Pionnier en matière de heavenly voices et de néoclassique gothique, COLLECTION D'ARNELL-ANDRÉA est un groupe aussi rare que précieux ; pour la première fois depuis longtemps, la formation sort un nouvel album, Another Winter. Le claviériste et fondateur du groupe Jean-Christophe d'Arnell a accepté de répondre à nos questions sur le nouvel album, les compositions et les textes de CDAA, l'évolution de la musique.
On vous voit avec plaisir sortir un nouvel album, neuf ans après Vernes-Monde ; qu’est-ce qui vous a donné envie de composer ce nouvel opus ?
Jean-Christophe : En fait le processus de création, de composition ne s’interrompt jamais vraiment. Ce qui prend du temps c’est la formalisation des idées et l’écriture des textes. Nous prenons toujours notre temps avec CDAA ! L’envie de composer ce nouveau disque est directement liée à l’acquisition d’un nouveau synthé ; des nouveaux sons et surtout des possibilités techniques nettement améliorées par rapport à mes anciens claviers et mes boites à rythmes « vintage » (mais que j’utilise toujours, sur scène notamment…).
Vous avez une discographie variée, qui comprend aussi bien des titres calmes avec une grande place des instruments classiques que d’autres plus percutants, marqués par le rock et l’électronique. Comment décririez-vous Another Winter ?
Jean-Christophe : Another Winter entre vraiment dans la catégorie de nos albums « electro » : programmation de rythmes, arpégiateurs, guitares acérées et options de mixage de certains titres (Pangs of severance / The grief of waves). Le piano, lui, représente une sorte de fil rouge qui relie tous les titres, quant aux cordes (violoncelle et alto), elles constituent vraiment l’ADN de notre son, et ce, depuis notre premier album Un Automne à Loroy (1989), à une époque où ce genre de parti pris (instruments d’orchestre + synthés) semblait vraiment d’avant-garde !
C’est la deuxième fois que le titre d’un de vos albums rend hommage à une saison, après Un Automne à Loroy ; qu’est-ce qui vous a inspiré dans l’hiver pour que vous lui consacriez ce disque ?
Jean-Christophe : L’hiver 2016 fut marqué par la maladie et le décès d’un proche. C’est dans ce contexte que j’ai commencé l’écriture des textes, en établissant un parallèle entre le repos végétatif (une des caractéristiques de l’hiver) et le coma puis la mort. Le titre Another Winter peut être compris comme « un autre hiver » dans le sens d’un hiver « singulier », « différent » (puisque marqué par le deuil) mais aussi, dans une perspective plus positive, comme un « nouvel hiver », un « hiver à venir » , avec donc l’idée d’un éternel recommencement : le cycle de la Nature.
Qu’est-ce qui a changé dans votre façon de travailler sur un album, que ce soit pour celui-ci ou à plus long terme ?
Jean-Christophe : Comme je l’ai dit, le fait d’utiliser un nouveau clavier, a constitué une contrainte de composition nouvelle, qui m’a amené à envisager les morceaux de façon nettement différente ; qu’il s’agisse des structures des morceaux, plus complexes ou de la diversité des sons et des arrangements. Une fois les maquettes bien avancées, j’ai proposé à certains des musiciens (alto, violoncelle et guitare) de ne pas intervenir systématiquement sur tous les morceaux (comme ce fut le cas pour tous les albums précédents), mais de choisir uniquement 6 titres pour lesquels leur inspiration était la plus forte. Cette contrainte de travail a permis d’apporter davantage de relief et de diversité dans l’album.
Envisagez-vous d’autres concerts en 2019, pour promouvoir Another Winter ?
Jean-Christophe : Nous souhaitons effectivement effectuer d’autres concerts, mais nous n’en sommes qu’au stade des prises de contact. Sinon CDAA est déjà programmé dans le cadre du prochain W-Festival. Mais cette fois c’est dans une configuration « orchestre de musique de chambre » (piano, alto, violoncelle, piano et voix) que nous nous produirons les 15, 16, 17 et 18 août prochains.
Votre groupe existe depuis 1986 ; comment percevez-vous l’évolution de la musique depuis, en général ou sur les scènes post-punk ? Qu’est-ce qui vous enthousiasme aujourd’hui, et y a-t-il des choses qui vous inquiètent ?
Jean-Christophe : Non, rien ne m’inquiète. Il y a actuellement, me semble-t-il, un nouveau regain d’intérêt pour des sonorités très électroniques et très 80’s. Cette utilisation de sons de synthés analogiques est plutôt touchante et agréable. On entend à nouveaux beaucoup de rythmes électroniques, moi qui nourris une passion pour les boîtes à rythmes, je suis comblé ! On retrouve cet intérêt pour ce type de musiques « post punk » dans le dynamisme de labels indépendants qui rééditent, qui sortent de l’ombre quelques productions emblématiques de ces années « cold wave », « new wave », « synth pop » ; je pense évidemment à Meidosem, Infrastition ou Desire Records. L’évolution principale concerne certainement le mode de diffusion et de consommation de la musique qui lui a radicalement changé. De même, le recours à l’informatique, en studio permet davantage de souplesse et d’exigence quant à la qualité du son. Finalement, la difficulté demeure d’effectuer les meilleurs choix possibles parmi une infinité d’options, lors du mixage, et cela n’a pas vraiment changé depuis l’enregistrement de notre premier maxi Autumn’s Breath for Anton’s Death (1988).
Vous avez joué le 21 février avec KATZKAB, les connaissiez-vous déjà ? Et y a-t-il d’autres choses que vous trouvez particulièrement intéressantes sur la scène gothique française actuelle ?
Jean-Christophe : Nous ne les connaissions pas, mais sommes allés voir des titres sur le net, et sommes vraiment ravis d’avoir partagé l’affiche avec eux. Leur musique est vraiment intéressante et on les a également trouvés supers, humainement parlant ! Les concerts sont quasiment toujours l’occasion de belles rencontres surtout dans le milieu « dark » et « gothique ». Je crains de ne pas suffisamment connaître la scène gothique française actuelle pour donner un avis. Je pense bien entendu à Rosa Crux ou à Breath of Life (mais ils ne sont pas français ;-)).
Vous disiez dans une interview en 2000 que la France n’était peut-être pas encore prête pour votre type de musique lorsque vous avez commencé votre carrière ; pensez-vous que les choses aient évolué en bien ou en mal, depuis ?
Jean-Christophe : Comme je l’évoquais tout à l’heure, il fut une époque (fin des années 80) ou la simple présence d’une boîte à rythmes pouvait ulcérer quelques journalistes ! L’appartenance au « rock » ne pouvait être conditionnée qu’à la présence d’une batterie et de guitares. Bien entendu les choses ont rapidement évolué grâce à des groupes étrangers, à des labels comme New Rose / Lively Art, à des journalistes comme Emmanuelle Debaussart (qui rédigea l’une de nos premières chroniques dans Best) et à tout le réseau des fanzines et magazines indépendants : Prémonition, Obsküre, Elegy, D-Side et aujourd’hui les webzines comme vous ! Nous avons eu la chance d’être tout de suite signés chez New Rose tout en parvenant à fédérer un public plutôt « gothique », alors que notre musique, très « dark » certes, n’était pas véritablement gothique au départ. Ceci montre l’ouverture d’esprit du mouvement « goth », capable d’aimer des groupes assez « trash » mais aussi de pouvoir être touché par des musiques plus « soft ». C’est pourquoi nous nous sentons si bien lorsque nous sommes à l’affiche de festivals « gothiques » comme le célèbre WGT de Leipzig où nous avons déjà joué 4 fois !
On vous compare souvent, peut-être trop, à DEAD CAN DANCE. D’après vous, quels sont les artistes qui vous ont le plus inspiré dans votre musique, que ce soit pour le classique ou les musiques plus récentes ?
Jean-Christophe : La comparaison (vraiment flatteuse) qui a souvent été faite, surtout au début de notre parcours, entre DEAD CAN DANCE et COLLECTION D'ARNELL-ANDRÉA était principalement liée à la façon que nous avions d’aborder la musique, en intégrant notamment nos influences de musique dite « classique » (piano, violoncelle) à un univers plus « rock » et plus sombre. L’alternance de voix féminines et masculines, les références littéraires et un certain esthétisme (artwork / importance des visuels pendant les concerts) ont également largement contribué à renforcer le parallèle entre nos 2 formations.
Pour ce qui est de la musique « classique » j’aime beaucoup des compositeurs comme FAURÉ, DUPARC, MAHLER ou SCHUBERT et pour les plus contemporains, ARVO PÄRT ou PHILIP GLASS. Mais il y a aussi les grands « classiques » du rock qui ont également largement nourri nos influences : MALARIA, CHRISTIAN DEATH, SWANS, COCTEAU TWINS, VIRGIN PRUNES, KILLING JOKE, JOY DIVISION, DAF et plus « récemment », NIN, VNV NATION, EDITORS, P.J. HARVEY, COVENANT…
Depuis vos débuts, on sent dans vos paroles et vos thématiques le goût de la poésie et la fascination pour la nature ; quelles sont vos inspirations littéraires ?
Jean-Christophe : Effectivement les textes de CDAA s’apparentent à de véritables petits poèmes pouvant être appréciés indépendamment de la musique. Mes influences dans ce domaine sont assez diverses, mais il faut principalement chercher du côté des poètes symbolistes et d’autres de la fin du 19ème siècle ou du début du 20ème : Théodore Hannon, Alain Fournier, Victor Hugo, Rilke, Jouve…
Parmi vos albums, y en a-t-il un ou plusieurs dont vous êtes particulièrement fiers ?
Jean-Christophe : J’aime évidemment chacun de nos albums pour des raisons personnelles et étroitement liées à l’histoire du groupe ! Ce dont je pourrais être fier d’une certaine manière, c’est probablement d’être parvenu à maintenir une certaine cohérence, une homogénéité au sein de notre discographie tout en proposant des évolutions réelles d’un album à l’autre (concept / traitement du son) ainsi parfois qu’une certaine « prise de risques » ; je pense bien entendu à notre album Tristesse des Mânes, totalement acoustique et composé dans l’esprit des mélodies d’un autre siècle pour une formation proche d’un orchestre de musique de chambre.
Mais s’il ne fallait retenir qu’une sélection de mes 3 albums préférés, je citerais sans trop hésiter :
Un Automne à Loroy (concept album consacré au Grand Meaulnes) / Villers-aux-Vents (concept album consacré à la Grande Guerre) / Another Winter
Qu’est-ce qui vous fait associer la nature à des musiques mélancoliques ? Est-ce son éloignement ou le fait qu’elle soit menacée, et nous avec, dans le monde moderne ?
Jean-Christophe : La Nature demeure effectivement ma principale source d’inspiration pour l’écriture des textes. Il s’agit d’une Nature au sens large dans laquelle la nature humaine occupe une place particulière. Des forêts, des prés, des eaux sombres, comme des chemins imaginaires permettant à l’Homme des « passages » d’un état à l’autre : du trouble à la sérénité (le spleen), du réel à l’imaginaire (le rêve) , de la certitude au doute (le reflet), de la vie à la mort (l’hiver), de la mort à l’outre-monde (la croyance)… C’est donc surtout le parallèle entre nos propres émotions et la représentation que nous nous faisons des paysages et de la Nature en général qui m’inspire. La Nature comme un refuge et/ou tombeau de l’humanité.
Merci à vous.
Merci pour l’attention que vous portez à notre musique. Automne [hiver] et amitiés.