Tout s'accélère pour Brutus. Déjà fortement prometteur, le trio belge a franchi un cap avec le magnifique album Unison Life (chronique). Depuis, les dates s'enchaînent à toute allure. Nous avons pu croiser le guitariste Stijn Vanhoegaerden et le bassiste Peter Mulders lors du Motocultor Festival, peu de temps avant leur concert. Malgré un problème de van, ils ont pris le temps de répondre à nos questions et nous parler un peu de la vie du groupe, des nouvelles pressions qui arrivent avec le succès et de la belle confiance nécessaire qu'ils ont les uns pour les autres qui leur permet d'écrire chaque chanson comme si c'était la dernière, donnant tout ce qu'ils ont encore et encore.
Lors d'un concert à Paris au Point Éphémère il y a quelques années, Stefanie semblait un peu nerveuse. Elle s'est excusée plusieurs fois pour "avoir merdé" alors que personne n'avait remarqué ses erreurs ! Est-elle plus confiante désormais ?
Peter : Elle s'excuse toujours quand elle fait une erreur ! On jouait à l'Arcatraz festival la semaine dernière et elle a frappé le snare une fois de trop... Elle s'est mise à chanter"I fucked it up!" au lieu des vraies paroles. Elle a intégré son erreur à la musique ! Je pense que c'est un réflexe pour elle, quand elle pense s'être plantée, elle veut dire quelque chose à ce sujet. On la laisse être elle-même, on se sourit et ça nous amuse. C'est une perfectionniste.
Stijn : Si elle n'est pas à 200%, elle a l'impression de se planter. On la connaît depuis si longtemps... On ne lui enlèvera pas ça ! Elle veut se donner à fond pour les gens qui nous écoutent jouer. Si je me souviens bien, on avait en plus eu des soucis techniques sur cette date...
Peter : Oui, parfois ça se passe comme ça sur scène, et comme on est juste humains on essaye de faire de notre mieux. Le côté fun est important.
Unison Life était un album bien plus personnel que les précédents. Est-ce quelque chose qui demande un certain niveau de confiance, ou auriez-vous pu faire un tel album plus tôt ?
Peter : Non, on n'aurait pas pu.
Stijn : On n'aurait pas pu l'écrire il y a huit ans tout simplement parce qu'il découle de tout une évolution dans le groupe, mais aussi de notre évolution personnelle en tant que personnes et amis.
Peter : Oui, on a appris à mieux se connaître. Au début, on voulait faire notre truc et commencer à jouer ensemble rapidement. Ensuite, on a grandi un peu en tant qu'humains mais aussi en tant que groupe et c'est cette évolution naturelle qui a mené à Unison Life.
Être amis et se faire confiance a dû aider...
Stijn : Je pense que c'est très difficile... Si tu écris un livre, c'est quelque chose que tu fais de ton côté. Mais en tant que groupe, il y a différents points de vue sur la façon dont on doit faire les choses et je pense qu'on a effectivement besoin de confiance, d'amitié et de compréhension pour y arriver. Ça nous a pris un moment d'arriver à ce stade.
Peter : C'est un peu comme une relation avec ton copain ou ta copine.
A la sortie de l'album, vous disiez que chaque chanson avait été écrite comme étant votre "dernière chanson". Que vouliez-vous dire par là et comment se remet-on à écrire après avoir sorti ses "dernières chansons" ?
Stijn : C'est une bonne question ! Tu ne penses à ça qu'une fois que tu as écrit ta dernière chanson... Et ensuite, tu fais une autre dernière chanson ! C'est Stefanie qui nous a dit ça et sur le moment j'étais un peu paniqué parce que c'était un sacré challenge ! Pour moi, ça montrait aussi à quel point elle tenait à ce qu'on fasse un très bon album. C'était sa métaphore. J'espère qu'on va écrire un paquet d'autres "dernières chansons" ! Quand on a commencé le groupe, on voulait juste faire quelques concerts dans notre ville et écrire quelques chansons pour s'amuser. Maintenant, on fait ça depuis neuf ans et on se dit que ça serait super si on pouvait écrire une chanson que les gens écouteraient toujours dans trente ans. On se dit que c'est un peu une trace qu'on aimerait laisser.
Peter : Oui, les concerts sont importants mais les chansons sont très importantes également. Peut-être que le prochain album sera différent mais je pense que ça montre nos intentions, à quel point ça compte pour nous. On donne tout à chaque chanson au cas ou ça serait effectivement notre dernière...
Les gens sont souvent impressionnés par le fait que Stefanie soit à la fois chanteuse et batteuse. Mais comme elle n'est pas là, on peut poser la question : est-ce que ça ne lui facilite pas aussi un peu la vie dans le sens où son implication physique la met peut-être déjà dans la bonne émotion pour chanter ?
Stijn : Je pense que maintenant, elle le voit comme une seule et même chose. En tout cas, c'est l'impression que j'ai quand je la vois bouger et chanter, ça ne fait qu'un. Je sais qu'au début elle disait que si elle pouvait juste chanter ou jouer de la batterie, elle s'en sortirait mieux car elle n'aurait pas à avoir deux choses en tête... Mais maintenant, je ne vois plus la différence.
Peter : Quand on enregistre ensemble, elle fait aussi les deux. La première fois qu'elle a seulement chanté dans le micro, le son était différent de quand elle est à sa batterie. On a même un peu galéré et on s'est dits qu'elle devraît refaire la prise, mais de derrière sa batterie ! Elle ne sonne pas pareil quand elle n'est pas vraiment physiquement dedans, en train d'y mettre ses tripes.
Stijn : On a fait une session il y a quelques années avec nos amis de The Guru Guru, où l'on reprenait nos chansons et Troy de Sinead O'Connor. Ils voulaient lui mettre une cabine d'enregistrement au milieu du studio pour qu'elle y chante... et elle a tout chanté de derrière sa batterie ! Elle ne jouait pas forcément, mais c'était important pour elle, pour sa respiration, d'être dans cette situation.
Elle n'était pas chanteuse à l'origine... Est-ce qu'être derrière une batterie l'aide aussi, dans le sens ou elle n'a pas à être directement face au public sans n'avoir rien à faire de ses mains ? Si je devais chanter face à des gens, je préférerais me planquer derrière une batterie !
Stijn : Oh, il lui arrive parfois de juste chanter, par exemple quand elle est invitée par un autre groupe, ce genre de choses. Elle s'en sort très bien, elle est très à l'aise.
Peter : Mais effectivement, pour moi ça me ferait tout drôle d'être sans ma basse sur scène ! Qu'est ce qu'on doit faire de tous ces bras ?
Unison Life a eu beaucoup de succès. Est-ce que ça vous apporte plus de confiance ou plus d'angoisse ?
Stijn : Pour moi c'est stressant. Enfin, stressant est peut-être le mauvais mot, mais j'ai déjà hâte de travailler sur le prochain album. Même si c'est super de jouer les chansons en live, je suis très curieux de voir où est-ce qu'on ira ensuite... La création d'Unison Life a été très importante pour moi, ça a ouvert beaucoup de portes et prouvé que l'on pouvait faire ce que l'on voulait. On n'a pas besoin de toujours refaire la même chose, on peut faire ce dont les chansons ont besoin. J'ai hâte de voir où la suite va nous emmener.
Vous disiez l'an dernier que vous ne pouviez pas vivre de votre musique, mais vous tournez constamment depuis la sortie d'Unison Life...
Peter : Oui, Stijn a été le dernier à démissionner de son boulot le mois dernier. On n'avait pas le choix. C'était le moment d'y aller à fond avec le groupe et on peut désormais dire qu'on n'a plus d'autre boulot à côté !
Stijn : C'est une question de temps. Nous n'avons pas le temps. On a des familles. Quand on revient de tournée, on est épuisés, on dort et après il faut se lever pour aller bosser, c'est parfois très difficile.
Comment vivez-vous le fait d'être si souvent sur la route, sans voir les gens que vous aimez, à voir des milliers d'inconnus ?
Stijn : J'imagine que c'est à la fois une bénédiction et une malédiction. C'est difficile parce que c'est la meilleure chose du monde mais en même temps on ne peut pas être chez nous, nos familles nous manquent, on ne peut pas voir les gens qu'on aime, c'est parfois épuisant... Comme quand on doit faire trois concerts en trois jours et qu'en plus le van nous lâche, comme aujourd'hui ! On n'a pas trop eu le temps de discuter ces trois derniers jours...
Peter : Demain, ce sera dimanche. On aurait dû être chez nous demain matin mais à cause de ce problème de van on n'y sera que le soir et on va rater cette journée avec nos familles. Parfois, la transition est compliquée émotionnellement. On s'amuse sur la route, on est bien chez nous, mais passer de l'un à l'autre est difficile. Au moment où je mets le pied dans le van et retrouve tout le monde, que je suis à nouveau avec Stijn et Stefanie, c'est l'éclate... Mais c'est aussi difficile parce que ma copine me manque, et je lui dis que je dois y aller, que c'est dur... mais que c'est aussi trop bien !
Stijn : On a de la chance parce qu'on a des amis et des familles et qu'on peut quand même faire ce qu'on fait, c'est un peu le meilleur des deux mondes mais ce n'est pas toujours facile de combiner les deux.
Est-il plus facile de travailler entre amis ?
Stijn : Parfois oui... et parfois, pas vraiment ! Tout devient personnel quand tu travailles avec tes amis. Tu sais, dans une environnement de travail habituel, quand les gens se plantent tu peux leur dire mais ça devient beaucoup plus délicat quand les gens avec qui tu travailles sont des gens que tu aimes.
Trouvez-vous le temps de profiter un peu des festivals où vous jouez ?
Peter : Parfois. Aujourd'hui, c'est un peu spécial parce que sans ce problème de van on serait arrivés bien plus tôt... Du coup on va aussi devoir partir plus tôt! Mais il y a eu quelques festivals cette année où nous avons pu voir de chouettes groupes.
Stijn : Au début je ne voulais pas voir les autres groupes jouer parce que ça me mettait trop la pression. Maintenant, j'en suis au point où j'apprécie vraiment de voir les autres sur scène et ça me motive à fond pour jouer à mon tour !
Peter : Par exemple, on aime beaucoup Chat Pile en studio et on jouait le même jour qu'eux à l'ArcTanGent il y a deux jours. J'ai pu les voir et je suis resté tout le concert à me dire "putain, ouais, ils sont trop bons !"... et après, ils sont venus nous voir en disant qu'ils étaient fans de nous ! J'ai regardé leur concert et ils ont regardé le mien, c'était super sympa. J'aime aussi beaucoup Russian Circles, qu'on a vu cet été. On a aussi tourné avec eux il y a quelques années et on les considère comme des amis, même s'ils sont à l'autre bout du monde. On a pu croiser leur route trois fois cet été et à chaque fois qu'on reconnaît leur van, ça nous fait super plaisir de nous dire qu'ils sont là aussi ! Je sais qu'ils jouent ce soit, il y aura aussi Amenra...
Oui, on a justement croisé Colin juste avant l'interview et on a essayé de rester cools...
Stijn : C'est un type adorable !
On a juste une question un peu geek pour finir : Stijn, quelle est ta pédale de reverb préférée ?
Stijn : Sur scène, j'utilise celles qui sont pratiques et que je connais le mieux, mais il en existe d'autres dont je préfère le son... J'en achête tout le temps. Ma préférée en ce moment est la CRM-1970-quelque chose... 1978, peut-être ? J'en aime tellement, mais je ne peux pas toutes les utiliser sur scène !
Tu en as beaucoup ?
Peter : Oh, ça, il en a !
Stifn : Oui...
Et tu les utilises toutes ?
Stijn : Je les utilise toutes.
Et tout le monde comprend pourquoi ?
Sitjn : Dans le groupe ou dans le public ? Dans le groupe, oui. On est très critiques sur tout, y compris sur le matériel des uns et des autres. Nous n'utilisons rien de superflu.
Peter : On fait de notre mieux pour avoir le même son en live qu'en album et c'est difficile parce qu'en studio on a tellement d'options... On avait peut-être dix mètres de pédales dans le studio ! Mais quand tu pars en tournée, il faut pouvoir tout transporter... Sur la route, on n'a pas beaucoup de temps. On n'a pas le luxe d'essayer des choses, on a notre set-up qui fonctionne et c'est tout.
Stijn : C'est quelque chose qui nous éclate, on se casse la tête pour trouver comment tout faire fonctionner. Le matos, c'est ma vie ! C'est toujours un sujet de discussion qui nous plait. En tout cas, ça plait aux bassistes et aux guitaristes. Peut-être moins aux chanteuses et aux batteuses, mais il n'y en a pas avec nous là tout de suite !