On vous propose aujourd'hui un entretien un peu plus loin des projecteurs : Angéla Dufin est attachée presse et manageuse de différents artistes. Elle a créé NRV Promotion il y a cinq ans et fête cet anniversaire le 27 septembre à Petit Bain avec Grandma's Ashes, Storm's Orchestra, Howard, Decasia, Gurl et Liquid Bear (billets). Travaillant avec des artistes "rock au sens large", elle s'occupe également de la promotion de SIERRA (darksynth) ou du groupe de post-punk UNSPKBLE mais aussi de la promo du Motocultor depuis un an. Elle nous parle donc de son métier : il y est question de travailler dans la musique sans forcément être dans un groupe, d'accompagner les artistes lors des différentes étapes de leurs carrières ou encore de l'utilité des médias (comme nous, par exemple).
Pour commencer peux-tu nous expliquer en quoi consiste ton travail ?
Je suis manageuse et attachée presse, ce sont deux métiers différents que j'exerce en même temps mais pas forcément pour les mêmes artistes. En tant que manageuse, je gère la carrière globale d'un artiste. Cela va de la gestion des plannings de sorties, à la recherche d'autres partenaires, tourneurs distributeurs ou labels. Il y a tout un accompagnement à faire qui passe par beaucoup de communication, de l'aide à la diffusion, ou trouver des moyens de financements, c'est très large. J'agis sur tout ce qui peut les amener à se développer. Je peux même être amenée à trouver des prestataires, leur conseiller un ingé son, que ce soit pour un enregistrement studio ou pour un live, ou bien un graphiste pour une pochette d'album, un photographe, un réalisateur de clip... C'est un soutien global.
En tant qu'attachée presse je fais la promotion de toutes les sorties (EPs, albums, singles, clips...) auprès de tous les médias qui pourraient être intéressés, pour qu'eux-mêmes relaient ensuite ces informations ce qui contribuent à la diffusion des œuvres proposées.
As-tu une préférence entre les deux ? As tu des retours plus concrets et donc gratifiants grâce au management ?
Le résultant d'un travail de manageur se voit sur le long terme. Il faut être patient. Les deux se compensent et se complètent, c'est cela que j'aime bien. Faire seulement de la promo peut être un peu répétitif, les méthodes de travail ne changent pas vraiment, et les médias avec qui je suis en contact sont souvent les mêmes, car les artistes que je suis ont un style assez similaire. Le management est plus global, plus complet et plus diversifié. Je suis plus souvent sur le terrain et suivre un groupe en tournée, en studio ou sur le tournage d'un clip est vraiment quelque chose d'intéressant. C'est sans doute plus gratifiant car on fait vraiment partie de la carrière d'un artiste mais je suis contente de faire les deux métiers.
Comment t'es-tu retrouvée à manager des groupes ?
Je suis musicienne mais je ne souhaitais pas vraiment en faire mon métier. J'ai tenté une école de commerce après le bac pour travailler dans la finance... mauvaise idée ! J'ai vite vu que ce n'était pas pour moi, je n'étais pas dans mon élément du tout ! J'avais pourtant déménagé dans le nord pour ça mais je suis vite revenue à Paris. J'ai alors réalisé que des métiers autour de la musique existaient, sans forcément que cela implique d'être musicienne, ce qui ne m'avait jamais traversé l'esprit avant. J'ai pris le temps de bien me renseigner car il y a plein de chemins possibles et je me suis dirigée vers un BTS dans la communication pour m'ouvrir un maximum de portes dans cette voie. J'ai adhéré dans ce même temps à une association de production de concerts en tant que bénévole dans le 92 dans laquelle j'ai pu rencontrer des petits groupes de musique en train de se former et qui voulaient grandir. C'était après le lycée donc leur ambition était plus grande, j'ai commencé par m'occuper de leur communication puis cela s'est transformé en management. J'ai creusé un peu le métier en faisant un stage en tant qu'attachée presse dans une boite de relation presse dans le milieu musicale, j'essayais d'aider comme je pouvais, en faisant beaucoup de recherches en parallèle. Tout s'est fait très naturellement, j'ai appris au fur et à mesure, un peu dans le flou au début et petit à petit ça s'est concrétisé. J'ai compris que c'est ce que je voulais faire et mon projet est né à ce moment là.
Au début ce sont donc plus les artistes qui venaient à toi que l'inverse, est-ce toujours le cas aujourd'hui ?
Au début j'avais quelques propositions de quelques artistes qui m'ont demandé de l'aide en effet, mais au bout d'un an c'est devenu plus sérieux. J'ai lancé NRV Promotion et il a fallu trouver d'autres artistes avec qui travailler pour étoffer le projet, des connaissances ou des amis musiciens sont aussi venus à moi, ce fut donc un mélange des deux. Pendant le covid j'ai démarché pas mal de groupes qui me plaisaient, que j'avais écoutés ou vus en concert. Puis, au fur et à mesure du temps, le bouche à oreille à fait son effet et ce sont plutôt les groupes qui viennent à moi aujourd'hui.
Quels sont tes critères lorsque tu choisis de travailler avec un artiste ?
Principalement, la musique. Si j'aime et que je suis disponible, je fonce. Je ne pourrais pas soutenir un projet que je n'aime pas, auquel je n'adhère pas. Même si la plupart de mes choix se dirigent vers du rock au sens large, il peut m'arriver de m'éloigner de ma zone de confort avec des artistes comme SIERRA parce que j'aime ce qu'ils font ! Néanmoins je n'irais pas vers un milieu totalement différent même si je peux aimer certaines choses, comme le rap ou le jazz par exemple. Ce serait comme repartir de zéro. Il n'y a pas d'autres critères. Si c'est du rock au sens large et que ça me plait, c'est déjà très bien.
Et avec Sierra justement, ça s'est fait comment ?
C'est via son éditeur, qui est aussi l'éditeur d'Howard avec qui je travaille. Il a apprécié le travail que j'avais fait avec Howard et m'a proposé de bosser avec SIERRA en test l'an dernier pour ses singles et sa tournée et on a renouvelé ça pour l'album vu qu'on s'est super bien entendus et que les objectifs ont été remplis.
As-tu des critères de véto immédiat pour ne pas travailler avec un artiste ?
Il y a les questions éthiques : si c'est un mec qui a fait de la merde, ou une meuf on ne sait jamais, ou bien des valeurs que je ne partage pas... Ou tout simplement que le courant ne passe pas, ce qui peut arriver. Musicalement, je ne m'interdis rien du moment que ça me plaît et qu'il n'y a pas de propos problématiques dans la musique...
Sur ces cinq années, as-tu des fiertés particulières ?
Oui, notamment Grandma's Ashes qui a fait la Boule Noire il y a quelques temps, puis la Maroquinerie et ensuite le Hellfest et leur sortie d'album s'est super bien passée donc c'est super. Decasia était au Hellfest également. Howard et Storm Orchestra ont aussi rempli le Backstage by the Mill pour leurs release parties... C'est surtout ça qui est cool, les étapes importantes dans la vie des artistes avec qui je collabore. Je viens aussi de travailler avec le Motocultor et c'était la première fois que je bossais sur un festival, déjà, et en plus de cette ampleur ! Quand des gens m'appellent spontanément pour me proposer des projets comme ça, c'est vraiment gratifiant. Et il y a aussi des groupes qui existent depuis longtemps comme Dirty Deep ou Les Lullies que je ne connaissais pas forcément avant mais qui sont très bien développés dans la scène française, qui sont là depuis plus longtemps que moi, et c'est cool de travailler avec eux.
On entend parfois des gens qui rêvent de travailler dans tel ou tel milieu artistique et qui, quand ils y arrivent enfin, déchantent un peu. Est-ce que l'expérience au Motoc était plaisante pour toi ou en as-tu plutôt bavé, honnêtement ?
Clairement un peu des deux ! On n'était que deux pour un festival comme ça. On a aussi perdu notre collègue Eloa pendant la promo et ce n'était pas facile. C'était une grosse charge mentale parce que c'est un travail colossal, ce n'est pas comme sortir un album, c'est une mission vraiment hyper large. J'avais la pression de la première fois, de faire bien avec peu, mais aussi la disponibilité que ça demande. C'est très chronophage. En même temps, c'était fun, j'ai pu monter en compétence et ça fait toujours plus plaisir que de répéter en boucle les mêmes trucs pendant trois ans. Je connaissais déjà les missions demandées pour le festival donc je ne les découvrais pas vraiment mais c'était la première fois que je les gérais moi-même. Les missions de festival sont différentes de celles qu'on peut avoir sur une sortie d'album, il y a par exemple les accréditations à gérer, ou les interviews à un niveau décuplé par rapport à juste une sortie ! Ce que j'aime beaucoup dans mon métier, c'est aussi de pouvoir rencontrer les artistes et les accompagner, ce que permet le fait d'être sur place lors du festival. Bon, on n'a pas eu beaucoup de temps, mais on a pu avoir ce contact avec les artistes qui étaient tous très sympa, c'est un peu le côté fun du métier !
Est-ce une expérience que tu renouvellerais ?
Oui, peut-être. C'est en discussion...
Et quand tu travailles sur un festival comme ça, as-tu le temps de profiter des concerts ?
Vraiment très peu, genre le soir quand j'avais fini et que je n'étais pas trop fatiguée. En tout j'ai dû voir quelque chose comme cinq concerts... mais c'était déjà bien !
Comment as-tu composé l'affiche des cinq ans d'NRV à Petit Bain ?
Ce sont les six groupes qui sont dans le roster management d'NRV Promotion. La question principale était de savoir si on pouvait faire une soirée avec les six groupes. Il fallait trouver une salle et déjà, quand tu fais jouer seulement trois groupes, c'est compliqué... Alors six ? Il fallait trouver le bon format, un lieu qui veuille bien accueillir l'événement... On pensait d'abord le faire un week-end parce qu'on se disait qu'en semaine on n'allait pas y arriver, mais ça demande un supplément de trésorerie qu'on n'a pas... On a fait avec les moyens du bord mais Petit Bain nous accueille vraiment aux petits oignons avec un super deal en co-prod qui aide énormément à la réalisation de la soirée. Je ne sais pas si j'aurais organisé tout ça si j'avais dû ne choisir que trois groupes de mon roster, ça aurait été trop dur ! Pour être honnête, c'est un peu galère à mettre en place... Peut-être que pour les dix ans d'NRV, je referais un truc sur un plus gros format, quelque chose de très occasionnel... Mais je ne ferais pas ça régulièrement ! L'événementiel, j'en ai déjà fait, et c'est de moins en moins mon truc. Là, c'est vraiment pour se retrouver avec les artistes et les gens qui ont contribué au développement d'NRV, comme les médias, etc. Je ne serais pas là si on n'avait pas été autant soutenus pendant ces cinq années.
Quel est pour toi l'aspect le plus sympa de ton boulot ?
Franchement, il y en a beaucoup. Comme je te disais, il y a ce lien direct avec les artistes auquel je tiens beaucoup. Quand je travaillais en label, ça me manquait, je trouvais qu'on ne l'avait que très peu, uniquement lors des journées promo, et ça s'arrêtait là pour la partie attaché presse. Tu vois, je ne suis pas du tout formatée dans un schéma entreprise, hiérarchie et tout ça donc le fait d'être auto-entrepreneuse me permet de gérer totalement la structure, ma façon de fonctionner et de travailler avec les artistes. J'aime dialoguer avec eux, faire des choix avec eux, les accompagner dans leur développement... L'autre coté sympa, c'est les tournées ! Quand je peux les suivre sur quelques dates, c'est toujours l'aspect un peu récré du métier ! Même si on s'occupe du merch, des photos et tout, c'est la partie la plus fun. Il y a aussi beaucoup de relationnel, que ce soit avec les médias, les tourneurs, les labels, etc. L'aspect humain est très important, il faut savoir comment parler aux artistes, leur expliquer certaines choses...
N'y a-t-il pas un côté un peu ingrat quand on accompagne des artistes et qu'on les aide à grandir, dans le sens où un jour ils pourraient devenir trop gros pour ta structure ?
En promo, ça arrive souvent puisque dès qu'un artiste signe avec un gros label, ils vont plutôt travailleur avec leurs attachés presse intégrés. Quand c'est comme ça, ça se passe en général très bien, il arrive que certains artistes puissent négocier de garder leur attachée de presse indépendante, comme ça a été le cas avec Sierra par exemple. Avec d'autres c'est plus figé et on n'y peut rien, ça fait toujours un peu chier, mais c'est comme ça. La promo a un côté très éphémère : on le fait sur un album et après ça peut revenir sur l'autre, mais ce n'est pas figé. Sur le management par contre, mon but est effectivement de suivre mes artistes le plus loin possible. Mais dans la carrière d'un artiste qui évolue beaucoup, il arrive forcément un moment où il a d'autres propositions et a tout à fait le droit de réfléchir à ce qu'il va faire, aux nouveaux partenaires qu'il voudrait avoir... Là, c'est plus à nous de nous battre pour garder les projets et rester dans l'équipe ! Mais tout ça, c'est le cycle des choses aussi.
Tu parlais du rôle des médias, comme nous. On peut quand même se demander à quoi on sert, aujourd'hui, entre le streaming qui permet aux gens d'écouter directement un album ou les réseaux sociaux qui fournissent l'actu des groupes en direct... Est-ce qu'on est toujours pertinents ou utiles dans le cadre d'une promo ?
Je pense qu'il y a déjà une question de référencement qui est très importante. Quand tu as beaucoup de chroniques, même sur des petits sites, ça fait remonter le nom du groupe dans les moteurs de recherche. Parfois les artistes choisissent des noms communs, comme Sierra par exemple, donc avoir des articles sur le sujet aide à les rendre plus visibles dans les recherches, à mieux les identifier. Après, pour la partie promo, je suis honnête avec les artistes. Je leur dis bien que cette aspect relation presse ne va pas forcément leur apporter du public aujourd'hui, que ce soit sur le web mais également avec la radio ou la presse papier. On sait que les audiences sont très faibles, donc tu vas aller chercher peut-être une ou deux personnes au compte-goutte via ces différents médias et ce n'est pas ça qui va faire que le groupe va être connu. On n'est plus dans les années 90 ! Je leur explique donc que la promo est surtout une question de crédibilité professionnelle : être validé par tel ou tel média qui a eu de bons mots à ton sujet, ça peut être mis en valeur dans ton démarchage, dans ton dossier de presse, et ça sera valorisé aux yeux des autres professionnels comme les labels ou les tourneurs. C'est un peu un moyen de se faire valider par une partie de la sphère professionnelle, en fait...
... Une sphère qui est souvent très bienveillante, d'ailleurs...
Oui, je n'ai jamais compris l'intérêt de chroniquer pour descendre un groupe émergeant. Il y a quelques années, ça se faisait encore mais c'est de moins en moins le cas. Je n'ai pas reçu de chronique négative depuis très longtemps. De toute façon, les médias n'ont déjà pas le temps d'écrire des chroniques positives, alors j'imagine qu'ils ne le prennent pas pour dire qu'ils n'aiment pas du tout un truc...
Ressens-tu des frustrations dans la communication avec les médias ? Par expérience, je sais que ça implique des dizaines, voire des centaines de mails par jour, et c'est impossible de tout lire !
Moi j'en suis encore au stade où j'envoie plus de mails que je n'en reçois ! C'est surtout au début que c'est dur. Tu passes du temps à faire ta base de données médias, tu contactes plein de gens, souvent en direct d'ailleurs plutôt que via une newsletter ou une liste générale... Et sur une centaine de mails, tu vas avoir genre deux réponses, qui ne sont même pas forcément positives, en plus ! Quand tu commences, personne ne te connaît donc personne ne te répond... et en plus, personne ne connaît les artistes avec qui tu travailles ! C'est assez dur de se faire une place mais une fois que c'est fait, plus ça va et plus tu as de réponses... Et après, il y a les petits plaisirs d'attaché presse, par exemple quand un média qui d'habitude ne répond jamais me fait un retour, je suis trop contente ! La semaine dernière on a fait Côté Club sur France Inter avec Sierra, c'était la première fois que je faisais ça en cinq ans de métier, je trouvais ça trop cool ! Je me souviens aussi de mes premiers Guitar Part, Rock Hard ou même Rock'n'Folk, ce genre de choses qui ne tombent pas souvent et font trop plaisir. Au fur et à mesure ce sont des choses qui se mettent en place et deviennent moins rares : aujourd'hui, j'ai presque une sortie sur deux chroniquée dans Rock Hard. C'est long à se mettre en place mais c'est très progressif. Après cinq ans, certains médias ne me répondent toujours pas, surtout les médias généralistes vu que je travaille quand même avec des artistes de niche qui ne les intéressent pas forcément ou qu'ils ne connaissent pas et donc on échange très peu... mais ça viendra peut-être, en tout cas j'espère !
Sur tes cinq ans, as-tu constaté des évolutions dans la façon de communiquer ou gérer la promo des artistes ?
En relation presse, je dirais que ça n'a globalement pas trop changé. Chacun a sa manière de travailler et de s'exprimer mais je n'ai pas l'impression à mon niveau que ça ait évolué. Après, pour les groupes, ça bouge un peu plus. Il y a eu le covid qui a bien monopolisé les dernières années, ça a poussé les groupes à faire toujours plus, produire plus, repenser leur stratégie de sortie... Je pense que tout ça est encore en mouvance.