Votre tournée commence vraiment ce soir à La Machine, anciennement la Loco, ce qui est une coïncidence amusante avec le background ouvrier et cheminot des origines du groupe. Comment vous sentez-vous ?
Franky : Moi je me sens bien dans la merde ! J'y ai pensé pas mal depuis que j'ai vu la grève à usure, justement en parlant de trains ! On a pas mal de dates en avril, mai et juin alors j'espère qu'ils vont trouver une solution d'ici là, sinon ça va être sympa...
Reuno : Ça sent le Blablacar ça, mon pote, t'inquiète !
Franky : En tout cas oui, l'ombre des cheminots est toujours quelque part avec nous !
Domnique : Sinon, autrement, le spectacle est cool, hein ! (tout le monde se marre)
Thierry : Ah ouais tiens, on fait quoi comme musique, déjà ?
Reuno : Moi je me sens un peu puceau là. C'est bien, je cherche un peu ça dans ma vie : ne pas m'emmerder, quoi. Donc faire des choses que je n'ai jamais faites, enfin, pas tout et n'importe quoi non plus, mais quand le projet me motive j'ai envie de m'y mettre à fond ! Je suis quelqu'un d'assez entier pour faire les choses jusqu'au bout je crois, et là il y a une bande de lascars qui m'ont fait confiance donc dans un premier temps je n'ai surtout pas envie de les décevoir, d'être à la hauteur du truc, et puis que ça prenne. C'est toujours particulier une première parce que tu sais que ça n'aura jamais la forme que ça va avoir dans trois mois...
Thierry : Qui plus est, une première à Paris... Nous on fait toujours ça !
Reuno : Du coup, j'ai l'impression d'avoir la barre haute ce soir et quelque part c'est super excitant !
Vous avez prévu un "show metal". Qu'est ce qui vous a amenés à faire ce choix ?
Dominique : Je dirais qu'après nos collaborations avec SEPULTURA on est restés un tout petit peu sur notre faim parce qu'on prenait un plaisir monstrueux à jouer avec eux et ça s'est arrêté assez vite. Bon, c'était compliqué à gérer : deux continents, deux groupes avec des équipes assez énormes... Et on avait envie de faire quelque chose de nouveau : le groupe a 31 ans cette année. On avait envie de faire un truc vraiment neuf. LES TAMBOURS DU BRONX ont eu une grosse évolution au fil des années, ça a viré pas mal electro. Faire du neuf avec les bidons et l'electro ce n'était pas facile, donc on s'est posés pas mal de questions et on a décidé de faire un spectacle franchement rock'n'roll. LES TAMBOURS, c'est à la fois un spectacle, à la fois du rock... Dans nos têtes, on est un groupe de rock alors que pour des gens c'est plus un spectacle. On s'interdisait beaucoup de choses par rapport à notre public pour contenter tout le monde car on a un public très éclectique, de tous les âges. On s'est dit : "pourquoi pas ? En 2019 on fait un vrai spectacle, mais en 2018 on se fait une tournée rock'n'roll !".
Stéphane : C'est vrai que le premier spectacle public qu'on a fait avec le filage à Auxerre, tu m'avais prévenu... Moi, c'était aussi mon dépucelage, comme Reuno. Et Dom m'avait dit "tu vas voir, pour LES TAMBOURS, le public change d'un jour à l'autre". Tu vas avoir des rockeurs et tu vas avoir des familles... Forcément, avec mon passif j'espérais avoir des rockeurs... et il y en avait cinq ! Le reste, c'était des familles. Et le challenge ce jour-là, c'est qu'on était vierges de tout ça, on vient de commencer le spectacle, il y a encore des choses à mettre au point et tu te jettes dans un bouillon incandescent avec des gars qui sont derrière à déjà savoir ce qu'ils font puisqu'ils ont l'expérience des TAMBOURS... Moi, j'arrivais vraiment comme un puceau... Et ça a marché ! Ça a fonctionné, même si on était encore sur nos gardes, à chercher un peu nos appuis sur le spectacle.
Dominique : Un peu trop sages...
Stéphane : Oui, on est peut-être un peu trop sages encore. Ça ne nous ressemble pas pourtant !
Cette orientation plus metal, avec des guitares et tout, est-ce que ça appelle plus de travail en studio, ou vous n'avez pas prévu de nouvel album ?
Thierry : Si, c'est prévu qu'on fasse un album, reste à savoir de quelle manière...
Dominique : On ne sait pas encore quand, mais oui c'est prévu. On a déjà commencé à enregistrer d'ailleurs. Pour tout te dire, on a fait du studio : on en a un chez nous, donc c'est assez facile de travailler, on a l'habitude d'y bosser. On a maquetté chez nous, on a envoyé les maquettes à Franky qui a enregistré directement dessus. On a aussi ce qu'a fait Reuno, et en fait les maquettes sont vachement bien ! Elles servent déjà de base à d'autres enregistrements et c'est parti en mixage... Le clip par exemple, Jour de Colère, c'est presque la démo avec quelques retouches ! Tout l'album est prêt pratiquement. Il reste quelques prises à refaire, évidemment, à peaufiner un peu. Et puis on va attendre que ça tourne aussi !
Thierry : Ah oui, parce que c'est comme tout. C'est comme un nouveau spectacle des TAMBOURS. Là c'est la première à Paris mais dans deux mois des choses auront bougé. On a déjà changé quelques petites structures depuis le concert au Silex à Auxerre, donc c'est la surprise un peu pour eux (les chanteurs, ndlr), mais c'est pas bien compliqué ! (Là, Reuno et Stéphane soufflent TRÈS fort et rigolent). On verra bien !
Parlons-en de Jour de Colère : vous vouliez mettre en avant un côté un peu revendicatif ?
Reuno : C'est moi qui ai écrit ce texte-là. J'écris toujours sur la musique et c'est ce qu'elle m'a inspiré. Et puis se sont ajoutées les choses qui me passent par la tête au moment où j'écris. Ce n'est pas très original dans la définition, mais c'est un peu le constat d'un monde où t'as l'impression que c'est un perpétuel conflit, quoi. Enfin, tu vois, que ça soit les gens qui s'écharpent au chaud avec leurs réseaux sociaux à se traiter de tous les noms derrière des pseudos de viking ou de super-héros, ou bien les gens qui en chient vraiment à se prendre des bombes sur la gueule et du chlore... Tu vois, chaque jour où Vladimir Poutine est réélu, voilà... Je suis un mec assez ouvert sur le monde donc parfois y'a des endroits où ça s'entrechoque et où tu te dis que putain, c'est pas facile pour... Bah, c'est con, mais pour les jeunes, aujourd'hui de croire que y'a un truc de positif à faire dans ce monde de merde ! Voilà. Donc t'as envie de chanter "la vie est belle, le monde est pourri" ! C'est ce qui m'a inspiré ce texte. L'effet que me fait cette colère, c'est ce que ça raconte. Les textes sont quand même relativement courts donc c'est écrit comme des images. En les mettant bout à bout, je pense que chacun peut se faire son histoire. J'aime bien écrire de cette manière.
Dominique : C'était carte blanche pour tout le monde, mais on a tous essayé de rester simples et efficaces.
Reuno : Ouais, et puis tu vois, on a tous été longtemps sur la route et ça fait du bien d'être avec des gens où on n'a pas besoin de se renifler le cul pendant des mois pour sentir qu'on est de la même famille et que notre façon d'aller sur scène et de vouloir partager est la même. Ça va te paraître prétentieux mais je m'en cogne : pour moi, il y a un peu deux catégories de gens qui montent sur scène. Il y a ceux qui sont là pour montrer qu'ils sont les plus grands, les plus forts et se faire sucer par les yeux du public, et puis il y en a qui ont envie de se foutre à poil, de s'ouvrir les tripes et donner ce qu'ils ont de meilleur pour vivre un truc dingue parce qu'un jour quand on a été gamins on a écouté un disque ou vu un concert de rock et on s'est dit : "putain, ma vie, elle commence aujourd'hui !".
Stéphane : Ouais, mais on peut se faire sucer après, quand même. (Rires délicats, discrets et tout en retenu de jeunes personnes distinguées, vous vous en doutez). Pardon, pardon, ça va, hein. On est des graisseux quand même à la base !
Pas de soucis, tout sera retranscrit de toute façon, avec les noms de qui a dit quoi !
Stéphane : Merci.
Reuno : Amis de la poésie et de la boxe, ce soir c'est boxe, voilà.
Reuno, tu parlais de l'écriture des texte. Avez-vous prévu d'ajouter des paroles à des morceaux qui n'en avaient pas ?
Thierry : Tous les morceaux étaient sans paroles. On en a rajoutées sur tous les titres. Il y a juste un morceau qui sera peut-être sans ce soir...
Reuno : Parce que j'ai pas eu le temps de le travailler correctement...
Stéphane : ...Ce sont des morceaux instrumentaux sur lesquels on a rajouté nos textes.
Reuno : Je ne veux pas parler à la place de Dom, enfin si, mais je sais que c'était parfois des morceaux avec juste percus et machines et eux ont composé des parties de guitare. Franky a composé ses parties de batterie et après nous on a essayé, sans toucher des structures qui étaient hyper chelous pour nous, d'adapter ça pour en faire des chansons.
Thierry : Oui, à partir de structures alambiquées qui ne sont pas du tout couplets / refrains.
Reuno : Quelque part, c'était excitant pour Stéphane et moi d'écrire là-dedans parce que ça nous sortait de nos habitudes...
Stéphane : C'est vrai qu'on s'en est parlé en se disant parfois que la structure était bizarre, alors on essayait de trouver un couplet, un refrain, et que ça soit logique.
Thierry : C'est vrai que nous, dans le show qu'on avait avant, il y avait deux ou trois morceaux avec du chant et donc une structure. Il y avait Human Smile, quoi, et le reste c'était plus scandé. Là on leur a filé le truc effectivement, et le seul morceau où il y avait du chant, on leur a pas filé pour pas qu'ils soient influencés.
Reuno : C'était excitant quelque part, même si ce n'était pas confort pour écrire un texte, mais du coup ça t'oblige à penser le truc différemment pour écrire un texte que juste comme une chanson au sens un peu plus classique.
Stéphane : Ça nous sort de la zone de confort dans laquelle on est nous quand on compose avec nos groupes...
Dominique : On est tous sortis de notre zone de confort !
Thierry : C'est ça qui est assez enthousiasmant. Parce que ça pouvait être très casse-gueule pour tout le monde. C'est bien beau de vouloir grouper des choses pour faire un bel ensemble, mais est-ce qu'au final ça ressemble à quelque chose ?
Reuno : Toutes les mayonnaises ne prennent pas !
Stéphane : C'est bien vrai mon bon monsieur !
Thierry : ...Et à la fin de notre résidence, on s'est dit que ça marchait maintenant. Et ça n'a pas été toujours facile de se dire qu'il fallait changer tout ce qu'on avait prévu, la mise en place du son...
Dominique : Le son... Parlons-en, tiens, du son !
Reuno : Quand on va jouer en plein air et qu'on aura quelques concerts dans les pattes, ça va vraiment prendre son ampleur.
Dominique : Oui, quand on pourra justement mettre un peu de son sur scène ! Enfin !
À cause des nouvelles réglementations ?
Thierry : Oui, ça a changé. Du coup nous, au niveau des bidons, on a été obligés de "colmater" un peu le son. Pour nous sur scène, c'est difficile, ça fait un peu "plop-plop"...
Dominique : La limite est à 102 décibels, ce qui est très, très peu. Les bidons sortent naturellement à 110 dB.
Reuno : Dans une salle, comme ça c'est très dur. Pendant la résidence, on a commencé à s'entendre avec Stéphane quand on a mis des ear-monitors en fait, tellement les bidons envoyaient !
Stéphane : C'est la guerre, ouais, c'est un truc de fou ! Et pourtant, on a joué avec des mecs qui jouent fort : on a fait LE BAL DES ENRAGÉS où des fois c'est la guerre absolue sur scène... Mais là, t'es un degré au-dessus encore !
Thierry : Du coup, là vous pouvez peut-être enlever vos ear-monitors du coup, avec les trucs qu'on met sur les bidons...
Stéphane : Non, non, je t'assure !
Dominique : On a bricolé des peaux qu'on a mis sur les bidons pour atténuer un peu leur son.
Et Franky, tu dois cogner comme un malade, ou tu arrives à t'entendre avec ces types devant toi ?
Franky : Les ear-monitors me sauvent aussi ! J'essaye de positionner un micro qui me repique les neuf bidons qui sont devant moi pour essayer de vivre le concert avec eux, d'avancer et modérer les tempos avec eux. C'est un nouveau challenge pour moi. J'ai toujours été habitué avec mes groupes précédents à jouer au click. Là, c'est pas vraiment possible. Si j'étais le seul à avoir le click, le fait de me faire entraîner par la horde guerrière que sont ces neuf bidons, c'est très dur à tenir. Du coup mon challenge est de trouver un tempo où chaque titre vit de la bonne façon, sans trop accélérer ni trop ralentir, et d'être en cohésion avec les neuf bidons. Et c'est pas évident.
Reuno : Ouais, des fois les gars ils peuvent accélérer devant et toi tu galères... tu veux bien faire un effort pour aller vers eux, mais bon, les mecs...
Franky : Exactement ! Et c'est dur de trouver les repères parce que quelque chose qui va me sembler lent va être rapide pour eux. C'est peut-être un peu technique, mais ils jouent parfois en double croches sur les bidons et moi j'étais juste grosse caisse - caisse claire et on n'a pas vraiment la même cadence. C'est super intéressant, c'est une super expérience pour moi... Je m'entends bien, mais j'essaye surtout d'entendre ce qui se passe autour !
Parmi vous cinq, vous êtes trois à avoir rejoint la troupe récemment. Il y a aussi Arco Trauma qui est arrivé il y a peu. Comment s'est passé votre rencontre ? Vous connaissiez ses projets ?
Reuno : Moi non, j'ai découvert depuis.
Dominique : Arnaud a fait notre première partie à Strasbourg à la Laiterie avec SONIC AREA. On a découvert et moi ça m'a scotché ! Je suis resté devant, j'ai trouvé ça super. Il avait un univers très simple, esthétique, et ce qu'il envoyait aux machines était top. On a discuté un petit peu, on s'est retrouvés après le show, bu une absinthe ensemble... Et puis voilà, notre clavier est parti alors il a fallu en trouver un. Quelqu'un de disponible rapidement et qui colle à l'esprit du groupe, ce qui n'est pas toujours évident. J'ai pensé à lui et il était chaud. Il aime LES TAMBOURS, il connaissait bien et on s'était bien entendus. Il a répondu présent tout de suite.
Et il fait pouêt-pouêt ! (en référence à ce reportage, ndlr).
Dominique : Et il fait pouêt-pouêt !
Thierry : C'est le jeune pianiste qui fait pouêt-pouêt !
Vous avez actuellement votre show metal, ainsi que cette étiquette industrielle. Et pourtant, malgré votre côté "alternatif", on vous a retrouvés sur de gros événements : il y a eu ce bicentennaire de la Révolution il y a presque 30 ans, mais même récemment vous étiez aux cent ans de Verdun. Ça peut surprendre dans un pays qu'on imagine frileux comme la France de programmer ce genre de musique. Quel est votre ressenti là-dessus, sur le fait de vous retrouver à des événements aussi "officiels" ?
Thierry : Pour Verdun, c'est une histoire d'affinités. La personne qui s'occupait de l'événement, Marc Bogaerts, aimait LES TAMBOURS et en a parlé au mec qui a fait le truc à Volker Schlöndorff. Il a dit "moi je veux bien faire quelque chose, mais je veux que la musique ça soit LES TAMBOURS". Donc il nous a proposé le truc, et effectivement nous on s'est quand même posé la question de savoir si on allait jouer là-bas parce que c'est aussi particulier de jouer sur un truc comme ça avec des présidents, des militaires... Quelque chose de très officiel, guindé. Et puis on a donc rencontré Marc Bogaerts, on en a discuté et on s'est aperçu que ces mecs là avaient la même conception de la musique que nous. C'est à dire qu'on en a rien à foutre qu'il y ait des gamins qui courent sur les tombes, il fallait que ça vive et qu'il se passe des choses.
Reuno : Il y a quand même des gens qui ont dit que c'est pas bien, qu'il faut pas faire ça, etc...
Thierry : Ce qui est très, très bien justement c'est que pas longtemps après il y a eu des réactions tout de suite avec les gens de l'extrême droite qui ont trouvé que c'était un scandale. Ce qui, pour nous, était rassurant ! Tu te dis "putain, génial, ça fait toujours plaisir de les faire chier !".
Stéphane : Génial, ils aiment pas !
Thierry : C'est des trucs qu'on a déjà fait ça, c'est des choses un peu particulières... Mais tant que l'esprit est là et qu'on ne perd pas notre identité, on peut aller n'importe où, il n'y a pas de souci. C'est toujours une histoire d'entente avec les gens avec qui tu fais ça.
Dominique : Comme je disais tout à l'heure, on a un public qui est très éclectique et les gens ont tous une perception différente de ce qu'on est. Pour toi on a quelque chose d'assez alternatif alors que pour d'autres on est un spectacle qui n'a rien d'alternatif, on relève presque d'une troupe de théâtre. Pour nous on est des rockeurs, mais c'est pas forcément évident pour tout le monde !
Thierry : Ce qui est intéressant aussi, c'est que quand tu vas à un concert des TAMBOURS, parfois t'as un public de maison de la culture, quoi. Mais ce qui est super, c'est que tu vas leur donner du son, même avec le spectacle qu'on avait avant qui avait des sons parfois assez violents. Et les gens ils sont quand même dedans. Donc t'arrives à leur transmettre autre chose que ce qu'ils ont l'habitude d'écouter, et ça c'est vachement intéressant. Même le mec qui connaît un peu LES TAMBOURS et en a parlé à son fils, voire à son petit-fils, qui a 70 balais, il se dit "putain, moi j'ai jamais vu ça". Même s'il y a des sons rock'n'roll, underground et compagnie, il va accrocher.
Stéphane : Il n'y a rien qui est décalé avec LES TAMBOURS en fait.
Dominique : On peut se permettre un peu ce qu'on veut, oui.
Thierry Il y aura toujours des bidons.
Reuno : L'identité de base est tellement marquée qu'après, c'est sûr que ça peut se trimballer dans pas mal de trucs...
Thierry : ...des Frères Morvan à SEPULTURA.
Merci beaucoup. Vous voulez ajouter quelque chose pour conclure ?
Thierry : J'ai soif !