Cradle of Filth est de retour avec Trouble And Their Double Lives, un album live (le précédent remonte à vingt ans) contenant aussi deux morceaux inédits (précommande via Napalm Records). Nouveau line-up, nouveau label... Le monstre de Dani Filth est toujours en mutation. Nous avons eu l'occasion de nous entretenir une vingtaine de minutes via un échange sur Zoom organisé par Sounds Like Hell avec l'enthousiaste créateur de ce théâtre monstrueux pour discuter d'horreurs diverses telles que la pandémie, l'inspiration ou encore Ed Sheeran.
Crédit photo © Annie Atlasman
Tu es sur le point de sortir un album live. Le précédent date de vingt ans. As-tu changé la façon dont tu te prépares avant un concert pendant ces deux décennies ?
J'ai du mal à me souvenir, pour être honnête... Je ne me rappelle pas ! Sûrement. C'est une question très difficile parce que je ne suis pas vraiment sûr. Je ne pense pas, non. Il s'agit de se mettre à l'aise avec ce qui est prévu... Je ne suis certainement pas aussi stressé qu'avant mais je ne me souviens pas avoir changé quoi que ce soit de précis, non.
Quel genre d'implication un album live te demande ? Je suppose que de ton côté ça doit être plus simple qu'un album studio...
Oui, bien sûr que c'est un peu plus facile. Bon, on a quand même écrit deux nouvelles chansons qui sont sur l'album live. Ça représente tout de même un travail considérable. Nous n'avions pas prévu de sortir cet album live : on s'est retrouvés avec du temps libre et l'idée a été proposée par un de nos ingés son qui avait enregistré beaucoup de nos concerts pendant la tournée Cryptorania, qui a commencé en 2015 et s'est étendue jusqu'en 2019 car nous avons sorti ReMistressed entre temps. Nous avons donné toute cette impressionnante matière à Scott Atkins, notre ingé son en studio, qui a trouvé les bonnes performances... Nous avons dû décider d'une tracklist qui définissait bien notre carrière, sans répétition et avec un bon panel de morceaux de notre catalogue entier. Scott a eu la tâche peu enviable de donner vie à tout ça. Mis à part ça, comme je le disais, nous avons deux nouvelles chansons. Un album live demande aussi un gros travail de mix car nous prenons l'information directement depuis la console d'un concert. C'était d'autant plus un travail considérable qu'il s'agit d'un double album. Évidemment, ce n'était pas aussi difficile qu'un album studio, mais difficile néanmoins !
Avais-tu des inquiétudes avant de reprendre les concerts après deux ans de pandémie ?
En fait, nous avons eu pas mal de chance. Nous sommes entrés en studio juste avant le début de la pandémie et avons terminé Existence is Futile pendant. J'ai bien sûr dû attendre un an avant de voir l'album sortir parce qu'on ne pouvait pas faire de tournées. Nous avons eu la chance de partir tourner aux Etats-Unis dès la fin de la pandémie. Jusqu'ici, nous avons déjà eu trois tournées américaines, une européenne et quelques festivals depuis cette pandémie. Alors bien sûr, nous étions tous inquiets, peu importe ton boulot. Tout le monde spéculait sur l'avenir, surtout dans le monde du spectacle, et encore plus avec le Brexit ou maintenant le gouvernement américain qui veut augmenter le prix des visas pour les artistes étrangers... Ça a été éprouvant, ça continue d'être éprouvant j'imagine, mais nous sommes désormais plutôt tranquilles. C'était assez délicat sur la première tournée américaine parce qu'ils avaient mis en place un tas de protocoles sanitaires, tout le monde devait être testé avant et après être entré dans une salle de concert... C'était très laborieux et à un moment nos deux premières parties, Once Human et 3Teeth, ont chopé le covid et ont dû quitter la tournée. C'était embêtant, déroutant... et sacrément chiant !
Les clips de Cradle of Filth ont un visuel très fort. Aurais-tu envie d'avoir plus d'accessoires sur scène pour accentuer l'aspect spectaculaire ?
Oui, on l'a fait de temps en temps. Pendant la pandémie, nous avons eu ces deux énormes... trucs, peu importe le nom qu'on leur donnait, je ne m'en souviens pas, des shows que les gens pouvaient payer en ligne. Pour les gros festivals, nous apportons des accessoires et de la pyrotechnie. Quand on est un groupe théâtral comme nous, on veut bien sûr toujours apporter un paquet de trucs sur scène, mais on revient toujours au problème du coût. Tourner coûte très cher. Sur la dernière tournée avec Alcest, nous avions un autre camion et un plus gros show mais ça nous est revenu très cher. Les prix des tournées sont un vrai problème en ce moment.
L'univers de Cradle est très fantastique, mais j'ai eu l'impression qu'Existence is Futile avait un côté légèrement plus ancré dans la réalité, avec son ton apocalyptique et une chanson comme Suffer Our Dominion et ses références aux catastrophes écologiques. Est-ce une chose que tu penses approfondir à l'avenir ?
Oui, peut-être. Le nouvel album sera plus fantastique, cependant. Les paroles sont plus dans la lignée de Dusk and her Embrace, avec toute cette imagerie vampirique. Nous ne sommes pas un groupe politique, nous ne voulons pas suivre ce mouvement. Notre musique est surtout là pour servir d'échappatoire. Nous subissons déjà la vie de tous les jours, eh bien, tous les jours... et je ne pense pas que ça ait un réel intérêt de s'y replonger, à moins qu'il y ait une raison vraiment valable. J'aime les échappatoires. Je pense que ma vie est assez différente de celle de beaucoup de gens. Je n'ai pas à suivre de planning précis, en général j'écris jusqu'à trois heures du matin et me lève vers dix heures, je n'ai pas eu de "vrai boulot" depuis que j'ai seize ans... Toute ma vie tourne autour de ce besoin d'évasion parce qu'au final, nous n'avons qu'une vie alors autant profiter de ce que l'on veut quand on veut. Oui, je sais, ça me donne l'air idiot et égoïste mais je t'assure que j'essaye de ne pas l'être !
Tu parles de l'importance de profiter, de s'amuser et faire ce que l'on veut... Est-ce la raison pour laquelle tes reprises et tes featurings en dehors de Cradle of Filth sont si différents de ta musique habituelle ?
Oui, je pense. J'aime la juxtaposition, le mariage des extrêmes. Faire un truc avec Bring me the Horizon ou Twiztid ou même Ed Sheeran est bien plus excitant qu'avec un autre groupe qui nous ressemble, ou qui appartient au même genre. Ne me fais pas dire ce que je n'ai pas dit, hein, j'adore ces musiciens, mais je ne pense pas que faire un morceau avec Shagrath de Dimmu Borgir, Glen Benton de Deicide ou George Fischer de Cannibal Corpse sur un album apporterait quoi que ce soit parce que ça ressemble déjà à ce que je fais... Même si je n'arrive pas à chanter aussi grave que George ! Ce que je veux dire, c'est que j'apprécie et trouve ça super de faire quelque chose d'étrange quand tu prends un genre qui ne correspond pas vraiment à ce que tu fais, que tu associes les deux et arrives à en créer quelque chose de nouveau. Je trouve que ça y apporte de l'intérêt. J'aime la musique où qu'elle soit, peu importe le genre. Je ne sais pas quand ça sortira parce qu'il nous arrive d'enregistrer des trucs qui ne sortent pas avant plusieurs années, mais nous avons enregistré certaines choses comme une reprise de Dio et une d'Ultravox, un groupe d’électro des années 90. La raison pour laquelle nous avons fait ces reprises, c'est tout simplement parce que ce sont de super chansons.
T'arrive-t-il de rêver de faire quelque chose de radicalement différent avec Cradle of Filth ?
Oui, parfois. Les gens demandent "pourquoi tu ne ferais pas ceci, cela ?"... Mais faire un album prend environ un an. On passe environ quatre mois en studio. On ne travaille pas les week-ends et on espace les choses pour être sûr que ça sonne bien. On ne veut rien précipiter, on travaille énormément sur chaque piste.... Ce n'est pas quelque chose qui jaillit comme ça, de manière improvisée. Les gens semblent parfois croire que c'est comme ça qu'on fait les albums, mais c'est une erreur regrettable. Sinon, oui, bien sûr, j'ai quelques idées en tête mais je crois aussi que Cradle of Filth a un son bien défini qui ne peut pas disparaître d'un coup pour qu'on se mette à faire du reggae ou je ne sais quoi, genre du ska... Ce serait ridicule.
Un cliché parle de la communauté metal comme d'une grande famille, ce dont je ne suis pas entièrement convaincu...
Je vois ce que tu veux dire quand tu hésites à ce sujet. Les gens passent leur temps à râler! Si tu vas sur le site Blabbermouth, tu verras toute la rage qu'il peut y avoir au sujet de groupes qui, finalement, se ressemblent pas mal. Il n'y a pas une énorme différence entre par exemple Arch Enemy et n'importe quel groupe qui ressemble à Arch Enemy, même si aucun nom ne me vient en tête là tout de suite... mais tu verras quand même des gens sur internet commenter "oh j'adore ce groupe mais celui-là est à chier, je les hais". Il n'y a pas de juste milieu, pas vraiment d'appréciation pour l'ensemble. Je ne dis pas que c'est le cas de tout le monde, mais je trouve qu'il y a quand même un inquiétante apathie dans la scène metal. Les fans sont très loyaux envers les groupes qu'ils aiment mais le sont finalement assez peu envers le genre dans son ensemble, tout n'est que querelles et débats du genre "t'es pas un vrai, t'es un vendu"... Mais quand Metallica sort un truc, là par contre tout le monde trouve ça génial et tombe d'accord... On en a entendu de belles, nous aussi, quand on a commencé à être connus. Désolé, je ne peux pas changer les gens.... Mais si je veux continuer à faire cette musique, il faut aussi que ça ait un sens, financièrement parlant, ce n'est pas juste un hobby. Je ne peux pas me lancer sur la route et dire "on part en tournée mais on ne gagnera pas un centime". Putain, alors on vit comment ? C'est pareil pour tout le monde.
...et est-ce que tu t'inquiètes de la réaction de cette "grande famille" à ton morceau avec Ed Sheeran ?
Non, absolument pas. En fait, c'est tout le contraire. Je n'en ai rien à foutre de ce que les gens vont en penser. Ce sera pour des organismes de bienfaisance, deux organismes dont un qui soutient la communauté metal et les personnes alternatives et qui a déjà fait du beau boulot.... Je ne sais pas encore quand ça va sortir parce qu'en gros deux managers doivent se faire mettre d'accord sur la façon dont on va sortir ça, on ne peut pas juste balancer le morceau dans la nature et espérer que tout se passe bien. Alors oui, bien sûr, des gens vont brandir leurs fourches parce qu'on travaille avec un gars qui fait de la pop, qui a une guitare acoustique, que c'est actuellement un des plus gros artistes au monde, patati, patata... Mais c'est une super chanson. Elle est accrocheuse, c'est du metal. Il y a de la guitare acoustique, mais c'est principalement un morceau metal avec cris et blast beats... Ce n'est pas un produit marketing. En fait, je dirais que c'est même tout le contraire... Qui peut avoir une telle opportunité ? Créer un monstre hideux qu'il sera merveilleux de contempler !
A la sortie d'Existence is Futile, tu disais qu'il synthétisait tout ce qu'est Cradle of Filth. Comment pars-tu de là pour créer quelque chose de nouveau ?
Eh bien, nous avons deux nouveaux musiciens dans le groupes et c'est la raison pour laquelle nous avons sorti ces deux chansons sur l'album live car nous avions besoin pour le prochain album de repartir de zéro, d'une certaine manière. Nous ne voulions pas repartir avec du matériel lié aux anciens membres du groupe, ça ne nous semblait pas correct. L'album ne nous aurait pas paru complet s'il avait été fait d'attributs empruntés à différentes incarnations du groupe... Les deux chansons qui se trouvent sur le live ont été enregistrées pour faire partie d'un autre album, mais tout ayant été décalé avec la pandémie, elles se retrouvent finalement sur ce live. Pour créer quelque chose de nouveau, il faut se poser avec tout le monde, c'est tout un process. Il nous a fallu intégrer ces deux nouvelles personnes dans l'écriture de l'album mais ça a été facilité par le fait d'avoir déjà tourné avec le groupe et joué nos chansons de manière à être infiltré par "l'idéologie" Cradle of Filth, que ça leur plaise ou non ! Tout cela prend du temps, on ne veut pas se répéter, on veut proposer quelque chose de nouveau mais qui ne dérive pas trop loin de ce que l'on a fait par le passé... On ne sait jamais vraiment ! Pour le prochain album, nous avons écrit beaucoup de choses qui ont été laissées de côté. Nous aurions même pu commencer l'enregistrement il y a six mois, mais ça n'aurait pas été une bonne idée car je voulais vraiment avoir un avis définitif et tranché sur la qualité de ce qui sera sur le disque et ne pas avoir d'hésitation ou juste dire "oh, ça fera bien l'affaire"... Tout doit être parfait. Bon, et oui, encore une fois, tout ce qui définit Cradle sera de nouveau sur cet album mais ce sont de nouvelles chansons, de nouveaux tempéraments, de nouvelles pièces...
Tu lis beaucoup et aimes aussi le cinéma... As-tu été récemment inspiré par une œuvre en particulier ?
Pas vraiment. Je suis inspiré par toutes sortes de choses. Ce n'est jamais vraiment un livre ou un film spécifique. C'est un peu de tout. Je peux aussi ne pas être inspiré du tout. Beaucoup d'artistes écrivent leurs propres histoires, mais tu peux aussi bien trouver l'inspiration dans la plus petite chose. C'est comme ça que fonctionne la créativité. Ce serait évidemment plus simple si on avait juste un bouton à pousser pour l'activer... Mais ce n'est pas vraiment comme ça que ça marche quand j'écris mes paroles. C'est pour ça que je travaille principalement la nuit car je ne trouve aucune inspiration dans ce qui se passe la journée, genre le soleil, le trafic... Mais la créativité a tendance à aimer jouer avec nos nerfs !
Quand j'étais ado, je trouvais Cradle of Filth très sombre, assez effrayant même. Pour être honnête, si aujourd'hui j'apprécie toujours votre univers très dark, je le trouve aussi très rigolo plus qu'effrayant, comme un bon film d'horreur peut être amusant. Est-ce moi qui ai vieilli, ou avec le temps es-tu plus décomplexé ?
Eh bien, nous vieillissons tous ! Petit, j'étais par exemple terrifié par des films comme Le Loup-Garou de Londres et Evil Dead, mais je crois que c'était surtout l'idéologie derrière ces films qui m'effrayait et tout ce que j'en avais entendu avant de les voir. Maintenant, je peux les regarder à n'importe quel moment de la journée. D'ailleurs, ce sont des comédies noires... Je me disais bien qu'il y avait une raison pour laquelle je mentionnais ces deux-là ! Mais à l'époque... Je me souviens que j'avais neuf ans quand j'ai vu la bande-annonce du Loup-Garou de Londres avec le making-off du clip de Thriller de Michael Jackson. Mon père avait été chercher la cassette du film un soir et était parti chercher ma mère dans une ville voisine, j'étais donc seul à la maison quand j'ai finalement vu le film... Et j'avais trop les jetons ! Quand mes parents sont revenus, ils ont décidé d'éteindre les phares de la voiture pour pas que je les vois arriver et sont venus gratter à ma fenêtre... J'ai cru littéralement mourir de peur ce soir là ! Bref. Je pense que tout ça est une histoire de perception. Bien sûr, il y a des éléments d'ironie sardonique dans ce que Cradle of Filth a pu faire, mais en général, tu avais toutes les raison d'être terrifié quand tu étais jeune...