Motocultor Festival 2023 - Jour 2 @ Carhaix-Plouguer (18 août 2023)

Motocultor Festival 2023 - Jour 2 @ Carhaix-Plouguer (18 août 2023)

Pierre Sopor 26 août 2023 Virginia B. Fernson & Pierre Sopor

Pour cette deuxième journée du Motocultor version 2023, on a prévu de voyager. Des Vikings ? Bien sûr, toujours. Des Togolais ? Ah, carrément ! Des guerriers venus des steppes de Mongolie ? On ne dit jamais non ! Des Russes flippants ? Et comment ! On a bien fait de s'économiser la veille parce que ça en fait des kilomètres, tout ça... et c'est sans compter les destinations encore plus lointaines et mystérieuses cachées dans nos petits cœurs que certains vont sacrément foutre en vrac. En plus, le Motocultor continue de proposer une affiche à la variété foisonnante, élargissant ses horizons en nous offrant des univers qui n'ont musicalement rien de metal, qu'il s'agisse de musique traditionnelle nordique ou d'électronique sombre, mais qui sont toujours les bienvenus pour varier les plaisirs et, surtout, rappeler que les musiques sombres / extrêmes / saturées peuvent s'exprimer sous plusieurs formes. Et ça, c'est très bien. Pour les galeries photos complètes, rendez-vous tout en bas de l'article.

Premier concert et premières secousses : les Psychonaut, récemment auteurs du très solide Violate Consensus Reality, remuent la Massey Ferguscène. Des passages telluriques, un peu d'introspection, des montées en tension qui prennent aux tripes, des influences post-metal, prog et post-hardcore, c'est belge, c'est signé chez Pelagic : les cases se cochent au fur et à mesure. Tantôt technique, tantôt sensible, la musique est d'une richesse captivante, renforcée par la belle énergie du trio. Notre seul regret n'est pas de leur fait : dommage d'avoir un titre avec Stefanie Mannaerts de Brutus et Colin Van Eckhout d'Amenra, de le jouer sur un festival où ces deux groupes sont présents... mais pas le même jour. L'occasion d'un petit événement exceptionnel est loupée !

Notre curiosité nous pousse à aller découvrir Arka'n Asrafokor. Les togolais mélangent du metal agressif et énergique au sens large (thrash, groove, death...) à des influences issues de leur culture : percussions endiablées et chant en éwé sont de la partie. On apprécie les costumes et l'incroyable patate des musiciens, dont le plaisir d'être là est communicatif. C'est fun, entraînant, parfois rageur (on pense aux néo-zélandais d'Alien Weaponry qui, aussi, savent jongler entre les éléments traditionnels, les riffs énervés et les mélodies qui accrochent) et très charismatique. La grande classe. Seul défaut d'Arka'n ? Jouer en même temps que Gggolddd. On n'a donc pas pu apprécier leur set aussi longtemps qu'on aurait voulu...

Parce que parmi les moments qu'on ne pouvait rater, il y avait Gggolddd. Déjà passionnants et superbes, les néerlandais ont sacrément évolué depuis la sortie l'an dernier de This Shame Should Not Be Mine (chronique), laissant les parties plus metal au placard pour assumer une direction plus trip-hop, minimaliste et tout tout simplement bouleversante. C'est donc avec un line-up réduit à quatre et une batterie électronique qu'ils nous offrent une cérémonie puissante et cathartique, tout en sobriété. Captifs, nos cœurs fondent en reconnaissant les plus anciennes Old Habits et He Is Not, réinventées pour coller au dispositif et à ce nouveau son. Ce côté très épuré est cohérent avec les thématiques intimes abordées par le groupe dans son dernier album et décuple la puissance de l'impact : basses lourdes, expressions et gestuelles subtiles de Milena Eva pour rendre implicite son trauma... il y a dans le message de Gggolddd quelque chose de nécessaire et de viscéral, la guérison, l’union (le groupe semble solide et solidaire), la sublimation. Même le ciel n'y résiste pas et nous sanglote quelques gouttes pour rafraîchir l'atmosphère et coller à l'humeur du concert, d'une élégance et d'une grâce absolue. Tout est là, et le public ne peut que se joindre à eux. Pour nous, c'était le plus beau concert du festival.

C'est encore tout chamboulés par Gggolddd que nous allons nous faire ratatiner une nouvelle fois, cette fois-ci par Hypno5e et son post-metal avant-gardiste, où les plus sauvages des tempêtes explosent au milieu d'accalmies poétiques. L'extraordinaire Sheol (chronique) occupe presque la moitié de la setlist (soit deux morceaux, Hypno5e ne fait pas dans le concis), l'occasion une nouvelle fois d'apprécier ce nouveau son légèrement plus organique, moins froid et martial. Hypno5e en festival, c'est toujours un risque : la musique du groupe demande une attention particulière et être déjà familier de l'univers aide probablement à mieux apprécier la performance. Emmanuel Jessua sourit alors qu'au dehors les éléments se déchaînent et que le sol du Motoc vire à la bouillasse : peut-être est-il en partie responsable... En tout cas, encore une fois, c'était très puissant, la simplicité et le naturel des musiciens sur scène contrastant sacrément avec la richesse de la musique.

Quelle journée ! Ce n'est même pas encore l'heure de l'apéro que, déjà, on a l'impression d'avoir épuisé le quota d'enthousiasme disponible par semaine. C'était sans compter sur l'incroyable Lili Refrain, qui nous avait déjà ensorcelés l'an dernier au Hellfest. L'Italienne nous embarque dans son rituel de sorcière pendant quarante-cinq minutes, seule, avec un tom basse, une guitare, et 150 pédales de guitare. Généreuse en mimiques de possédée et sourires communicatifs, elle mélange darkwave, neofolk et metal progressif. Elle se paye même le luxe d'une longue intro tout en montée de dix minutes pendant laquelle les éléments se mettent peu à peu en place, un choix courageux en festival et sur un set aussi court : pas de problème, le public est captivé à la fois par son charisme et sa musique. L’ensemble donne quelque chose d’absolument hypnotique, touchant et transcendant à la fois. Humble, généreuse, et weirdo comme on aime. Une artiste à suivre d’urgence et l'une des performances les plus marquantes de cette édition.

Heureusement, on peut désormais se détendre un peu. Haken, c'est très bien, mais les chemises moches portées par le groupe avaient vendu la mèche : nos petits cœurs en miettes ne se feront pas spécialement piétiner pendant le show du groupe de metal progressif. De la décontraction, de la technique, de l'énergie : la recette marche toujours. On pense à Leprous en plus nerveux et solaire, avec des structures rythmiques héritées du metal moderne, alors que le groupe nous présente les morceaux de son récent Fauna, peut-être le meilleur album de sa carrière. Très cool.

Du cool toujours avec Uuhai, qui doit probablement sa présence au succès de The Hu. La recette est comparable : du gros rock mélangé à des sonorités issues des steppes de Mongolie et, bien sûr, du chant de gorge. On ne va pas se mentir : si, à l'image de leurs compatriotes stars,  le résultat est parfois un poil trop hard rock à notre goût, standardisant leur musique, en live ça fonctionne à fond. Uuhai fédère : il y a la musique, accessible et séduisante, facile à assimiler, mais il y a aussi les costumes... Et le jeu de scène du chanteur, tout en mimiques impayables et danses frénétiques. Intenable, il va chercher le public et fédère facilement. Sur scène, ça cartonne. Reste désormais à confirmer ça en studio, le groupe n'ayant pour l'instant à son actif qu'une poignée de singles... mais on ne s'inquiète pas pour eux.

Dans la soirée, il y avait Epica. On ne voulait pas prendre le risque de se retrouver en pleine bataille de Seigneur des Anneaux, alors on a préféré éviter... Mais un accident est si vite arrivé ! Il a suffit d'un "ils ont des serpents géants qui crachent de la fumée sur scène" pour qu'on y jette un œil. Eh bien, comme souvent, on aurait mieux fait d'être moins narquois : certes, leur metal symphonique n'est pas notre tasse de thé, mais entre la très belle scénographie et la performance des musiciens investis, ça avait carrément de la gueule. La prochaine fois, on s’éduquera avant de ricaner comme des hyènes, tiens... En voici une poignée d'images prises à la volée, de loin, pour illustrer.

Heureusement, avec Health, on revient en terrain familier, y compris pour les non initiés qui les avaient peut-être découvert en Main Stage du dernier Hellfest. De l'indus qui cogne fort, des grosses basses : ça, on connaît bien. Les Californiens se distinguent avec le chant très doux de Jake Duzsik qui donne à la musique une touche mélancolique et introspective. Le contraste avec la violence des assauts est flagrant : en live, Health accentue sa violence et ne lésine pas sur les passages bruitistes chaotiques. Miam ! Visuellement aussi, tout est histoire de contraste : Duzsik, discret derrière son pied de micro, laisse la place à John Famiglietti, qui bidouille des bidules, machine des trucs, joue de la basse, brasse l'air avec ses cheveux et dérive sur scène telle une tempête ambulante. Le groupe balance ses gros hits irrésistibles, du récent Hateful réalisé avec Sierra à Body/Prison (avec Perturbator) ou Identity (avec Maenad Veyl). Bien sûr, tout ce beau monde n'est pas sur scène mais peu importe : ça cogne, les métalleux se dandinent sauvagement, c'est jouissif et bien plus efficace qu'en plein air sous le soleil.

Vous voyez ce moment, dans les jeux de rôle par exemple, où vous devez faire un choix décisif ? Un truc radical, un chemin de non-retour, une décision qui va bouleverser le reste de votre vie ? C'est ce que propose l'affiche du Motocultor ce vendredi à 23h15 : se la jouer intello et sophistiqué en allant s'emmerder devant Wardruna au milieu de types déguisés en Vikings qui se font appeler Ragnar-jenesaisquoi et passent le concert à lever leurs cornes à boire alors qu'au quotidien ils sont vendeurs d'assurance et maître nageurs dans la Drome, ou aller découvrir Hanabie et son mélange barge de metal extrême, de pop, de techno, de trap et de musique folklorique à la sauce kawaii ? Comment ça, la question est orientée ? Figurez-vous qu'on a été aux deux : pour vous, on ne recule devant rien.

Certes, on s'est un peu moqués de Wardruna plus haut, mais c'était pour être taquin. Dans une scène qui a le vent en poupe et est sursaturée de propositions un peu bidons qui reposent toutes sur les mêmes arguments (des costumes sur scène et des grosses percussions pour se la jouer transcendantal), Wardruna domine facilement le petit monde des expériences pagan / nordic-folk. Il faut leur reconnaître une sobriété et une classe absolue qui rappelle que la musique passe avant le show, malgré une scénographie magnifique. Pas besoin d'en faire des tonnes : il suffit de teinter la scène d'un rouge profond ou d'y faire apparaître une lune pour que les univers invoqués par Einar Selvik et sa bande prennent vie. Tout est d'ailleurs fait pour mettre en valeur le leader de Wardruna, central et irremplaçable, souvent seul musicien éclairé, comme quoi même dans la sobriété, on peut faire un brin mégalo. Certes, ce côté très atmosphérique et hypnotique peut peiner à convaincre ceux qui cherchent plus d'action à cette heure tardive, mais c'est quand même très classe.

De la classe ? De la sobriété ? Du minimalisme ? Du chiant ? Non, ce n'était vraiment pas la même ambiance devant Hanabie. Construit il y a dix ans autour de trois amies de lycée, le quatuor se pointe sur scène comme on commence un dessin animé, une par une, en agitant un drapeau français, avant de nous balancer un cocktail survitaminé déjanté mélangeant metal, eurodance, J-pop, hardcore, trap... Si par facilité certains évoquent Babymetal, cela nous semble un raccourci totalement injuste : si ce n'est qu'il s'agit d'un girls band venu du Japon, on peine à voir le lien. Hanabie a quelque chose de bien plus fou, viscéral et authentique. On est plus proche de la folie de Maximum the Hormone : elles hurlent, couinent, tapent dans leurs mains, se descendent des 8.6 en clamant avec leurs voix de chipmunk "we love beer !". Le chapiteau déborde, le public est retourné, c'est la grosse fiesta totalement folle et, pour nous, une des découvertes majeures du festival.

La journée se passait trop bien jusqu'à présent, il fallait bien qu'à un moment les choses se gâtent. Katatonia n'a pas failli à sa réputation de groupe chiant en live. On les adore en album, notamment ces dernières années et leur mélange de prog et de metal gothique sacrément élégant, le set étant consacré majoritairement au récent Sky Void of Stars (et y'avait My Twin, bien sûr). Mais sur scène ? Si vraiment ça l'emmerde de jouer en live, Jonas Renkse ferait mieux de le dire, personne ne le force. Il semble errer et se planque soit en fond de scène, soit derrière ses longs cheveux, semblant littéralement refuser d'exister pour son public, au contraire de ses musiciens qui y mettent du leur. Dommage, car quand on ferme les yeux, la magie opère. Mais il est un peu tard pour rester debout les yeux fermés. Peut-être que plus tôt dans la journée, on aurait eu la patience d'entrer dedans, mais à minuit passé et après tant de concerts mémorables, c'est au-delà de nos forces.

Heureusement qu'il restait Ic3peak pour finir sur une bonne claque. Ic3peak sur scène, c'est un set up très minimal, voir austère : les deux russes tirent la gueule et ne manifestent pas la moindre émotion et, pourtant, ça le fait à mort. Les basses étaient énormes, anxiogènes et écrasantes, Anastasia Kreslina au chant nous trimballe entre comptines glauques flippantes, menaces sous-jacentes et explosions rageuses pour nous transporter dans cet univers où se rencontrent la froideur de l'indus et la trap vénère sur laquelle les métalleux se déhanchent comme jamais. C'est à la fois horrifique et clinquant, bizarre et facile à aimer. Leurs visages sont captés en direct par des petites caméras et projetés derrière eux : c'est simple, mais efficace. En plein air, sur une scène aussi immense, Ic3peak n'est peut-être pas aussi étouffant et angoissant que dans une salle plongée dans la pénombre mais ne perd rien de son attrait. Le groupe se positionne toujours clairement avec un message écrit blanc sur noir en fond d’écran "Stop the war. Stand with Ukraine". Leurs seuls mots iront d'ailleurs dans ce sens : après un magnifique "bonjourrrrr" aux r bien roulés, Kreslina présente le groupe et appuie sur leur opposition à la guerre : "stop the war, fuck the war". Simple, efficace et généreux. 

Pour conclure cette magnifique journée, d'une densité et d'une richesse rare, nous citerons cet homme qui a peiné en titubant pendant le concert d'Ic3peak pour venir nous brailler un "mais qu'est ce que c'est que cette grosse merde ? C'est des Suédois ?" (allez savoir si l'un a un lien avec l'autre) avant de repartir péniblement vers les ténèbres qui, déjà, embrumaient son esprit. Visiblement, les propositions ambitieuses sont clivantes : tant mieux, c'est que ça marque les esprits ! On ne peut pas passer sa vie à chouiner sur le manque d'ouverture d'esprit des autres si l'on fait soi-même preuve de la même rigidité conservatrice et ça, le Motoc l'a compris depuis toujours.

Top 3 de Virginia : Gggolddd, Lili Refrain, Health
Top 3 de Pierre : Gggolddd, Lili Refrain, Ic3peak
Mention spéciale pour Hanabie, qui se serait frayé une place sur nos deux podiums, si seulement ils comptaient quatre places.

 

Psychonaut

Arka'n Asrafokor

Gggolddd

Hypno5e

Lili Refrain

Haken

Uuhai

Health

Hanabie

Wardruna

Katatonia

Ic3peak