Fin 2020, Laure Le Prunenec sortait Nereïd, magnifique deuxième album de RÏCÏNN, son projet à elle, pièce de théâtre antique et baroque aux accents mythologiques et où les émotions tournoient et affluent avec la violence d'un tempête. L'artiste, dont la voix résonne également chez IGORRR, CORPO MENTE ou ÖXXÖ XÖÖX a pris le temps de répondre à nos questions.
Crédit photo : Phöën Noir
Hello Laure. Merci de nous accorder de ton temps pour discuter de Nereïd. Que raconte l'album ? Est-ce une seule histoire ou chaque morceau en raconte une différente ?
Merci à vous pour l'intérêt que vous portez à ma musique ! Cet album est comme la reconstitution d’une incarnation sur terre en tant qu’humaine avec toutes les expériences traversées dans un élan apocalyptique avec toute une imagerie liée aux nymphes de la mer, au cortège de Poséidon, les Néréïdes.
Plusieurs titres évoquent la mythologie grecque, mais l'album reste très mystérieux puisque la langue que tu emploies t'appartient. Pourtant on y sent l'influences de nombreuses cultures et mythes. Lesquelles t'ont le plus inspirée ?
Comme je le disais dans la réponse précédente, j’ai une fascination pour les civilisations anciennes. Mon langage est sans doute la recherche de cette civilisation disparue, mais toujours avec le besoin d’une expression instinctive et spontanée.
On lit souvent que les musiciens travaillent sur le chant en dernier quand ils écrivent un morceau, mais j'ai l'impression que c'est tout le contraire dans RÏCÏNN, où il est "l'instrument" principal et la force motrice de l'album...
Je pars toujours d'une mélodie chantée intérieurement, et construis déjà 90 % des harmonies et toute l'atmosphère du morceau dans ma tête, et lorsque j’arrive devant mon micro, tout est assez fluide et se construit rapidement...
Comme tu vas puiser ton inspiration (notamment) dans des mythes anciens, te vois-tu plutôt dans le rôle d'une narratrice, une conteuse dont la voix servirait à transmettre ses histoires, ou t'appropries-tu ces histoires pour en faire les tiennes ?
J’ai toujours eu un rapport très “animal” avec la voix. Et ce qui m’intéresse par-dessus tout est de m’amuser avec les sons, les couleurs, tout est très visuel et textures. Je n’ai pas vraiment d’histoire à raconter à proprement dit. Je m’inonde et me noie, comme une contemplation de mes propres instincts et creuse jusqu’à ce que j’y puise le nectar. Une fois la musique faite, j’analyse ce qui est là et les mots et le sens m’apparaissent comme une évidence.
J.C. est un morceau un peu à part, plus léger que le reste de l'album, ce qui est très intrigant ! Peux-tu nous raconter son histoire ?
Ce morceau est parti d’une blague très personnelle que je garderai secrète à propos d’un super-héros, ou l’homme alpha qui serait le parfait mix entre Jean-Claude Van Damme et Jésus-Christ. J-C est une chanson sur le sentiment amoureux. Et je voulais m’amuser en utilisant des sons à la fois très smooth et analogiques ainsi qu’un orchestre romantique (Raphaël Verguin aux violoncelles et Mayline aux violons). Anthony Miranda s’est pris au jeu et a pu recréer l’ambiance que je cherchais, ainsi qu’avec le groove de Sylvain Bouvier à la batterie, tous les éléments étaient réunis pour recréer la musique d’un porno des années 80, et avant cette modulation finale, une intro complètement naïve et cheesy, à l’image d’une adolescente amoureuse.
L'importance des émotions et de la voix dans RÏCÏNN rend la musique très humaine... Un côté humain qui nous manque cruellement depuis quelques mois. Ce n'est pas vraiment une question, parce que la réponse est évidente, mais on a quand même super hâte de te retrouver sur scène. J'espère que l'annulation de la tournée d'IGORRR ne t'a pas trop déprimée…
Non ! J’ai fait un album ! La déprime était déjà là pour d’autres raisons de ma vie personnelle… Forcément la frustration de ne pas jouer était là… Nous venions de sortir Spirituality and Distorsion, on était tellement heureux de jouer ces morceaux. C’est surtout le fait que ça dure qui rend les choses très compliquées …. Quand j’ai entendu cette nouvelle, je me suis tout de suite dit "oh, c’est juste une autre facette de la fin des temps".
Il y a beaucoup de choeurs dans Nereïd, qui donnent un côté très dramatique à l'album. Comment les as-tu dirigés ? Etait-ce plus proche d'une direction de comédiens, d'une certaine manière, ou plus une question de techniques vocales ?
Oui il a fallu beaucoup de temps pour m’apprivoiser, hahaha ! Les chœurs sont en partie les miens. L’unique chorale que j’ai dirigée était pour le morceau d’intro Zéro avec un groupe de personnes rencontrées lors de mes masterclasses parisiennes (chez Jonesy studio). Ils ont été absolument remarquables et tout ceci enregistré par Erwan Castel, dans une église normande pour la réverb s’il vous plaît ! J’ai déjà eu l’occasion de diriger moi même trois chorales différentes dans le passé et à les réunir pour créer un grand ensemble, avec des personnes de tout âge qui n’avaient jamais vraiment chanté alors je me crois suffisamment persévérante pour créer de jolies polyphonies parfois et partager le chant est une très belle expérience.
L'album est très varié, plus que Lïan, pourtant la cohérence entre les deux est flagrante. Faut-il voir une forme de continuité ?
Je ne vois pas mon travail autrement qu’une continuité et surtout une évolution. Je ne cherche rien de spécial à part reproduire le plus sincèrement ce que j’entends et ce que je veux donner au monde.
L'artwork est très beau et illustre bien la musique : c'est élégant, à la fois rassurant et tumultueux, onirique aussi... Et avec l'humain au centre. Peux-tu nous en parler ? Raconte-t-il aussi quelque chose ?
Ces deux pochettes sont plutôt le résultat d’une rencontre amicale et artistique avec Svarta Photography. Elle est brillante, ingénieuse, nous avons de nombreux univers en commun ce qui rend le travail toujours très agréable et d’une rapidité assez fascinante. J’ai la chance d’être entourée de gens très talentueux, qui ont maintenant leur place dans mon processus de création.
Tu as récemment été invitée sur le dernier album de ROME. Peux-tu nous raconter cette expérience ?
Je suis une grande fan de l’album Nera, et j’ai eu la grande chance de croiser ROME lors d’ un concert d’IGORRR en Italie, leur loge était en face de la notre. Nous avons sympathisé avec Jérome et quelques jours plus tard il m’écrivait en me félicitant pour Lïan et me proposait un morceau lancinant à “la Brel”. J’étais comblée évidemment!
Merci pour tout. Souhaites-tu ajouter quelque chose pour conclure ?
Non à part merci!