Fin janvier, ROME sortait un nouvel album, le superbe Parlez-vous Hate? (chronique), dont le contenu toujours pessimiste et cinglant se cachait derrière des morceaux inhabituellement accrocheurs, presque pop-rock, des jeux de mots et clins d’œil d'un Jerome Reuter plus facétieux qu'à l'accoutumé, bien déterminé à dissimuler le poignard avec lequel il nous atteint en plein cœur. Nous avons été interroger l'artiste sur cet album, sorti seulement quelques mois après le précédent.
Ton nouvel album s'appelle Parlez-vous Hate?... Dirais-tu que la haine est le nouveau langage universel ? Le premier morceau, Shangri-Fa, évoque une utopie fasciste...
Haha, voilà une très bonne façon de présenter les choses ! On aurait dû dire ça dans le dossier de presse… Ce serait néanmoins un peu exagéré de dire que nous vivons dans une utopie fasciste, mais on s'y dirige malheureusement d'une certaine manière.
Tu est très productif en général, mais seulement quelques mois séparent Parlez-vous Hate? et The Lone Furrow. As-tu profité de la pandémie pour plus travailler ou est-ce ton rythme habituel ?
J'ai eu beaucoup plus de temps, oui. On a dû annuler une centaine de concerts jusqu'à présent. En fait, on peut même dire que j'ai été assez paresseux étant donné que l'écriture et l'enregistrement de The Lone Furrow était terminé avant la pandémie. Je n'ai pas de rythme "habituel", ça dépend vraiment des dates de tournées et autres variantes.
Avec ses chansons accrocheuses et ses jeux de mots, l'album est inhabituellement amusant, surtout après l'amertume de The Lone Furrow. Pourquoi ce changement de ton ? L'ironie permet-elle une meilleure critique ?
Elle le peut, c'est certain. J'aime changer des choses de temps en temps, je n'ai pas envie de toujours servir la même recette. J'ai vraiment apprécié travailler sur The Lone Furrow et l'album a pris beaucoup de temps à s'assembler correctement et à se finir. Le nouveau est bien plus spontané. Je suppose que le prochain se situera entre les deux... Ou sera quelque chose de totalement différent. Qui sait ?
Peux-tu déjà nous parler de ce prochain album ?
Je n'en sais rien pour le moment. J'ai quelques idées de chansons, mais je n'ai rien à dire dessus pour le moment. Parlez-vous Hate? s'est mis en place et enregistré de manière spontanée et est sorti dans la foulée donc je n'ai pas encore eu le temps de penser à autre chose. Mais je travaille toujours sur une chose ou une autre, et j'imagine que cette histoire de virus va nous tenir éloigné de notre van de tournée encore un moment... Du coup, je suppose que je vais enregistrer de nouvelles choses plus tard dans l'année mais je n'ai pas de plan précis pour l'instant. C'est vraiment compliqué de prévoir quoi que ce soit en ce moment, pour être honnête.
L'album est très accessible sur la forme et facile à aimer, plus léger, plus lumineux peut-être. As-tu voulu faire de Parlez-vous Hate? un album plus ouvert au monde ?
J'imagine que oui, il est très ouvert musicalement, alors qu'en terme de contenu il ne l'est pas du tout, haha. Quant à savoir si c'est un album plus léger ou lumineux, je ne commenterai pas mon travail, ça c'est votre boulot !
C'est une question un peu bizarre, car ce n'est pas franchement ce que ta musique dégage d'habitude... Mais en écoutant Parlez-vous Hate?, on peut se demander : es-tu quelqu'un de drôle ?
Je suis hilarant.
La scène neofolk a la réputation d'être politiquement "compliquée", pour rester poli. Tu exprimes peu tes opinions de manière explicite et pourtant ta musique semble de plus en plus politique. C'est évident avec Parlez-vous Hate?, où il est notamment question de nationalisme. Comment appréhendes-tu ces sujets dans ta musique ?
Bien au contraire, je pense avoir exprimé mes inclinaisons politiques un peu trop souvent. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de les répéter à chaque occasion. Ce serait juste me complaire dans une forme d'auto-justice nombriliste. Après tout, des affiliations politiques précises n'ont pas d'importance pour le travail que je fais et sa compréhension. Les penchants politiques d'un artiste ne sont généralement pas nécessaires pour apprécier son travail. Et il n'y a pas non plus besoin d'être membre de tel ou tel club politique pour écouter ma musique.
Ta discographie contient des albums nommés en Anglais, en Allemand, en Français, en Italien... Tu fais souvent référence à la culture européenne. Penses-tu qu'il existe encore des valeurs communes unissant ces peuples dans lesquelles tu te reconnais, ou il ne reste plus qu'à chanter l'effondrement de notre civilisation ?
Oui, bien sûr, je pense que nous partageons des croyances fondamentales et un héritage spirituel occidental intimement lié aux pays dans lesquels nous vivons. La civilisation occidentale a subi de nombreuses attaques récemment, surtout venant de gens qui n'ont aucune idée de ce que cela signifie poétiquement ou métaphysiquement. C'est un héritage culturel ouvert et en constante expansion qui nous a permis de produire des modes de vie uniques, des systèmes de lois et de gouvernements ainsi que des œuvres d'art exceptionnelles. Ce sont les liens qui nous unissent à nos voisins et que l'on oublie trop souvent car on les considère comme acquis. Plus que tout, je pense que nous ne devons surtout pas abandonner la défense de cet héritage à une bande de bigots à l'esprit étroit.
En clin d’œil, à Springsteen, tu chantes être "Born in the E.U." tout en nous donnant l'impression de chanter la fin de notre monde. Pour conclure sur une note joyeuse, penses-tu qu'au rythme où vont les choses, tu auras l'occasion de "mourir en Union Européenne" ?
Je ne pense pas qu'une réponse honnête à cette question offrirait une "note joyeuse" sur laquelle conclure.
Merci beaucoup pour ton temps. Voudrais-tu ajouter quelque chose ?
Non. Merci à vous.