Depuis 2008, Black Nail Cabaret tisse dans les ténèbres une pop noire et gothique où la séduction se mélange aux expérimentations électroniques. Récemment, le duo hongrois sortait l'album Chrysanthemum (chronique), un album où il est question de mort, de peur et de pertes. Après leur passage à Londres le 13 avril dernier (live report), nous avons été discuter de tout cela avec la chanteuse Emese Arvai-Illes. Discuter funérailles et cinéma aux alentours de minuit, ça ne se refuse pas.
Nous tenons également à remercier l'incontournable Gary Levermore de Red Sand PR et son aide précieuse pour mettre en place cet entretien.
Vous avez sorti Woodland Memoirs l'année dernière. Cet album était très différent des précédents, vous avez travaillé avec de nombreuses personnes et il n'était pas uniquement électronique. Pensez-vous que le fait d'avoir été enfermé pendant la pandémie a contribué à ce besoin de travailler avec vos amis ?
Non, en fait c'est une idée que j'avais en tête depuis longtemps, cela remonte à avant la pandémie. J'ai découvert le concept Gothic Meets Klassic en Allemagne avec notamment VNV Nation et Covenant qui jouent avec un orchestre et j'ai trouvé que cela rendait super bien. J'ai beaucoup aimé l'idée de mélanger différents genres de musique mais je ne voulais pas forcément d'orchestre. Nous avons beaucoup d'amis musiciens qui viennent de divers horizons et nous avions plutôt envie d'explorer d'autres routes avec eux. Nous avons donc pris un guitariste, un saxophoniste et un batteur et et nous avons commencé à improviser ensemble. C'est ce qu'il s'est passé. Mais l'idée à la base vient de Gothic Meets Klassic.
Est-ce que le fait de travailler sur de tels pas de côté vous aide à vous recentrer sur votre musique pour les prochains albums... ou au contraire vous pousse à expérimenter davantage?
C'est simplement très inspirant et ça nous donne un certain sentiment de sécurité d'être entouré de plusieurs musiciens, d'être ensemble. Il y a plus de connexions sur scène... Enfin ce n'était pas vraiment une scène car nous n'avons pas joué devant un public, mais quand on improvise tous ensemble lors d'une session, il y a plus de connexions entre les gens, entre nous, et c'est très inspirant. Nous avons surtout l'habitude de n'être que tous les deux mais cette fois, nous avons été poussées dans différentes directions par les toutes ces nouvelles idées et cela nous a vraiment sorti de notre zone de confort.
Est-ce quelque chose que vous pensez refaire?
Peut-être. Mais sûrement que ce ne sera pas le cas tout de suite car nous aspirons sans cesse à de nouvelles choses pour la suite.
Chrysanthemum dépeint un portrait sur son lit de mort. As-tu déjà pensé à tes propres funérailles ?
J'ai en effet une idée très précise de ce que je voudrais pour mes funérailles, de ce que j'aimerais que les gens fassent de moi et de mon corps. J'essaye d'avoir une conscience écologique autant que possible, j'ai donc cherché des possibilités en ce sens, qui seraient légales en Hongrie et il n'y en a pas tant que ça. Ma préférence irait à une coquille proposée par des Italiens et qu'ils mettent sous un arbre. Ils vous plantent dans une position embryonnaire et votre corps pourrit pour donner vie à un arbre. Je trouve cette idée très belle mais ce n'est pas possible en Hongrie. Ce que l'on peut faire ici, c'est une crémation dans une urne biodégradable. C'est ce que je choisirai... pour ensuite être plantée pour donner vie à un arbre. C'est une merveilleuse idée ! J'ai également une certaine idée de la musique que j'aimerais qu'il y ait mais cela n'a pas trop d'importance car je ne l'entendrais pas de toute façon ! Il y a une chanson que j'adore qui s'appelle Purple People de Tori Amos et je l'imagine parfaitement bien dans ce contexte. Elle a cet air triste et en même temps si calme, comme si elle nous disait "ça va aller". Oh, et il y a aussi The Funeral Party de The Cure, bien sûr.
Vous venez de faire un album qui parle beaucoup de l'acceptation de la mort pour pouvoir profiter de la vie...
Oui, mais je vois cela aussi comme une métaphore de la peur, celle que nous expérimentons chaque jour. Tout revient à la perte. La mort est définitivement une perte, la perte de notre vie mais nous avons aussi peur de perdre tant d'autres choses : nos affaires, l'être aimé, notre carrière ou notre emploi, et le plus important, notre corps. Cet album est donc l'exploration de la peur, comme le précédent d'ailleurs, il serait donc comme une sorte de continuité qui essaie d'approfondir ce sujet, un peu comme si je m'allongeais sur mon lit de mort et observais. Et si la chose que tu redoutes le plus arrive, la pire chose que tu puisses imaginer ? Comment te sentirais-tu? Parfois ça a un effet apaisant : ce n'est pas si grave.
S'agit-il d'un thème que tu aurais pu aborder plus jeune, il y a dix ans par exemple?
Je suis fascinée par ce thème depuis très longtemps mais je l'explorais de façon différente il y a dix ans, tant de choses se passaient alors dans ma tête... Je suis plus apaisée maintenant c'est donc plus facile d'y voir plus clair au fur et à mesure que le temps passe, plus facile que quand on est jeune, que tout s’enchaîne très vite et qu'on essaye de garder la tête hors de l'eau. Je pense que ça va aller de mieux en mieux... jusqu'à ce que la mort arrive finalement !
En tant qu'artiste, où peut-on aller après un sujet aussi fort que la mort ?
Là ou la vie nous mènera ! Nous essayons d'évoluer et de nous améliorer à chaque fois que nous commençons un nouvel album. Nous avons tous des combats intérieurs avec lesquels il faut vivre , je ne suis pas sûre quel sera le prochain mais il y en aura forcément un !
Tu portes souvent des tenues impressionnantes sur scène. Travailles-tu toi-même à leur conception ?
En effet. J'ai généralement une image dans la tête de ce que je veux accomplir et parfois je fais des compromis pour m'accorder avec les visions d'autres artistes, comme les créateurs de mode, les couturiers, ou autre. Cela peut aussi arriver dans l'autre sens : je vois quelque chose d'inspirant et je me dis "wow". Je peux imaginer un costume complet autour de cette pièce centrale, alors je l'achète, je dessine le reste de la tenue, et j'essaie de rassembler tout ça pour obtenir le costume complet.
Et quelle est l'idée derrière ce travail ? Essayes-tu de donner vie à des personnages ?
Oui, c'est la métamorphose en générale qui m’intéresse. J'adore la mode, les costumes, et incarner différents personnages. Je viens d'une troupe de théâtre et j'ai vraiment adoré me plonger et être absorbée par différents rôles. C'est une chose que j'essaye d'amener dans Black Nail Cabaret depuis le début, je pense que c'était l'idée avec Sophie, l'ancienne membre du groupe. Ça s'est un peu atténué depuis l'arrivée de Krisztian car il n'est pas trop du genre à se maquiller ou à se costumer. Il préfère rester en arrière plan et s'assurer que le son soit parfait et que le concert se déroule bien et c'est moi qui assure le show sur le devant de la scène, ce qui me donne une certaine liberté. Tous ces personnages sont une partie de moi amplifiée et je profite de la scène pour les laisser sortir car je ne peux pas vraiment le faire dans la vie quotidienne.
Le masque que tu portais pour le show à la sortie de Chrysanthemum était incroyable, cette espèce d'insecte sortie d'une histoire de Clive Barker !
Il s'agit d'un masque que j'ai vu de cet artiste berlinois, Gamma Sky (anciennement Lego Sky) que j'ai découvert sur Instagram. Je l'ai vu et je me suis dit "oh mon dieu", je me suis tout de suite vue dedans, avec cette combinaison rouge et tous les accessoires... alors je l'ai contacté et je suis si heureuse d'avoir pu l'acheter, j'en suis très fière. J'ai deux masques qui viennent de lui mais mais je n'ai pas encore utilisé le deuxième, j'attends le bon moment. Chaque show a droit à un personnage différent, cela dépend des gens et des lieux... J'ai toujours une idée approximative en tête de la setlist, de ce que je vais porter et de qui je vais être. Je sais que je le porterai très bientôt mais je savais aussi que je ne l'emporterais pas sur la tournée au Royaume-Uni.
As-tu déjà en tête l'aspect visuel de vos concerts lorsque tu travailles sur de nouvelles chansons ?
Non cela vient plutôt après l'écriture. C'est vraiment plus rattaché aux shows live qu'aux chansons elles-mêmes. Après, je suis quelqu'un de très visuel donc quand je travaille sur un nouveau morceau, je pense parfois au visuel, que ce soit un éventuel clip ou les images que l'on projette en concert... Mais pas les costumes, ça, ça vient plus tard.
Je sais que tu puises ton inspiration visuelle dans de nombreux domaines Vos clips sont très cinématographiques. Quel genre de films aimes-tu ? As-tu des réalisateurs préférés, par exemple ?
Je n'ai pas vraiment de réalisateur préféré, mais il y a des films que j'aime et que je peux regarder encore et encore, où ce n'est pas l'histoire qui compte mais plutôt l'humeur dans laquelle ils nous plongent. L'un d'eux est Lost In Translation, il crée cette atmosphère si particulière à chaque fois, le genre d'ambiance que je recherche et désire...Il y aussi Only Lovers Left Alive. C'est une question de feeling. On a juste envie de faire partie de ça, pas de l'histoire, mais de cette vie. Je ne regarde ou n'écoute pas énormément de nouveautés, parce qu'il y a des moments où mes portes sont ouvertes et où je me dis "ok, je peux écouter ou regarder plein de nouvelles choses maintenant", puis elles se referment et j'ai besoin de temps pour tout réécouter encore et encore et absorber tout ça. Aujourd'hui, j'ai l'impression qu'on est un peu saturés de nouveautés alors je filtre en n'en laissant passer qu'une infime quantité à la fois, pour être sûre d'en être suffisamment imprégnée afin de les apprécier au mieux.
C'était le dernier concert de la tournée ce soir. Comment te sens-tu ? Soulagée ? Triste ?
Pour l'instant je suis soulagée, car nous avons trois chats à la maison et ils nous manquent beaucoup. L'un d'entre eux ne va pas très bien, nous l'avons emmené chez le vétérinaire avant de venir et il est stable, il va bien, mais il demande une attention particulière maintenant. Nous étions inquiets et nous avons pris de ses nouvelles tous les jours. Maintenant nous cherchons à retourner à notre vie quotidienne pour nous occuper d'eux. Mais je pense que lorsque nous serons revenus au calme, nous en garderons des souvenirs émus et cela va vraiment nous manquer parce que ce fut deux folles semaines avec des gens extraordinaires. Nous ne le ressentons pas pour l'instant parce que nous sommes encore dedans, mais une fois que ça sera terminé et qu'on aura retrouvé notre routine, c'est sûr que ça va venir !
Est-ce que tu travailles toujours à Londres ? Était-ce spécial pour vous de revenir au Royaume-Uni ?
Oui, j'y travaille encore. J'ai toujours travaillé à distance donc je le fais surtout de chez moi mais je fais l'aller-retour de temps en temps. Tourner au Royaume-Uni était spécial parce qu'on y a quand même vécu cinq ans et beaucoup de choses nous manquent encore. Ce qui ne nous manque pas, en fait, c'est d'y vivre ! Cette tournée avait un peu des airs de vacances : on a profité des meilleurs aspects, comme la nourriture, sans avoir à y vivre ! On avait toujours ces petits rappels de pourquoi nous sommes partis, surtout à Londres. Mais on a pu prendre deux jours de congés et on en a profité pour visiter Stratford-upon-Avon, la ville de naissance de Shakespeare, et on s'est dits avec Krisztian que si on devait un jour revenir ici, c'est le genre de ville où l'on adorerait vivre. C'est une petite ville avec de la vie mais aussi des moments calmes et reposants. Ce n'est pas animé 24h/24 comme Londres, ça c'est un peu trop pour nous.
Désolé, je sais que c'est souvent une question un peu pénible pour les artistes, mais vous n'avez jamais joué en France... avez-vous des pistes ?
Nous sommes déjà venus en France mais nous n'avons jamais eu la chance d'y jouer. Je pense que c'est difficile, c'est le cas dans tous les pays, les organisateurs ne prennent plus de risques car les billets ne se vendent pas forcément. On adorerait ! Je pense que nous devons encore travailler un peu pour toucher le public français pour y être invité un jour... Nous avons joué avec Saigon Blue Rain à Budapest et dans quelques festivals allemands mais c'est notre unique contact français ! Les choses se font petit à petit. Par exemple nous allons jouer en Espagne pour la première fois cette année. A force que des gens là-bas nous réclament, nous avons été contactés par quelqu'un à Madrid qui y organise un festival... J'espère que la même chose pourrait se produire un jour en France.