Ecr.Linf, pour "écrasons l'infâme" : la formule de Voltaire incitant à combattre l'obscurantisme donne son nom à ce nouveau groupe de black metal fondé par Krys Denhez (chant, l'homme est partout : il a travaillé avec Demande à la Poussière, 6:33, Jarell, Ophe...) et Dorian Lairson (guitare, mais aussi auteurs de tous les visuels, ex-Jarell). Les deux musiciens ont été rejoints par Jiu Gebenholtz à la basse, Rémi Sefarino (ex-Hyrgal, ex-Svart Crown, Igorrr) à la batterie et Jean Lassalle (ex-Jarell) aux claviers.
Avec sa démarche atypique, Ecr.Linf s'empare des codes du genre pour en proposer une version personnelle intense et passionnante, dont la profondeur musicale et thématique nous a captivés. Avec Belluaires, un premier album prévu pour le 22 mars chez Source Atone Records (précommande), il était temps de leur donner la parole pour nous livrer quelques clés sur ce projet dont on vous reparlera bientôt, c'est promis.
De la préhistoire à nos jours, l’histoire s’est déchaînée sur l’Homme d’une telle violence qu’on en chercherait un coupable idéal. Alors, on pourrait commencer à faire une liste de toutes les personnalités historiques en les accusant d’avoir fait tomber l’humanité dans ses plus grands travers : une guerre mondiale par ci, une épuration par là… Mais ceci ne nous aiderait guère à faire évoluer les mentalités, on rejetterait encore une fois la faute sur autrui (aussi vil soit-il).
Quel est donc ce dénominateur commun ? le contexte historique, économique ou idéologique ? Un peu de tout ça mais si on remonte un cran en amont, c’est le procès de l’âme humaine qu’il nous faut réaliser.
Pour vous, c'est quoi l'infâme ?
Dorian : Dans Ecr.Linf, le but était déjà de trouver l'infâme qui est en nous, nos monstres sauvages. L'album s'appelle Belluaires : ce sont les gladiateurs qui combattent à mains nues avec un lion dans l'arène. Il y a aussi toutes nos croyances, qu'elles soient religieuses ou autres, ces trucs auxquels on veut vraiment s'accrocher dur comme fer mais qui peuvent donner quelque chose de très puant envers l'extérieur. Il faut donc déjà trouver l'infâme en notre intérieur, en avoir conscience pour mieux le combattre ensuite. Cet infâme-là, c'est trouver ce que l'on dénonce autour de nous mais à l'intérieur de nous.
Krys : On parle beaucoup des idées reçues, cette logique de l'inné et ce que l'on a via notre éducation qui finit par nous faire devenir une infamie aux yeux de quelqu'un d'autre. On souhaitait y réfléchir, tout simplement, et essayer d'arrêter de croire, afin de tenter de mieux comprendre pourquoi il faudrait croire. Ce sont deux choses différentes.
Qu'est ce qui vous a amenés sur ce chemin-là ?
Krys : Oh, Saint-Jaques de Compostelle et tout ça ! Non, plus sérieusement, il n'y a rien du tout de religieux, c'est spirituel dans un sens global, dans la connexion humaine mais pas du tout au sens religieux. Il y a les épreuves de la vie, aussi.
Dorian : Il y a eu beaucoup d'événements, c'est tout un cheminement. Personnellement, j'ai eu quelques étapes qui m'ont aidé à accéder à une nouvelle compréhension du monde. Je suis toujours en chemin d'ailleurs, ce n'est qu'un début...
Donc pour parler de l'infâme, il faut être infâme ?
Krys : Il faut une partie de noirceur, c'est évident. On ne peut pas parler de choses qu'on ne connaît pas, ou en tout cas c'est difficile, ce serait prendre le risque de les fantasmer. Je sais que j'ai beaucoup de noirceur et de violence en moi et à un moment donné il faut que ça sorte... Surtout, j'ai ça en moi depuis des années et j'essaye de contrôler cette part d'ombre pour que ça serve à une réflexion plutôt que de n'être que de la haine diffuse et de la gratuité. Chacun a de l'infâme en lui. On peut toujours juger les actes des autres dans le sens où il y a toujours un moment où on va être en désaccord sur quelque chose et on va se retrouver en décalage. Ce décalage crée du rejet, le rejet de la haine et puis après ça engendre plein de choses donc l'idée pour nous était de prendre du recul. Ce n'est pas évident, on ne peut pas le faire tout le temps, même avec un gamin de cinq ans je n'y arrive pas et je suis très vite excédé !
Dorian : Surtout avec un gamin de cinq ans ! De toute façon, ceux qui prétendent ne pas avoir d'infâme en eux sont des menteurs.
Krys : C'est vrai que souvent, les gens les plus infâmes sont vachement avenants et ont le plus beau visage...
Vous condamnez et dénoncez nos torts en faisant du black metal, un genre dans lequel beaucoup d'artistes aiment justement faire les méchants. Est-ce qu'à un moment ça vous a semblé paradoxal comme démarche ?
Krys : Il y a une forme de rébellion là-dedans. On s'inclue aussi dans l'humanité : on ne veut surtout pas donner de leçons dans nos textes, ça parle de nous. La rébellion est là : on dit "écoutez, nous on est vraiment méchants sur certaines choses, on a compris des trucs qui nous dégoutent et on vous l'expose". Il n'y a plus besoin de faire le méchant dans le simple but de faire le méchant : ça fait peur à qui de nos jours ces trucs-là ?
Dorian : C'est peut-être parce qu'on est des vieux cons, mais ce qui était sulfureux il y a trente ans, ce qui m'impressionnait à l'époque, aujourd'hui je trouve ça un peu... Bon, disons que parfois ça surfe même sur le ridicule et on se dit que nous on ne doit surtout pas faire ça. On ne se verrait pas faire ça, même si on va voir ces groupes, il n'y a pas de soucis, c'est juste que ce n'est pas ce qu'on a envie de faire vu notre démarche.
Même musicalement, vous jouez avec les codes classiques : il y a du synthé, de l'accordéon...
Dorian : C'est vrai qu'on est moins codifiés. On a cherché à casser les codes. Je viens du black metal, j'ai commencé mon premier groupe quand j'avais 16 ans. C'était encore très anecdotique à l'époque, la scène scandinave arrivait... Rejouer avec les mêmes codes de nos jours, refaire la même chose qu'il y a trente ans, ça ne rimerait à rien. Je ne voyais pas l'intérêt : si on fait quelque chose, je préférais qu'on y mette notre sincérité, notre son, notre style, tout ce qu'on a cherché à trouver pour dire que c'est "notre" black metal.
Krys : C'est la lecture que l'on a à l'heure actuelle du style. Des gens vont y adhérer, d'autres moins. On a eu pas mal de discussions très enrichissantes avec des gens qui font du true black metal et c'était intéressant parce qu'ils veulent bien reconnaître qu'on fait du black mais ils trouvaient ça trop moderne ! C'est assez marrant. Tout est une question de nuances et de perceptions : pour nous, on a quand même réutilisé les codes parce que nos riffs sont très axés années 90-2000 mais ça doit être le chant qui n'est pas amené de la même manière... On voulait un peu casser ça parce que c'est vrai qu'il y a de super groupes dans le black mais ça peut paraître lisse à force de retrouver toujours les mêmes codes. On trouvait ça bizarre parce que ça finit par lisser l'intensité, ça codifiait trop un style qui se veut hors des codes à l'origine et qui se retrouve de nos jours à s'auto-singer... C'est là qu'on s'est donnés la liberté de dire rien à foutre, on est en décalage, on fait ce qu'on veut et on verra comment c'est perçu. On a voulu faire un album qui nous ressemble et qu'on aurait aussi envie d'écouter.
Il y a une certaine ironie quand on parle de combattre l'obscurantisme : des intégristes religieux ont finalement peu de chances de tomber sur votre musique... et à l'inverse ceux qui vont l'écouter peuvent être tout aussi sectaire et ne pas forcément comprendre que l'on parle aussi d'eux !
Dorian : Exactement ! C'est facile, à force de dénoncer, d'aussi devenir ce que l'on dénonce. C'est souvent le cas.
Vous disiez ne pas vouloir donner de leçons : le but n'est donc pas de sauver le monde grâce au pouvoir du black metal ?
Krys : Oh bah ça va être difficile...
Dorian : Non ! Si on arrive à sauver notre monde personnel, ça serait déjà beaucoup, c'est très rédempteur... "De mon seul être dont je suis maintenant l'unique roi", la punchline du Désespoir du Prophète, ça synthétise finalement vraiment bien tout ce que l'on a voulu faire, toute notre démarche actuelle.
Le projet est né de vous deux. D'autres musiciens s'y sont greffés. Comment est-ce que ça s'est goupillé ?
Dorian : Les premières maquettes et le squelette des morceaux, c'est vraiment Krys et moi. Après, il y a Jiu à la basse qui apporte tout son background. Il avait déjà eu des groupes de metal mais il n'avait jamais été dans un groupe de black. Comme nous, il en écoutait depuis trente ans et ça lui tenait à cœur alors on n'a même pas eu à lui demander, c'est lui qui est venu vers nous ! On a les mêmes références, les mêmes habitudes... Ensuite, il y a Jean aux claviers qui jouait avec nous dans un groupe de death mélodique, Jarell, et qu'on a retrouvé un mois avant d'entrer en studio. On ne l'avait pas revu depuis dix ans et il disait qu'il ne voulait plus faire de musique... sauf s'il trouvait un groupe de black metal ! On s'est regardés et on lui a dit "écoute, t'as un mois avant qu'on rentre en studio" ! Il a fait les gros yeux mais sa réponse n'a pas tardé et son apport a vraiment été énorme. Il a vraiment sublimé les programmations que j'avais prévues et comme on avait déjà travaillé ensemble, les automatismes sont vite revenus. Rémi a été le batteur d'Hyrgal, de Svart Crown et maintenant d'Igorrr. Son jeu était vraiment un coup de cœur pour moi, Krys avait fait un plateau avec lui, on est restés en contact et petit à petit il nous a rejoint.
Vous aviez déjà travaillé tous les deux ensemble : qu'est ce qui fait que vous avez préféré commencer un nouveau projet plutôt que d'en réactiver un ancien pour le faire évoluer ?
Krys : Tout simplement parce qu'on avait globalement claqué la porte de Jarell, tout d'abord Dorian puis moi. Ça fait partie de notre histoire, de notre background et on en est fiers, mais on voulait partir sur autre chose et la musique que l'on joue maintenant n'a rien à voir. Ça aurait été bizarre de reprendre le même nom parce que peut-être que ça aurait rappelé des choses à des gens... Au contraire, on a voulu choisir un nom que personne ne connaissait, comme ça les personnes s'intéresseront plus à la musique qu'aux questions de line-up. Pour nous, l'intérêt est de faire de la musique et la communiquer. Je trouve ça toujours délicat de revenir avec le même nom mais un autre groupe. Ça n'aurait pas eu de sens : on était six dans Jarell et là il n'y en aurait eu que la moitié. Je sais pas, c'est comme si Axl Rose continuait les Guns'n'Roses tout seul ! Et puis la démarche est différente, on est complètement sur autre chose.
Vous mentionnez Voltaire comme influence. Est-ce que ce background littéraire a déterminé le choix du chant en français, ou est-ce venu naturellement pour toi Krys ?
Krys : J'ai pas mal chanté en anglais par le passé... Mais pour être revenu en France après Dubaï, j'avais un ras-le-bol de la langue anglaise. J'ai toujours l'impression qu'en anglais tout veut rapidement dire quelque chose, donc c'est super, mais ça manque parfois de fond. Je trouvais ça dommage : j'essaye d'écrire des textes avec du fond mais je me retrouve à réduire en terme de vocabulaire car certaines tournures ne fonctionnent pas en anglais. Il aurait été aberrant de prendre comme référence Voltaire pour Ecr.Linf et d'écrire en anglais. Pour nous ce n'était pas cohérent sur le moment. Surtout, on a voulu jouer avec les mots, prendre leur rythmique pour essayer de retrouver un sens dans tout le propos. Ça a été pas mal d'heures d'écriture et d'échanges. Au-delà de juste écrire des textes, on a essayé de vraiment les faire adopter par chaque personne du groupe pour que tout le monde soit au courant de ce que l'on raconte même si chacun aura sa compréhension. En parallèle, on prépare aussi la sortie d'un livre qui va comprendre tous les textes mais qui sera aussi un peu plus étayé. On a travaillé autour des textes pour leur redonner de la consistance et bien expliquer le fond de notre pensée sur pas mal de choses parce qu'on s'est aperçus que certains mots peuvent parfois être mal compris ou mal perçus. On veut donc que notre propos soit clair. Excuse-moi, ça va être mon coup de gueule de la journée, mais je trouve ça abject en ce moment, je trouve que tout est un peu galvaudé, on associe par exemple le mot "ancêtre" à une certaine fange d'extrême-droite ou autre... Mais il n'y a rien de tout ça ! Prenez le mot, littéralement, lisez sa définition : il n'y a rien de tout ça dedans.
Dorian : C'est vrai que pour l'emploi du mot "ancêtre", on nous a demandés si on était sûrs de ce qu'on faisait...
C'est un peu un des coups de maître de l'extrême-droite : s'être appropriée des choses qui n'ont à l'origine rien à voir avec elle...
Krys : C'est de la malice quelque part, ça se glisse dans les détails...
Dorian : On avait cherché un moyen d'éviter le mot "ancêtre", chercher un synonyme, mais ça ne rentrait pas... On se retrouvait à envisager de l'auto-censure alors qu'on la dénonce ! Donc on a laissé, point-barre.
Krys : En réponse, on a décidé de faire un livre qui va sortir aux Éditions Flammes Noires en avril pour prolonger l'aventure autour des textes et des visuels faits par Dorian. Ça fera un bel objet et on aura une sorte d'art total.
Les textes sont non seulement en français mais aussi très intelligibles.
Krys : C'est notre côté variété, Michel Sardou et tout ça !
Dorian : C'était une volonté claire de s'éloigner du chant black traditionnel. On a eu pas mal de bons retours à ce sujet. Juste avant d'entre en studio, environ la moitié des textes étaient très intelligibles mais une autre partie était plus "traditionnelle". Mais dès les premières prises, on a commencé par les parties intelligibles et on s'est tout de suite dits qu'il fallait faire tout l'album comme ça ! Niveau voix et sincérité, c'était vraiment ce qu'on avait dans nos tripes et c'est la démarche que l'on voulait. On utilise nos codes. C'est un parti-pris. Bien travaillée, la langue française sonne bien comme ça.
Oui, ça marche très bien. On pense notamment à la Danse des Crânes et cet accordéon génial. D'où vient cette idée ?
Krys : Cette ligne d'accordéon était prévue depuis le début, mais elle était au synthé. On trouvait ça chiant parce qu'on voulait un truc plus organique, on est sur une sorte de valse à la fin qui rappelle un bar de pochtrons... On est dans ce genre d'ambiance un peu Pigalle qui est un groupe qu'on écoutait quand on était plus jeunes et on se disait "merde, on veut cet accordéon et on se retrouve à faire pouêt-pouêt avec un synthé", on se sentait un peu cons ! Très honnêtement, il y a des plug-ins qui marchent super bien, mais pour l'accordéon tous ceux qu'on a essayés ne faisaient pas l'affaire.
Dorian : On était dans une démarche de vraiment tout enregistrer sans artifice alors ça nous embêtait. Il y a du mixage, évidemment, mais on voulait des vrais instruments et que tout ce qui s'entend sur l'album soit vraiment joué. Cet accordéon, vu que c'est un trois temps, ça rappelle vraiment la valse et les ancêtres, etc... On voulait vraiment intégrer tous nos ancêtres, qu'ils soient bons ou pas bons on s'en fout, il faut les voir pour éviter de rester dans le déni et finir par devenir esclave de notre déni. Le but était de transcender toute l'histoire qui nous a précédée... Et on cherchait un accordéoniste pour ça. Je croyais qu'on n'en connaissait pas, mais en fait si. J'ai un ami que je n'avais pas revu depuis longtemps qui n'est pas du tout dans le metal mais plutôt le jazz manouche, forcément avec son accordéon ! C'est vraiment un maître de cet instrument. Quand je lui ai demandé si ça lui disait de faire un featuring avec un groupe de black metal, il était à fond, il n'avait jamais fait ça et il a dit oui direct ! Je lui ai donné le morceau, la ligne de synthé et le gars, en studio, il m'a fait la même ligne en quinze styles différentes, genre irlandais, slave, etc ! C'était super intéressant. Et d'avoir enregistré ça, ça permet de vraiment entendre le soufflet de l'accordéon qu'on a laissé traîner un peu après le morceau pour le mettre en valeur et que ça prenne aux tripes, il y a de l'air, de la respiration et c'est exactement ce qu'on cherchait.
Si vous l'aviez fait aux synthés, vous auriez pu être ce groupe de black metal avec Jean Lassalle qui joue de l'accordéon, quand même !
Dorian : Il faudra bien le sampler pour les concerts, donc on peut dire qu'en live Jean Lassalle lancera l'accordéon !
Krys : Le pauvre, on va le faire chier avec Jean Lassalle toute sa vie... Faudrait qu'il se trouve un pseudo genre Murder ou un truc comme ça, que ça fasse plus black metal.
Les textes sont très élaborés. Avez-vous tout écrit ou il y a une part de citation ?
Krys : J'ai tout écrit. Il n'y a aucune citation. En revanche, ça a été beaucoup travaillé en fonction des passages, de la ligne de chant, on a vraiment essayé de ciseler les choses.
Dorian : Il faut imaginer que les textes sont en général deux fois plus longs que ce qui se retrouve sur l'album.
Krys : Oui, d'où le livre derrière car il y avait plein de choses à dire en plus.
Les visuels sont très travaillés. Même le kit presse qu'on a reçu est très beau, très élaboré : les photos, les vidéos, même les typos choisies pour le dossier numérique (qui seront les mêmes que dans la pochette imprimée, ndlr)... Avez-vous déjà pensé à une scénographie pour prolonger cet univers très visuel ?
Krys : On est en train de monter l'équipe live, notamment parce que notre batteur Rémi est très pris sur d'autres projets donc on en auditionne d'autres. On ne va pas faire de concerts dès la sortie de l'album mais plutôt repousser à septembre ou octobre. On veut vraiment prendre notre temps. Par contre, on ne sait pas encore du tout dans quoi on va s'embarquer, on ne sait pas si on va faire de la vidéo ou pas, on ne sait rien ! Pour l'instant, ce qui est primordial pour nous c'est avant tout de ressortir la musique telle qu'on l'a enregistrée et après on pensera au show. On a des idées mais il faut les tester. On n'a pas envie non plus de nous cacher derrière des artifices. Je l'ai déjà fait dans pas mal de groupes et je trouve qu'au final on peut se retrouver emprisonnés à-dedans : si vous faites du corpse paint, alors il faudra tout le temps en faire, si vous avez de la vidéo alors il faudra tout le temps qu'il y en ait, etc. C'est compliqué et ça type tout de suite le groupe donc on doit y réfléchir, il faut que ça fasse sens.
Dans la présentation du groupe, il est écrit que vous faites le procès de l'humanité avec ce premier album. Alors, pour finir, quel est votre verdict ? Et la sentence ?
Dorian : Quand on disait faire le procès de l'humanité, c'était d'abord pour nous-mêmes. On entend tellement de discours aujourd'hui, qu'ils soient politiques, philosophiques ou autres, qui disent que la faute vient de l'extérieur de nous-mêmes : c'est la faute du voisin, du parti politique que je n'aime pas, du contexte, de la guerre, etc... On voulait donc essayer d'intégrer qu'on n'est qu'une petite goutte qui fait partie de ce bordel. Essayer de "régler l'humanité" sans chercher à se régler soi-même dans un premier temps, pour moi, c'est vraiment démagogique. Et si déjà d'ici à notre mort on arrive à avancer un peu dans ce sens, ça sera pas mal... (Krys hausse les sourcils, l'air peu convaincu, ndlr).
Pour un propos présenté comme misanthrope, c'est plutôt nuancé !
Dorian : Ah mais tout à fait, mais après on ne cherchait pas à...
Krys : Oui, enfin, ça c'est quand c'est Dorian qui parle ! Je suis un peu plus sombre que lui ! Plus sérieusement, l'humanité est ce qu'elle est, avec ses travers. Il n'y a pas de recette, ni de tribunal, ni de sentence. Enfin, la sentence est irrévocable : si il y avait moins de cons, il y aurait moins de conneries, tout simplement. C'est peut-être un peu violent mais d'après moi il faudrait qu'à un moment le sens commun redevienne important au vu de l'individualisme permanent dans lequel nous vivons. On s'enferme chacun dans notre bulle, on devient des crétins finis...
Dorian : C'est marrant parce que plus on s'individualise et plus les gens semblent chercher du commun, une tribu. Comme si on cherchait une autre identité en perdant certaines valeurs, que ce soit culturel, religieux, etc. Parfois j'ai l'impression de juste partager la même langue que les gens que je croise mais je ne sais pas trop ce qui fait que les gens sont liés les uns aux autres. Ça me semble important d'avoir des valeurs communes aussi. Plus on s'individualise et plus on semble chercher des petits groupes auxquels appartenir, nous y compris : on a notre petite tribu dans le black metal ! Il faut rester capables d'aller voir ailleurs et d'accepter ce qui vient. Donc moi je dirais que c'est l'échange, finalement, plus que le procès.
Donc pas si misanthrope, effectivement !
Krys : J'ai toujours dit que c'était l'atout charme du groupe. Moi, il ne vaut mieux pas que je parle !