PØGØ est apparu à l'été 2022 et a depuis émietté quelques singles. Le duo trap metal, composé de Bastien, chanteur du groupe de metal indus Horskh, et de Kanay du duo dub Tetra Hydro K, a dès le début cultivé un certain mystère : entre leurs symboles étranges et une certaine discrétion sur les réseaux sociaux, PØGØ intrigue. Alliance de deux personnalités aux univers très différents, PØGØ joue avec les codes pour créer les siens et s'amuse à chambouler les frontières entre les genres. Nous les avions rencontrés l'été dernier, quelques heures après avoir cueilli le Motocultor Festival au réveil (on vous racontait ça par ici). Alors que Chimera, leur premier album, sortira le 3 novembre, nous vous proposons de lever légèrement le voile en leur compagnie.
Vous avez ouvert la journée au Motocultor, un festival metal. Étiez-vous anxieux de l'accueil du public, qui n'avait ni l'habitude de ce genre de musiques, ni encore assez bu pour être bien réceptif ?
Kanay : On était plus anxieux de savoir si on allait avoir du public tout court !
Bastien : Oui, on se disait qu'on allait jouer devant trente personnes... Mais du coup on est plutôt contents. Il y a quelques morceaux un peu particuliers pour lesquels je me disais que ça allait être un peu chaud parce qu'ils ne sont pas du tout metal. J'avais peur que les gens se barrent, mais pas du tout finalement !
Qu'est ce qui te faisait peur ? Le côté plus rap ?
Bastien : Il y a un morceau vraiment hyper smooth, avec de l'autotune et tout... Et je me suis dit "l'autotune, en festival metal ? Ouille !". Mais non, j'ai eu l'impression que ça allait. Les gens sont restés, donc ils ont été assez cools.
En un an environ, vous avez sorti quatre singles avec une communication très minimaliste et mystérieuse. Pourquoi tant de mystères ?
Bastien : Pour la discrétion, on va surtout dire qu'on est aussi très pris tous les deux par nos autres projets à côté, ça nous prend pas mal de temps et on n'a pas forcément la possibilité de communiquer régulièrement. Pour le mystère, les symboles chelous et tout ça, c'est notre identité visuelle, c'est pour intriguer et essayer de marquer les esprits, ce côté cryptique et cyberpunk.
Vous avez vos projets à côté, mais vous n'êtes pas non plus des immenses stars. Comment vous êtes-vous retrouvés au Motocultor et aux Eurocks en ayant juste sorti quatre singles ?
Kanay : Nos projets nous ont permis à tous les deux de connaître déjà beaucoup de monde. On a acquis une certaine crédibilité auprès des professionnels et des gens qui connaissent nos projets respectifs. Pour les Eurockéennes, par exemple, on est entrés dans un dispositif d'accompagnement franco-suisse qui s'appelle Iceberg qui nous aide à trouver des dates dans les deux pays mais nous a aussi accompagnés pour tout l'aspect scénographie, les costumes... Le programmateur des Eurockéennes fait partie d'Iceberg et comme il vient de notre région, il sait aussi très bien qu'on a fait nos preuves, aussi bien avec Horskh que Tetra Hydro K.
Les morceaux sont très courts. Est-ce venu naturellement ou était-ce un choix délibéré dès le début ?
Bastien : Pour moi, c'était vraiment une volonté d'aller droit au but. Je voulais faire des trucs de maximum deux minutes et demi, trois minutes. Je voulais être dans l'efficacité et c'est vrai que j'aime beaucoup les morceaux où ça va vite.
Kanay : C'est aussi un peu le nouveau format musical. L'époque des morceaux de sept minutes est passée. Même dans la drum'n'bass, qui avait un format plus long, les morceaux ont réduit... Ou les nouveaux trucs de rap et de trap, ça dure rarement trois minutes alors qu'avant un morceau d'IAM pouvait dépasser les quatre minutes.
Et est-ce qu'on se pose vraiment encore une heure pour écouter un album ?
Kanay : Plus personne n'achète un album. Tu te mets sur Spotify, tu fais ta playlist... Ce n'est pas pareil. Ou alors il y a les amoureux du vinyle, qui vont écouter leur disque en entier.
Avez-vous cherché à créer des personnages via vos costumes ? Ont-ils une histoire ? Les avez-vous faits vous-mêmes ou ont-ils été réalisés par des stylistes ?
Bastien : On a bossé avec une école de fashion design à Bâle. C'était vraiment cool, ils ont été à fond pendant un mois. On a passé trois jours là-bas, à discuter avec eux, prendre des mesures, etc. C'était hyper intéressant de discuter de matières et de tous nos délires ! En fait, déjà à ce stade, l'idée de mettre en avant nos deux personnalités différentes est née. Kanay est hyper coloré et moi plus dans les trucs dark, on voulait donc que les costumes soient déjà orientés dans cette direction. On le retrouve déjà un peu dans la musique, mais je pense que cette dualité va s'entendre de plus en plus, ce paradoxe entre nos deux personnalités. C'est venu naturellement et on s'est dits que c'était vraiment cool et qu'il était important de l'accentuer.
Kanay : C'est aussi ce qui fait l'originalité du duo.
Ca permet aussi qu'aucun de vous ne se sente lésé par un compromis...
Kanay : On s'habille comme ça dans la vie de tous les jours. Enfin, peut-être pas à ce point, mais tu vois par exemple le survêt' que je portais à la fin du concert, typiquement, c'est un truc que je peux porter quand je prends le bus ou que je vais à l'aéroport... Bon, faut faire gaffe avec la cagoule rose, ça peut poser problème à l'aéroport !
Comment en êtes-vous venus à monter PØGØ ?
Bastien : On se connaît déjà depuis longtemps, on s'était déjà dits qu'on ferait de la musique ensemble...
Kanay : J'avais déjà essayé de faire un remix de Horskh, mais sans résultat, il y a longtemps...
Bastien : Juste avant le covid, on s'était croisés dans une soirée electro à Besançon et on a discuté tous les deux de musique, on se disait que le mélange trap-metal c'est trop cool, que Ghostemane ça défonce ! On était dans le même mood là-dessus donc on a essayé de faire un ou deux morceaux et c'est parti de là.
Est-ce que le fait de vous lancer dans ce side-project vous a permis de vous recentrer sur vos groupes respectifs ?
Bastien : Ça nourrit à fond. Je trouve que PØGØ nourrit Horskh et vice-versa. C'est un peu tout en fait. Ça permet d'avoir plus de réseau, de voir un fonctionnement différent avec Kanay, de voir ses compétences et idées dans différentes choses pour les deux groupes, aussi bien au niveau des compositions qu'au niveau humain, contacts,réseau, administratif, les idées, etc.
Kanay : Ça nous permet d'appréhender la musique d'une autre manière, mais aussi les concerts. Par exemple, dans le dub, il n'y a pas de dresscode ou ce genre de machins, comparé au metal. Quand je joue avec Tetra Hydro K, je suis caché derrière une machine, je ne suis pas aussi exposé.
Et ça t'a amusé de chambouler un peu ce dresscode de métalleux ? Tu disais sur scène que c'était ton premier festival metal...
Kanay : Je suis souvent en tongs mais je me suis dit qu'aujourd'hui je n'allais pas prendre le risque de me faire écraser les pieds par quelqu'un avec des grosses chaussures ! Je suis quelqu'un de très ouvert, j'essaye de m'intéresser à tout... Mais tu vois, comme ce n'est pas un univers que je connais, je n'ai pas l'impression de casser des codes, vu que je ne les connais pas ! Je me doute que les gens sont plus habillés en noir qu'en rose, mais on ne nous a pas jeté de cailloux, donc c'est que ça doit aller !
Et il y a toujours ce paradoxe d'être face à des gens qui disent casser des codes et être anticonformistes... tout en se conformant à d'autres codes.
Kanay : Oui, et je pense qu'ils sont plus choqués par l'autotune que nos habits colorés !
Bastien : L'autotune, on peut dire que dans le metal, ça fait débat !
Kanay : Mais on réfléchit à tout ce dresscode, à détourner les codes du metal avec le rose et tout ça. Je trouve que les couleurs flashy sont super agressives. On a tendance à associer le rose à Barbie, à des trucs gentils pour enfants... Mais quand tu entres dans une pièce toute rose et que tu dois regarder ça, ça rend maboule ! Et les couleurs, c'est cool, ça permet de sourire !
Bastien : Et ce côté néon flashy reste aussi dans notre univers cyberpunk.
Bastien, sur scène, ton jeu est très différent de ce qu'on a vu avec Horskh, tu es plus lourd et menaçant, moins "spontané". Est-ce qu'il y a un rôle dans lequel tu es plus à l'aise ?
Bastien : Non, pas spécialement. Ce n'est pas la même énergie. Là, je n'ai qu'à chanter, c'est plus posé qu'avec Horskh où je m'engage plus, c'est plus énervé. Mais ça me va très bien comme ça ! Je suis depuis longtemps sur Horskh, c'est vraiment mon projet donc c'est vrai que l'implication n'est pas comparable.
Avez-vous un peu le temps de profiter du festival ?
Kanay : On profitera tout à l'heure, après les interviews. On veut voir Scarlxrd... Et je suis fan de Little Big.
Bastien : Il y avait plein de trucs que je voulais voir, mais on était tous les deux pris par nos autres groupes hier soir, on n'a pas dormi de la nuit parce qu'on faisait le trajet... Là, on va se poser un peu.
Kanay : A nous deux, on doit cumuler 1h45 de sommeil depuis hier. J'avais trop envie de voir Ic3peak aussi, j'adore !
Et pour finir, est-ce qu'on ne parlerait pas quand même un peu de l'album qui va sortir ?
Kanay : Les morceaux de l'album, tu les as entendus là, pendant le concert.
Bastien : On a fait pas mal de morceaux parmi lesquels on a choisi les meilleurs pour faire un album. On a aussi beaucoup de choses sous le coude pour la suite.
Kanay : Là, c'est un album qui sera peut-être un peu plus expérimental que les prochains, on tâtonne, c'est encore un peu la phase de recherches où on se demande ce qu'on veut faire, comment on veut faire, comment on mélange nos univers, etc. On peut peut-être dire que cet album est un essai, mais plus dans le sens littéraire qu'un "test". On y voit plus clair maintenant, on est beaucoup plus au fait de ce qu'on veut faire par la suite, comme par exemple plus incorporer nos personnages dans la musique... mais aussi au niveau des mélanges de styles que l'on va aborder. On veut vraiment rester dans la fusion des genres, ce côté "quelque chose"-metal.