'Arche' est sorti il y a bientôt un an. Cet album représente t-il toujours le groupe tel qu'il est aujourd'hui ou ressentez-vous déjà être dans une nouvelle phase créative ?
Kaoru : Chaque album représente musicalement et visuellement le groupe tel qu'il est au moment de leurs sorties respectives. Notre dernier travail, 'Arche', est sorti au mois de décembre de l'année dernière (2014). Il va donc bientôt souffler sa première bougie. Hum... Une année représente une période courte et longue à la fois, assez courte pour se sentir toujours en adéquation avec cet album, son univers, mais également assez longue pour se sentir déjà dans une nouvelle phase créative. Je crois qu'à l'heure actuelle, on se situe entre les deux. On évolue de manière continuelle, rien n'est jamais figé. DIR EN GREY est un groupe en mouvement perpétuel. On a déjà de nouvelles idées en tête, idées de composition et concepts visuels (sourit).
Je comprends. Continuons sur le thème de l'évolution. Après avoir joué l'album à maintes reprises au cours de l'année, les chansons ont subi quelques modifications. Ces changements vous viennent-ils naturellement, en fonction de votre état d'esprit du moment, ou les travaillez-vous de manière méticuleuse en amont ? S'agit-il d'une éternelle insatisfaction de votre part vis-à-vis de votre travail enregistré ?
Kaoru : Nous modifions effectivement certaines chansons, pas toutes, pour le live. Ce ne sont jamais de grosses modifications et les parties modifiées sont toujours réalisées sur des passages très courts. De manière générale, les idées nous viennent en jouant les chansons en concert. C'est l'expérience de la scène qui nous insuffle l'inspiration. À force de jouer nos titres, tels qu'ils ont été écrits et enregistrés j'entends, on prend conscience que certains d'entre eux pourraient être mieux mis en valeur sur scène. Les idées viennent naturellement, c'est-à-dire qu'on ne se force jamais à modifier notre travail pour la beauté du geste. Mais les changements opérés restent néanmoins travaillés, discutés et décidés en amont du live. Il ne s'agit pas d'une éternelle insatisfaction de notre travail enregistré, on estime simplement que certaines chansons ont besoin de quelques altérations pour jouir d'une meilleure ampleur scénique. Les changements sont faits uniquement pour améliorer le live, uniquement le live.
Comment retravaillez-vous ces pistes-là, Die et toi ?
Kaoru : En studio, nous définissons clairement qui fait quoi... Enfin, j'entends par-là que chacun apporte, en général, ses idées pour ses propres parties jouées. Lors des répétitions, avant le live, en revanche, il nous arrive souvent de donner des conseils et suggestions les uns aux autres. Je peux très bien dire à Die : "Tiens, ce serait mieux que ce soit toi qui joues cette partie-là ou qu'on joue cette partie-là comme-ci ou plutôt comme-ça". On discute, on joue, on échange des idées, on joue. On a jamais l'impression de faire des compromis, on est toujours sur la même longueur d'onde artistique.
En studio, de quelle manière votre façon de travailler diffère t-elle ?
Kaoru : En studio, les rôles sont plus définis bien qu'il n'y ait aucune règle établie. DIR EN GREY est un groupe très ouvert et totalement libre. Avec Die, nous travaillons ensemble et séparément. On fait les deux. Il n'y a pas de formule-type de composition. Il nous arrive aussi bien d'écrire chacun de notre côté pour ensuite assembler nos idées, superposer nos compositions les unes aux autres, que travailler l'un à côté de l'autre, pour voir ensemble ce qui fonctionne le mieux. C'est comme ça que nous avons composé 'Arche' : on a écrit certaines mélodies ensemble, en collaboration, et d'autres de manière séparée, pour juxtaposer nos idées. Et, ça marche très bien de cette façon-là parce qu'il nous arrive, chacun notre tour, d'avoir des passages à vide, de manque d'inspiration et frustration créative. Mais l'idée de l'un devient source d'inspiration de l'autre. Nous sommes vraiment tous complémentaires, tout le monde donne des idées librement aux autres, il s'agit d'un réel échange. Je peux aussi bien donner des suggestions à Kyo qu'à Toshiya. Il n'y pas de chamaillerie.... Presque pas (rires).
Le studio vous permet de laisser libre cours à votre imagination justement. Il y a par exemple de nombreux riffs et mélodies superposés les uns aux autres. Peux-tu m'expliquer la difficulté que cela représente d'essayer de reproduire cela sur scène ? Comment faites-vous pour vous rapprocher le plus possible du disque ? Enfin, peut-être ne recherchez-vous pas à lui être fidèle...
Kaoru : Hum (retient la note longtemps)... Eh bien, ça dépend des morceaux et plus précisément des phrases musicales des morceaux. En général, on jauge l'ambiance qui émane des chansons en les jouant en répétitions. Il en résulte deux types : d'un côté, il y a les morceaux que nous essayons de reproduire à l'identique du disque, ce sont ceux qui n'ont pas besoin d'être modifiés parce qu'ils fonctionnent très bien en live, et de l'autre, il y a ceux qui fonctionnent moins bien, pour ceux-là nous essayons de nous détacher du disque parce que nous estimons qu'ils rendent mieux en live avec les changements que nous leur faisons subir. Après, il est vrai qu'il est difficile de faire ressortir la richesse d'un morceau sur scène, quel qu'il soit. Tous les riffs de guitare sont joués entièrement par Die et moi-même. Je n'ai pas vraiment envie d'utiliser des bandes enregistrées de guitare pour nous aider, même s'il nous arrive d'en discuter. Parfois, on se demande si ce ne serait peut-être pas mieux d'insérer certains sons par ordinateur. On ne le fait jamais pour les parties de guitare, ça nous arrive de le faire pour des sons d'ambiance, uniquement les sons d'ambiance.
Comment différencierais-tu ton style à celui de Die ?
Kaoru : Je ne vois pas trop quelles différences nous avons au niveau de notre style de jeu (réfléchit longuement). Hum... En fait, je dirais que ce qui nous différencie est ce que j'aime le plus dans sa façon de jouer. Nos touchés sont différents, Die a un doigté plus noble, plus assuré. Il sait aussi jouer de très beaux arpèges. Les mélodies qu'il compose sont magnifiques. Nous sommes très différents sur ces points-là. En ce qui concerne mon style, je ne peux le décrire. Ce n'est pas que les mots me manquent, je ne vois simplement pas quel style j'ai. Pour revenir à Die, je trouve son doigté très précis, son jeu est décidé et direct. Il sait pleinement ce qu'il fait. Les cordes n'ont aucun secret pour lui.
J'ai bien l'impression que tu te sous-estimes. Quels sont les avantages et inconvénients d'être le guitariste d'un groupe à deux guitares ? Trouves-tu cela intéressant parce que vous pouvez élargir vos horizons ou trouves-tu cela contraignant car tu dois toujours avoir affaire à une 2e personne ?
Kaoru : N'ayant été que dans des groupes à deux guitares, je trouverais cela bizarre de n'être que quatre membres, avec un seul guitariste j'entends. Ça me semble presque impossible. Ce serait très inconfortable comme situation (rires). Être deux guitaristes est clairement un avantage, mais pour moi, c'est une configuration normale. Ce n'est pas un inconvénient, bien au contraire. D'autant plus que nous sommes en totale harmonie artistique.
Tu vas présenter un show 'The Freedom of Expression' de manière régulière à partir du 3 octobre 2015. Qu'attends-tu de cette expérience ? Y a t-il un sujet qui t'intéresserait d'aborder ?
Kaoru : Il s'agit d'une émission radio de libre expression. On discutera de tout ce qui se passe ici au Japon. Certains thèmes sont déjà prévus, d'autres pas encore. Les thèmes évolueront au fil de l'émission. En tout cas, nous ne parleront pas uniquement de musique. Le concept est venu de moi, bien que je me sois inspiré d'une personne que je connais qui fait déjà ça. J'ai approché le patron d'une radio chez qui travaillait un de mes anciens camarades de classe, c'est ainsi que je l'ai connu ! J'ai donc saisi l'occasion pour me lancer dans ce projet. Au départ, je pensais parler de musique simplement : de groupes, d'artistes, de musiciens. Finalement, j'aimerais ne pas être limité à ça. Je présenterai l'émission de manière libre, où les sujets se mélangeront, évolueront, un peu comme cela se fait naturellement dans une conversation autour d'une table. Une idée en amenant une autre.
Tu vas sortir ton premier livre le 21 octobre 2015 (vendu exclusivement à Tower Records). Peux-tu nous en dire plus ? S'agit-il d'une autobiographie ? Quelle expérience en gardes-tu ?
Kaoru : Je travaille dessus depuis trois ans. Il s'agit d'une collaboration, je ne l'ai pas écrit seul. Il s'agit d'une semi-biographie dans la mesure où il s'agit de ma vie traitée de manière chronologique : le livre débute avec ma naissance et se termine avec l'homme que je suis devenu. Il s'agit bien de ma vie, mais nous avons occulté les drames et accidents, il s'agit de ma vie racontée sous un angle léger. Ce n'est donc qu'à moitié une autobiographie. Avec cette personne, on a récupéré et regroupé des informations déjà parues dans des magazines comme le Ongaku to Hito (音楽と人). J'y tiens une rubrique depuis quelques années. Le livre contient une interview qui retrace mon enfance. Il y a des photos jamais publiées auparavant. L'ensemble sera parsemé de mon ressenti actuel. Mais, je pense que tu devrais le lire pour saisir l'atmosphère du livre.
Que cache le titre 'Doku Gen' ?
Kaoru : Il s'agit d'un livre co-écrit par un musicien, moi-même. Regarde, le premier kanji (il montre le kanji de la couverture du livre) : 読 (doku) signifie « lire », le deuxième kanji (il montre le second kanji du titre, dessiné sur la couverture du livre) : 弦 (gen) signifie « corde ». Le titre connote l'idée suivante : « lire ma vie, lire la vie d'un musicien, la vie d'un guitariste », tout simplement (sourit).
C'est intéressant parce que 'Doku Gen', sans la précision des kanjis que je n'avais pas vus, j'ai cru que ça signifiait « se parler à soi-même » (独言). Va t-il y avoir une édition anglaise ?
Kaoru : Non, aucune version anglaise n'est prévue (fait la grimace).
En 2008 à l'époque d'Uroboros, je t'avais demandé si vous vous lanceriez un jour dans des side-projects. Tu m'avais répondu que vous le feriez quand le moment sera opportun. Etant donné que vous avez tous lancé vos projets (avec ta collection de vêtements distribué par MOISES, ton livre 'Doku Gen', sukekiko pour Kyo, DECAYS pour Die, 100% Natural Dirty pour Toshiya) quasiment en même temps, peux-tu me dire en quoi ces deux dernières années ont été propices ?
Kaoru : En fait, ça fait un moment déjà qu'on y pensait. En 2008, le moment n'était pas encore venu, il y avait un je-ne-sais-quoi qui nous en empêchait, mais ça a toujours été sous-jacent. Kyo a eu le courage de se lancer le premier, les autres ont naturellement suivi le pas sans se poser de questions. [ndlr : |Interview 2008| ]
Vous allez embarquer dans une tournée américaine sous peu et jouer au Nippon Budokan deux dates consécutives en février. Achever une longue tournée mondiale au Nippon Budokan, c'est un peu comme marquer le point final d'une ère d'un album. Que représente le Nippon Budokan pour vous ?
Kaoru : L'une des raisons principales réside en fait dans sa superficie qui nous semble idéale. Puis nous aimons jouer là-bas. Les autres salles nous donnent en quelques sorte moins ce sentiment. Une autre salle aurait très bien pu faire l'affaire. Mais le Budokan a une superficie idéale pour produire un grand spectacle, plus grand que ce que nous faisons habituellement. La fin d'un album n'est pas forcément marqué par lui. La salle nous plait vraiment je crois.
Hier, tu avais un bandage à la main. Je crois que c'était aussi le cas à Paris. Est-ce que ça va ?
Kaoru : Hum... (regarde sa main, l'air triste). Depuis quelques temps, je ressens une douleur à la main, et elle s'intensifie. Je pense que ça ne s'arrangera pas. Il semblerait que ce soit bien fêlé. Je travaille sur mon rétablissement, je fais attention à ce que je fais, je vais souvent faire des examens à l'hôpital (bouge les doigts de sa main). Mais ça va, enfin je pense. C'est à force de jouer, la cadence de mon jeu, les rythmes ont pas mal changé avec le temps... Je commençais à me rendre compte petit à petit que les douleurs devenaient étranges. Je crois que ça va empirer progressivement...
Oh ! Je ne savais pas. Je ne sais pas quoi dire... Je te souhaite bon rétablissement, ménage-toi. Bon courage pour ce soir.
Kaoru : Merci, ça ne va pas être simple.