD. DEAD BONES BUNNY prend toute sa dimension en live avec son show qui donne envie de vivre plus vite, plus fort. Et il y a cette géniale reprise du générique de la Bande à Picsou en conclusion : des lapins, des canards, on n'y comprend rien, tant pis, tant mieux.
BUKOWSKI
Du côté du Kave Fest, on disait des trucs comme "si on nous avait dit un jour qu'on ferait jouer BUKOWSKI dans ce jardin...". Du côté de BUKOWSKI, on devait se dire un truc du genre "si on nous avait dit un jour qu'on jouerait dans un jardin à Chatou". La vie est ainsi faite. C'est ça aussi, la magie du Kave Fest : proposer aux artistes un cadre exceptionnel à défaut d'être spectaculaire. On se dit que les musiciens qui ont joué là s'en souviendront un moment de cette date.
La nuit tombe, BUKOWSKI démarre son set avec décontraction et bonne humeur. Tout ça sent très fort les vacances, ce qui n'empêche pas les musiciens de se donner à fond. Les deux frangins Matthieu et Julien se répondent au chant et s'amusent toujours autant d'être là, sur ce petit bout de scène, en pleine rue, à faire trembler les murs de pauvres voisins probablement à bout de nerfs. Un peu à la manière de MOLYBARON, la musique de BUKOWSKI est facile d'accès et accrocheuse : il fallait quelque chose de rassembleur pour conclure cette nouvelle édition du Kave Fest.
On se sent bien au Kave Fest : la bienveillance et le respect sont de mise et les deux ou trois personnes qui n'ont pas compris le message n'étaient plus là en fin de soirée pour comprendre leur erreur. On ne sait pas trop jusqu'où ce festival va aller, jusqu'où il peut aller. Plein à craquer pour la deuxième fois de suite, il va se heurter inévitablement à des limites très concrètes s'il veut grandir. On espère néanmoins que si la formule évolue, on n'y perdra pas cette âme unique. Encore une fois, c'était trop sympa. Il faut obligatoirement féliciter tous les fous furieux qui réussissent à faire de ce pari une réalité et ont le talent de faire ça bien.