JE T'AIME sortait fin janvier son quatrième album, Useless Boy (chronique). Le trio cold wave parisien lançait sa longue tournée à Paris le 24 janvier dernier (on vous racontait ça). Nous en avons profité pour poser quelques questions à dBoy (chant), Crazy Z (basse, synthés) et Little Bastard, le nouveau guitariste arrivé en remplacement de Tall Bastard. On y parle frime, mélancolie et galères. Leurs réponses sont à leur image, mélange à la fois d'humour bravache et d'introspection d'une spontanéité touchante. Il se dégage finalement de tout cela une sensation ludique, ces trois-là s'amusent de leurs travers, jouent aux rock stars et jouent les anti-héros glorieux dans la loose en donnant à l'expression "casse-pied" un tout nouveau sens. Et si finalement ces sales gosses avaient trouvé la sagesse en assumant leur "inutilité" pour pleinement embrasser la vanité des choses ?
Vous venez de sortir votre quatrième album en six ans et c'est sans compter votre EP et les remixes... Qu'est ce qui vous pousse à sortir autant de choses à un tel rythme ?
Crazy Z : Oh, bah c'est l'ennui avant tout.
dBoy : On n'est plus très jeunes donc il faut speeder un peu. On a capté que pour devenir une légende, il fallait avoir arrêté le groupe pendant au moins quinze ans et revenir après...
Crazy Z : Mais là, si on revient dans quinze ans, on commencera à être un peu grabataires donc il faut qu'on se dépêche. C'est pour ça qu'on sort autant de disques.
dBoy : Pour être plus sérieux, c'est juste le rythme d'un groupe normal. On sort un album, on tourne pendant un an, on rajoute six mois pour composer le suivant, six mois pour préparer la sortie et ça donne deux ans.
Crazy Z : On a été lancés sur ce rythme-là à cause du Covid. On avait une tournée de prévue quand la pandémie est arrivée, du coup on n'avait plus rien à faire donc on a fait deux nouveaux albums, ce qui nous a lancés sur cette espèce de frénésie qui finalement nous convient bien, c'est excitant. Une fois lancés, on a gardé ce rythme.
dBoy : C'est vrai que le Covid nous a fait gagner du temps, on a pu faire deux albums très vite. On a la chance d'aller assez vite donc on en profite. Comme on est vraiment indépendants en terme de matériel ou de production, on peut faire ça dans nos studios et être producteurs du disque, ça nous évite la galère de devoir réserver un studio par-ci, par-là. C'est assez simple et fluide.
Il y a quelques heures, dBoy parlait encore de la difficulté que représentait toutes ces nouvelles paroles à apprendre. Es-tu prêt pour ce soir, ou quatre albums en six ans ça fait un peu trop de mots à retenir ?
dBoy : Le problème, c'est que là je les connais bien mais si je m'arrête de répéter pendant un mois je vais de nouveau tout oublier ! C'est ça ma difficulté, je n'arrive pas à imprimer : j'ai très peu de RAM et ma mémoire tampon personnelle est très petite ! Là c'est bien, on va tourner pendant trois mois donc je vais vraiment les connaître par cœur mais en août j'aurai tout oublié de nouveau. C'est mon problème et c'est hyper fatigant psychologiquement parce que je dois constamment tout réapprendre. Ça revient plus vite à chaque fois mais c'est une vraie galère. Je suis admiratif des acteurs de théâtre, quand je vois les bouquins qu'ils doivent apprendre ! Je serais incapable de faire ça, déjà que deux lignes c'est compliqué pour moi !
Crazy Z : Deux lignes qui se répètent, dans le cadre de nos paroles !
dBoy : Je vous préviens, le prochain album va être beaucoup plus concis en terme de paroles : quatre vers maximum !
Vous avez appelé l'album Useless Boy. Pour vous, c'est quoi être d'inutile ? Et est-ce que c'est si grave ?
Crazy Z : Non, ce n'est pas grave, pour nous. C'est pour ça qu'on l'assume. C'est vrai que nous ne sommes utiles à personne, en vrai. Mais je ne pense pas que ça soit la raison pour laquelle nous avons appelé l'album comme ça. Le thème général du disque est l'avancée dans l'age, la perte de motricité, la maladie... Tout ce qui fait que l'on se rend finalement compte que notre passage sur Terre est ce qu'il est et qu'il n'en restera pas grand chose. Ce qui fait de nous tous, la race humaine, quelque chose d'assez inutile.
dBoy : On est tous inutiles ! Après, ça dépend peut-être aussi de ce que tu attends de la vie. Si tu t'attends à un grand destin et que ça ne t'arrive pas, tu vas déprimer et te sentir inutile. Si tu n'as jamais rêvé de devenir Jules César, Napoléon ou je ne sais quelle grande figure de l'histoire, tu t'en fous ! Tu vis bien mieux ton inutilité si tu n'as pas d'ambitions démesurées, j'imagine.
Little Bastard : Dans mon interprétation du morceau Useless Boy, il y a aussi une question de lien social, de comment on se situe par rapport aux autres, au-delà des grandes fresques historiques et de ta destinée. Au quotidien, ce sont plus les gens autour de nous qui importent, les rapports que l'on a avec eux, ceux qui ne t'apportent pas d'affection, etc... La chanson Useless Boy et son petit miroir Wrong Fold peuvent être lues comme ça, et les thèmes dont parlait Crazy Z offrent des clés de lecture pour avoir différents angles d'appréciation de ce terme "inutile".
J'ai trouvé l'album peut-être un peu plus sombre que les précédents. Partagez-vous cet avis ? Était-ce conscient ?
Crazy Z : On est toujours tiraillés entre deux choses. On aime les choses sombres, on aimerait peut-être parfois être plus sombres mais on n'y arrive pas car le postulat de départ de ce groupe c'est aussi de faire danser. C'est difficile de faire danser tout en étant très sombre, donc c'est pour ça que l'on a cette espèce de joie triste, deux choses qui semblent antinomiques. Il y a des morceaux plus sombres comme Useless Boy, Wrong Fold ou Stories not Told, on aime aller vers cette direction, mais on a aussi toujours envie de faire danser les gens en concert.
dBoy : Nos textes n'ont jamais été très joyeux dans JE T'AIME mais c'est vrai que sur les paroles on est un peu plus sombres sur cet album. Sur la musique, tu n'es pas le premier à nous le dire mais c'est marrant, je n'ai pas cette sensation. Bon, peut-être Stories not Told parce que là, vraiment, c'est fait exprès avec cette idée d'aller dans l'obscurité à la The Cure... mais pour le reste, je n'ai pas l'impression que ce soit plus sombre que ce que l'on a pu sortir sur nos précédents albums. Il va falloir que je passe par la psychanalyse pour comprendre le pourquoi du comment ! C'est vrai que personnellement, j'aurais envie d'aller encore plus vers l'obscurité mais un groupe c'est aussi un équilibre avec plusieurs personnes, on ne peut pas tout faire pour sa gueule. Je suis intimement persuadé que faire un album composé uniquement de morceaux comme Stories not Told ne passerait pas dans l'équipe. C'est pour ça que je ne trouve pas cet album si sombre, on pourrait aller beaucoup plus loin ! Mais c'est déjà pas mal, c'est vrai. Mon père a lu les paroles et est complètement déprimé parce que ce n'est quand même pas très gai.
Tu parles de psychanalyse : JE T'AIME tourne autour de thèmes récurrents depuis le début. Est-ce que l'écriture te fait du bien ou au contraire t'entraîne dans un état d'esprit plus négatif ?
dBoy : Récemment, notamment avec la sortie de cet album parce qu'on se met à faire un peu plus d'interviews, je me rends compte que la psychanalyse se fait plus au moment de l'interview, justement ! Quand je suis obligé d'expliquer mes textes, il y a des choses qui m'apparaissent et auxquelles je n'avais pas pensées.
Crazy Z : Il y a des choses assez inconscientes que l'on découvre en tirant le fil en même temps que les gens qui nous en parlent. Nos textes sont un peu rédigés en écriture automatique et on est tellement pris par les questions de production et tout que l'on y réfléchit plutôt après coup.
dBoy : C'est en écoutant ce que des gens nous disaient sur nos morceaux que j'ai compris des choses que je n'aurais pas comprises en les interprétant sur scène. Le côté cathartique est, pour moi, plus sur les réponses que je me retrouve à donner aux journalistes que sur l'écriture ou l'interprétation ! Par exemple, en réfléchissant récemment sur ce qu'étaient les "monstres silencieux" du titre Silent Monsters, j'ai conclu en disant que j'étais quelqu'un qui aime beaucoup sortir et être entouré de mes amis la nuit car c'est à ce moment-là que ces "silent monsters" viennent me faire douter et m'empêcher de m'endormir... et donc le fait de faire la fête les repousse puisque je ne dors pas ! C'est sans doute pour ça que j'aime autant sortir. C'est un exemple d'analyse que je n'aurais pas faite juste en chantant ce morceau sur scène. C'est pour ça que j'adore les interviews et à l'écrit c'est encore mieux parce que tu as le temps de réfléchir !
Little Bastard : Est-ce que cette nouvelle lecture que tu as post-interview change quelque chose sur ta façon de chanter ou vivre ces morceaux en concert ?
dBoy : Oui mais ça reste intérieur donc je ne suis pas sûr que ça se ressente. C'est un peu comme une petite fille qui trouve qu'elle a un super papa quand elle a six ans et n'aura pas la même vision à quinze ans. Il y a quelque chose qui a changé en moi quand je joue certains titres avec vous mais je ne pense pas que le public s'en rende compte. De toute façon, je bougerais toujours un peu pareil, je ne vais pas inventer de nouvelles gestuelles... Mais c'est pour ça que j'adore les interviews, j'ai rarement pris autant de plaisir à répondre aux questions qu'avec cet album. On nous pose beaucoup plus de questions qu'avant sur les paroles, ça fait plaisir mais ça me donne aussi l'impression que mes textes étaient pourris sur les précédents albums ! C'est bien, ça nous permet d'approfondir un peu plus que quand on nous demande "pourquoi vous vous appelez JE T'AIME ?".
Tu parlais du mélange entre tristesse et approche festive. Il y a souvent une forme de réconfort dans la mélancolie, on a du mal à en sortir, comme si on s'y sentait "bien". Est-ce le cas pour vous ? Vous aimez être tristes ? Et est-il possible de faire une fête qui n'est pas triste, puisque de toute façon on sait qu'elle va s'arrêter ?
dBoy : Alors oui, il suffit de faire 48h de fête et d'enchaîner encore ailleurs ! Plus sérieusement, je ne pense pas être quelqu'un de triste et je ne me complais absolument pas dans la tristesse. En revanche, j'ai toujours été beaucoup plus attiré par les drames et les comédies dramatiques que vraiment l'humour. Ce n'est pas une question de "mieux" ou "moins bien", je suis juste personnellement plus touché par ça. C'est pour ça que ce sont les angles que je traite depuis toujours mais ce n'est pas vraiment être triste, c'est juste apprécier cet état d'esprit dans une œuvre d'art. J'aime bien traiter les drames... et puis j'adore les méchants ! On préfère tous Dark Vador à Luke Skywalker !
Crazy Z : Je me confortais beaucoup dans la mélancolie quand j'étais plus jeune et je m'en suis détaché aussi parce que je ne pense pas non plus être quelqu'un de triste. Mais ça m'attirait énormément, j'aimais me retrouver seul et réfléchir à plein de choses, peut-être trop, et effectivement je trouvais ça confortable d'une certaine façon.
C'est plus facile de devenir triste quand on fait la fête que de rigoler quand on est tristes, non ?
Crazy Z : Alors moi, ça ne m'a jamais empêché de rigoler, mais c'est un rire jaune... J'ai toujours ma façade qui me ramène à la conscience de ce que je dois présenter aux gens. En revanche, quand je me retrouve seul je peux tout à fait sombrer avec mes démons et me laisser aller avec parce que je me sens bien dedans.
Il y a un aspect de JE T'AIME qui était chouette et qui a un peu disparu dernièrement... Vous communiquiez beaucoup sur toutes vos galères, entre les bagages perdus, dBoy qui se casse le pied sur scène, etc. C'était très drôle, en plus de démystifier un peu tout le fantasme rock'n'roll. Vous le faites moins. La chance a-t-elle tourné ou est-ce que vous avez peur de l'image que vous donnez aux organisateurs ?
dBoy : C'est un ensemble de tout ça ! Dernièrement, on n'a pas eu trop de galères, on s'en sort plutôt bien.
Crazy Z : On commence à être rodés et quand les galères apparaissent ce ne sont plus vraiment des galères parce qu'on sait les gérer désormais. Très sincèrement, c'est vrai qu'à un moment on s'est posés la question : est-ce qu'on ne commencerait pas à faire peur aux orgas à force de raconter toutes nos conneries ? Il y en a qui pourraient se dire "on aimerait bien inviter JE T'AIME mais on ne sait pas s'ils arriveront à bon port !". Donc à un moment donné on a décidé de moins miser là-dessus. J'aimais beaucoup aussi, ça faisait marrer les gens, ça me faisait marrer... mais il faut aussi paraître plus sérieux si on veut passer un certain niveau. Il peut toujours nous arriver des petites choses mais on en parle moins, d'une part parce qu'on sait les gérer et d'autre part parce qu'on ne veut pas effrayer les gens.
C'est pas chiant, cette espèce de pudeur et de ne devoir se présenter que sous un angle cool ?
Crazy Z : Peut-être, mais ça faisait marrer nos fans alors que ça faisait moins marrer les orgas ! Il faut aussi savoir à qui on s'adresse : les premières personnes qui nous embauchent pour notre show, ça reste les orgas... Il faut leur montrer quelque chose d'un minimum fiable et attractif.
dBoy : Bon, après, là on part pour un paquet de dates donc c'est évident qu'il va y avoir plein de galères...
Crazy Z : C'est sûr, mais la question c'est de savoir si on va en parler ou pas !
On aurait dû faire cette interview dans deux mois. Si vous êtes toujours en vie...
Crazy Z : Oh, statistiquement il devrait en rester au moins un. A tous les coups, ça va tomber sur moi et je devrais rentrer en me trimballant tout le matos parce que les deux autres seront morts... "Ils sont passés où tes potes - bah, écoute, tu vas rire mais..." !
Little Bastard : "Les ligaments croisés, tu connais..."
Crazy Z : Au lieu de faire le malin, t'as fait ta carte d'assurance maladie européenne, toi ? Il va falloir que tu la fasses, mon pote, parce que je t'assure que ça nous a servis deux ou trois fois ! Je peux te dire que quand dBoy s'est pété le pied à Liège et qu'on a fini au CHU à trois heures du mat, tu réalises que c'est le genre de trucs qui peuvent être utiles !
Little Bastard : Tu vois, moi toutes ces histoires, je t'avoue que ça m'avait fait me poser des questions quand ils m'ont proposé de rejoindre le groupe... Mais je me suis vite souvenu que j'en avais tellement ri que je voulais en faire partie !
Crazy Z : Tu vois, ça répond bien à ta question : même le mec à qui on a demandé de rejoindre le groupe flippait ! C'est qu'il y a quand même des questions à se poser !
dBoy : Après, je crois aussi qu'on n'a pas plus de galères qu'un autre groupe. C'est juste que quand tu commences à autant voyager, tu multiplies les risques.
Crazy Z : Effectivement, nous on en parlait et on tournait ça à la rigolade mais je pense que tout le monde a connu ce genre de galères. On les assumait et on voyait que ça faisait marrer les gens... Mais je pense que les autres aussi rencontrent les mêmes choses. Mettre le mauvais gasoil dans la voiture, tout le monde l'a fait ! Finir à l’hôpital parce que tu te casses la gueule sur scène, Dave Grohl l'a fait aussi ! Les bagages oubliés par l'aéroport, etc...
(NDLR : il est intéressant de noter que depuis cette réponse donnée le 24 janvier, dBoy s'est fait rouler sur le pied par un SUV, se retrouve actuellement avec un œdème et que le groupe a choisi de refaire l'affiche de la tournée en se rebaptisant "J'ŒDEME".)
JE T'AIME évoque souvent le syndrome de Peter Pan, ce refus de "grandir". Si vous aviez la possibilité d'être dans la peau de quelqu'un de totalement différent, quelqu'un sans les angoisses de ces "silent monsters" par exemple, est-ce que ça vous tenterait ?
dBoy : J'aurais tendance à dire que pour rien au monde je ne changerais ma vie mais le problème c'est que ma vie aujourd'hui est tellement merdique que je commence à douter de ce propos que j'ai toujours tenu. Ouais, allez, informaticien à Genève en vivant à Annecy, c'est pas si mal... mais en fait je me ferais tellement chier ! Non, ce serait horrible. Je ne sais pas trop. Même dans la pire galère que je vis actuellement, je ne pense pas que je voudrais échanger ma vie.
Crazy Z : De toute façon, c'est trop tard.
Little Bastard : Finalement, ce que j'apprécie le plus dans ma vie, ce sont les gens qui m'entourent. Si je devais changer de vie, ça voudrait dire que je ne ferais pas les mêmes rencontres. Je ne suis pas sûr que j'aurais la chance d'être entouré de gens aussi haut en couleur et variés. C'est aussi l'avantage quand tu ne rentres pas dans une certaine norme sociétale de metro-boulot-dodo, pour dire ça simplement. Peut-être que je le vivrais très bien mais trop de personnes auxquelles je suis attaché ne feraient pas partie de cette vie-là. Donc je ne changerais rien.
Crazy Z : Tu les as prévenus, tous ces gens, qu'avec la tournée tu n'allais plus les revoir pendant trois mois ? Et encore, ça c'est si tu en reviens vivant...
Little Bastard a rejoint le groupe récemment. Est-ce que les remixes que tu as faits pour JE T'AIME par le passé ont pu influencer le travail sur Useless Boy ?
Crazy Z : Non car l'album a été fait avant qu'on lui a demandé de rejoindre le groupe.
dBoy : Il a quand même rajouté sa patte sur certains morceaux parce qu'on a commencé à les répéter ensemble et il y avait certains passages où il n'y avait pas autant de guitare. Les guitares qu'il a ajoutées était tellement bien qu'on a décidé de les rajouter avant d'envoyer l'album au pressage.
Crazy Z : Fondamentalement, l'album était écrit avant son arrivée et Tall Bastard en avait écrit et enregistré les guitares avant de quitter le groupe.
Little Bastard : Oui, j'ai finalement très peu de choses à dire sur l'album, à part donner mon point de vue. Avoir remixé leur travail par le passé a sûrement fait que ça s'est fait très naturellement, aussi bien pour moi de les rejoindre que pour eux de me le proposer, et ça m'a fait très plaisir. En tant que quelqu'un qui apprécie le groupe et le connaît aussi bien de l'extérieur que de l'intérieur, je pense que j'ai une interprétation différente, à la fois à l'écoute et sur scène. Quelque part, je suis presque plus dans une position de musicien live pour l'instant, je suis arrivé, j'ai appris les morceaux, je me les réapproprie un peu et c'est une position pour le moment un peu bâtarde... Ce qui est raccord avec le petit nom qu'ils m'ont filé donc je le vis bien mais j'ai hâte de la suite !
Justement, puisque tu mentionnes ce surnom, je suppose que c'est pour marquer la transition avec ton prédécesseur...
Crazy Z : ...oui, on avait Gilles en Tall Bastard, donc c'est la continuité...
... parce que figurez-vous que c'est aussi le nom que l'on donnait à la voiture de James Dean, dont certains disent qu'elle est maudite parce qu'elle a quand même "tué" quatre personnes et aujourd'hui personne ne sait ce qu'elle est devenue !
Little Bastard : Eh bien aujourd'hui, on sait enfin ce qu'est devenue cette voiture : elle joue de la guitare dans JE T'AIME
Quand Tall Bastard est parti, avez-vous envisagé de continuer juste tous les deux ?
dBoy : Oui on y a pensé : tourner à deux, ça nous rapporterait plus d'argent ! Plus sérieusement, on a vite évacué l'idée. Scéniquement, c'est compliqué. Passer d'un trio à se retrouver tous les deux sur scène, ce serait délicat.
Crazy Z : Ce n'est pas l'ADN du groupe. On reste un groupe de rock et on n'a déjà pas de batterie... Il faut qu'on garde les cordes sur scène. Il était éventuellement question que je reprenne la guitare mais il aurait manqué de la basse. On veut une formation résolument rock, on vient de là, on a nos références anglaises, Manchester et tout ça... On nous fait déjà souvent la remarque sur l'absence de batterie, ça m'aurait chafouiné. Ça aurait peut-être très bien marché, ça arrivera peut-être un jour... quand Little Bastard sera mort !
On aime les potins. Est-ce qu'il y a une histoire croustillante à raconter sur le départ de Tall Bastard ?
Crazy Z : C'est l'histoire la plus chiante de la Terre : il s'est mis à la retraite !
dBoy : Il nous a poliment demandé l'autorisation de quitter le groupe pour se reposer, il nous a proposé de rester le temps de trouver le remplaçant... Malheureusement, on n'a aucun détail croustillant là-dessus. On nous le demande souvent, beaucoup de personnes pensent qu'on s'est disputés mais non, pas du tout. C'est rigolo. J'imagine que dans l'esprit des gens, ça n'existe pas un musicien qui part tout simplement, sans histoire !
Crazy Z : Voilà, on est devenus vieux et chiants. C'est pour ça qu'on ne raconte plus d'anecdotes marrantes.
Vous avez mentionné plusieurs fois le titre Stories not Told, qui sonne beaucoup comme One Hundred Years de The Cure. Pourquoi avoir rendu cet hommage flagrant à ce titre-là ?
dBoy : En fait, il n'a pas été écrit dans l'idée de pomper ce morceau. J'étais tout seul et je me suis éclaté à faire ça. Tall Bastard, qui est un ultra fan des Cure a entendu ça et a foncé dans la porte que j'avais entrouverte pour complètement la défoncer et s'est fait plaisir ! C'est complètement copier / coller sur One Hundred Years, oui. Personnellement, je ne suis pas un ultra fan de The Cure mais si je devais ne choisir qu'un de leurs titres, ce serait celui-là. On en a beaucoup discuté entre nous : fallait-il mettre ce morceau sur l'album ? Est-ce qu'on n'allait pas se faire taper derrière l'oreille à cause de ça ? Moi je l'assume complètement, je n'ai aucun problème avec ça. Et sans parler forcément de pomper The Cure, si j'avais pu en faire plus dans cet univers, cet orage, cette tension animale, brute et saturée très hypnotique, j'aurais foncé ! Il y a aussi un jeu sur la durée, avec ces très longues plages... Il y a un risque de lasser le public, mais je trouve que pendant tout ce temps tu es dans cet orage constant, ton corps et ton âme vivent là-dedans et c'est un état d'âme que j'adore, ça serait mon kif absolu de faire ça sur tout un album ! Ce n'est pas tant l'idée de copier les Cure que cette idée de tempête, cet état d'être sur une longue plage hypnotique tout en racontant des histoires, parce que cette chanson parle quand même de mon père qui est sur un Alzheimer doublé de Parkinson. Il y a quand même une recherche de profondeur. J'adore ce côté orageux, je suis fan de ce genre de choses très intenses. C'est sûr que dans le cadre de JE T'AIME, pour faire danser les gens toute la soirée, c'est peut-être un peu hors de propos donc on a décidé de ne pas trop partir dans cette direction non plus.
Little Bastard : Oui, mais ça s'inscrit tout de même dans un corpus de musique où le côté "danser / pleurer" est existant et assumé, que ce soit dans la scène goth ou alternative en général. C'est une musique qui s'adresse à des gens qui...
Crazy Z : A des sexagénaires !
Little Bastard : ...Je voulais dire "qui n'ont pas peur de danser sur des choses comme ça et d'assumer leurs émotions". Et ça peut aussi bien être quelque chose d'entraînant ou un bloc monolithique beaucoup plus tourmenté mais tout aussi libérateur. Je pense que ça reste pertinent.
dBoy : J'imagine ça sur dix titres... J'adorerais mais je peux comprendre que tout le monde n'en ait pas envie !
Oui, c'est un peu comme quand on veut faire rire ou pleurer les gens : pour que ça fonctionne, il faut du contraste, de la nuance et ne pas toujours marteler la même chose...
dBoy : C'est exactement ça.
Little Bastard : Oui, le cinéma coréen joue très bien avec ça. On a ces moments de tension insoutenables qui sont subitement désamorcés par des moments comiques pour relancer notre capacité à encaisser l'horreur qui va arriver.
Crazy Z : Il y a un peu de ça dans JE T'AIME, avec des exagérations à la limite du grotesque. On en fait parfois tellement que ça peut en devenir drôle. On pourrait penser qu'on se la pète un peu, mais ce n'est pas ça, c'est même le contraire.
C'était justement ma prochaine question. Vous avez cette attitude un peu sales gosses, vous frimez quand même vachement sur scène ! Crazy Z, avec sa clope au bec, ses lunettes noires, sa chemise ouverte jusqu'au nombril... est-ce que vous ne seriez pas un peu poseurs ?
dBoy : On est des gros poseurs ! Non, non je ne crois pas. Crazy Z manque de confiance en lui donc il a besoin d'être comme ça sur scène ! C'est vrai qu'on dit souvent de nous qu'on est un peu poseurs. Je n'en sais rien, moi. Je suis un grand fan de Steven Tyler, d'Axl Rose, de Michael Jackson, de tous ces héros. Ce sont les gens qui m'ont fait rêver quand j'étais petit et je m'en fous totalement de passer pour un poseur. Je le fais pour moi, pour m'amuser, parce que ça me fait délirer, je m'éclate. Je ne pense pas qu'on se la pète. On est pétris de doutes et d'incertitudes.
Crazy Z : Pareil. Je ne me pose pas trop la question, si j'en fais de trop ou pas, je m'en fiche, je le fais vraiment pour moi. C'est comme ça que je suis et si ça en fait rire certains, ou rêver d'autres, tant pis ou tant mieux, ça leur aura au moins évoqué quelque chose.
Little Bastard : Quand tu vas voir un spectacle de danse, tu ne vas pas te dire "c'est quoi ces poses ?". C'est totalement assumé.
Crazy Z : Quand les gens viennent voir un concert, ce n'est pas juste pour voir leurs potes sur scène. C'est pour voir un spectacle qui va les transporter d'une façon ou d'une autre. Ils peuvent trouver ça grotesque ou bien se dire "putain, j'aimerais être cette personne, il a l'air de kiffer", c'est ça qui est important.
dBoy : Moi ça ne m'empêche pas d'adorer certains groupes très statiques sur scène. Chacun son univers, si tu as envie de t'éclater, éclate-toi !
Crazy Z : En tout cas je ne fais pas tout ça exprès, c'est la première fois qu'on me le dit. Je suis un peu choqué !
Je suis désolé, peut-être que tu ne devrais pas écouter la prochaine question alors... Vous avez sorti l'album avec trois pochettes différentes, chacune avec un portrait de l'un de vous. La version mise en avant sur les plateformes de streaming est celle avec le visage de Crazy Z. Est-ce que c'est parce que, en tant que bassiste, vous vous êtes dits que c'était lui le plus "useless" du groupe ?
Little Bastard : C'est parce que c'est lui qui aime le plus se la péter sur scène ! En plus c'est faux, le gars le plus useless dans JE T'AIME, c'est le batteur, comme dans Metallica !
dBoy : En fait la réponse est très simple et assez mathématique. On avait soit le choix de mettre Little Bastard mais comme il venait d'arriver dans le groupe ça aurait paru incohérent, soit le choix de mettre le chanteur mais tous les groupes du monde auraient fait ce choix là et c'était un peu téléphoné. Donc il ne restait plus que Crazy Z, le bassiste. On est partis là-dessus, la photo nous plaisait, on n'a pas un égo surdimensionné qui fait que ça aurait posé problème entre nous. Pour terminer l'histoire, ce n'était pas prévu à l'origine que l'on utilise ces photos pour la pochette mais on n'en trouvait pas. C'est en voyant cette photo de Crazy Z qu'on a finalement choisi de s'en servir comme pochette. Tout s'est fait naturellement.
Crazy Z : J'ajoute que dBoy a eu d'autres projets avant, il a déjà eu sa tête sur une pochette et n'aimait pas trop l'idée de recommencer ! Il a dit "ah non, moi je suis traumatisé, je ne veux plus d'une pochette avec ma gueule dessus" donc je me suis dévoué.
dBoy : Du coup il est content, il a des flyers, des vinyles, des affiches pour les concerts, des dessous de verre... Il voit sa gueule partout !
Crazy Z : Je commence à comprendre ce qu'il voulait dire quand il disait que c'était nul.
dBoy : C'est dans dix ans que tu ne seras plus à l'aise avec ça !
Little Bastard : Surtout si d'ici là il ressemble à la pochette, en effet.
