En plus d'être un des projets metal indus actuels les plus intéressants à suivre en France, Shaârghot est aussi le nom d'une créature inquiétante venue tout droit d'un autre monde. En attendant le premier album de la bête, son créateur Etienne revient pour nous sur sa création.
Pour commencer, peux-tu nous présenter Shaârghot ?
Shaârghot est un projet à la fois musical et visuel que j'ai créé il y'a quatre ans. Musicalement, parmi les influences les plus évidents je peux te citer Rammstein, Punish Yourself, Hocico... Mais aussi des groupes plus inattendus : si je te dis que je m'inspire de Gorillaz par exemple, tu pourras toujours chercher, je ne pense pas que tu verras le rapport ! Je voulais créer un truc qui ait un visuel qui envoie... Bon, après quand j'ai découvert Punish Yourself j'ai un peu pleuré parce qu'ils avaient utilisé le bodypaint avant, et que je pourrai pas faire mieux... Mais finalement, j'ai décidé moi aussi d'en utiliser, tant pis !
Tu décris un projet également visuel. Quelles sont tes influences de ce côté ?
Je suis entré très tôt dans les univers post-apocalyptiques... Mon père avait pas mal de BD dans ce genre, et quand j'avais trois ans j'aimais bien regarder les dessins dedans. Bon, ça ne devait pas être très sain pour un gosse de cet âge de regarder des gens se faire manger et tout, suffit de voir le résultat ! Sinon, oui je m'inspire de pas mal de films de science-fiction, mais même si mon univers n'est pas d'une originalité folle j'ai essayé de créer le plus possible "mon truc". Ce que j'aime bien avec les univers post-apo, c'est qu'ils permettent de voir comment les hommes se comporteraient après une catastrophe. Ça fait ressortir tous leurs côtés sombres dont ils n'étaient pas conscients, ce qu'il y'a de plus bestial en eux. Je pense à la BD Neige par exemple, où le monde vit dans une sorte hiver nucléaire et retombe dans une espèce de Moyen-Âge... Ironiquement, dans un univers futuriste post-apocalyptique, on retrouve des choses très primitives : tu peux avoir un mec avec une machine super perfectionnée, et à coté, des types en peaux de bêtes avec des arcs et des flèches.
Qui est vraiment le Shaârghot ?
Alors le Shaârghot, c'est une créature qui fait partie de l'univers que je crée : une expérience scientifique qui a mal tourné et qui s'est libérée. Elle travaillait dans la surveillance de la population, d'où le logo en forme d'oeil... Je suis moi-même monteur, et donc passionné d'images, j'adore les mélanger entre elles... Bref, elle vient d'un monde très fermé, et contrairement au reste de la population, elle est libre, peut se permettre tout et n'importe quoi, elle a complètement disjoncté. Et elle peut voyager entre les mondes, ce qui explique qu'elle se retrouve parmi nous aujourd'hui. Autre chose : sa couleur noire n'est pas de la peinture, c'est une matière visqueuse, comme une seconde peau : le Shaârghot n'est donc jamais vraiment nu, même si il en a l'air ! Pour créer cette silhouette noire, j'ai fait des recherches sur des peurs enfantines, les miennes et celles de gens autour de moi, des choses enfouies, et ça a donné cette silhouette noire, pas très bien définie. Elle porte des lunettes rondes parce que j'ai des images de personnages malsains et maléfiques cachés derrière des lunettes qui me viennent en tête, mais surtout parce que le Shaârghot n'a plus d'yeux, et du coup il collectionne ceux des gens !
Tu parlais de BD. Connais-tu Sandman de Neil Gaiman ? Un personnage y porte des lunettes noires car il a des bouches à la place des yeux et vole les yeux de ses victimes...
Sérieux ? Cool ! Non, je ne connaissais pas... Bravo, maintenant on va m'accuser de plagiat ! En plus j'avais créé un masque une fois avec des mâchoires à la place des yeux pour la Zombie Walk... Je trouve qu'il y a quelque chose de très intéressant avec les bouches, les mâchoires. Je me suis d'ailleurs bricolé une espèce de muselière avec une loupe et des dents pour le clip que je tourne la semaine prochaine... Les mâchoires sont à la fois attirantes et menaçantes. Une bouche, c'est ce qui permet les interactions en société, mais ça sert aussi à mordre... Au final, les rapports sociaux ont ce côté très cannibale : discuter avec quelqu'un, c'est un peu comme le manger...
Es-tu familier avec le phénomène des paralysies du sommeil ? Les gens qui en souffrent voient apparaître une silhouette noire immobile, parfois portant un chapeau...
C'est fou que tu m'en parles, parce que c'est quelque chose que je ne connaissais pas du tout et que j'ai découvert il y a seulement quelques mois car ma copine y est sujette. Tant mieux, quelque part, ça veut dire que le Shaârghot évoque bien quelque chose d'inquiétant, d'enfoui dans l'inconscient... Mais non, quand j'ai créé le projet il y'a quatre ans je ne connaissais pas du tout ces paralysies...
En général, les créatures finissent par faire du pâté de leurs créateurs... Arrives-tu à garder le contrôle sur le Shaârghot ?
Oh, tu sais, je ne suis pas son créateur. Je suis juste le mec qui a inventé cet univers : mon corps ne fait que servir de vaisseau au Shaarghôt le temps des concerts... On a cet espèce de rapport schizophrène, on se croise mais c'est tout. Enfin, à bien y réfléchir, je pense quand même qu'il prend plus ou moins possession de mon esprit : il suffit de voir la déco chez moi ! Il me bouffe complètement même : il est omniprésent à la maison, avec toutes les peintures et les objets que je fabrique liés au projet, les flyers, le carton de tee-shirt...
Il y'a pas mal d'humour (noir) dans les interventions du Shaârghot. Garder cette distance te paraît nécessaire ?
Oui, très. Je fais les choses très sérieusement, mais sans me prendre au sérieux. Après tout, je suis un mec qui vit dans 17 mètres carrés et qui se peint en noir, hein ! Je prends des petits bouts de trucs pour les assembler ensemble, et écouter le résultat tranquille dans ma chambre, histoire de citer Stupeflip... Et puis le Shaârghot est une créature qui a complètement disjoncté, il contraste avec l'univers très froid et carré dont il vient, il est totalement fou et incontrôlable !
Comment as-tu monté le line-up actuel ?
Au début, on a créé le projet à deux avec un pote guitariste. Il m'a aidé sur l'album, c'est un super guitariste... Mais au bout d'un moment, travailler sur un groupe d'indus ça le branchait moins. Il ne se sentait pas de continuer l'aventure sur scène et est parti de son côté sur un projet black metal... J'ai rencontré beaucoup de musiciens pour monter ce line-up, et ça a été compliqué parce que des mecs avec une tête de rock star y'en a plein, mais des musiciens c'est autre chose... Bruno et Olivier m'ont rejoint, ils ont tous les deux de la bouteille et du coup leurs conseils m'apportent beaucoup. Bruno est dans le milieu depuis un moment, et Olivier, mon batteur, joue dans Jesus Volt : ils ont ouvert pour ZZ Top sur une de leurs tournées françaises récentes, et il a pas mal joué à l'étranger, notamment en Allemagne. Sur scène, tu peux voir qu'ils sont tous les deux recouverts de la même substance noire que le Shaârghot, ils font donc partie du même univers. Le Shaârghot les appelle d'ailleurs ses Shadows.
Le groupe a fait très peu de concerts, et pourtant tu sembles très à l'aise sur scène. As-tu longtemps répété devant ton miroir ?
Haha ! En fait avant Shaârghot, j'étais batteur à la base, et déjà à l'époque je tenais pas en place, je faisais n'importe quoi sur scène, au point que la batterie finissait presque sur les premiers rangs de la fosse ! J'ai aussi regardé beaucoup de lives, j'aime les shows un peu mégalos, spectaculaires, à la Punish Yourself par exemple... Du coup, j'essaye de reproduire ce qui me plait, ce que j'aurais envie de voir moi ! Pour le live, on retravaille un peu le mixage de nos morceaux pour qu'ils ne sonnent pas tout à fait pareil que ceux en studio, ce qui n'est pas évident avec les musiques industrielles jouées en live... On a huit pistes avec lesquelles les ingés sons peuvent bricoler, selon les configurations de salles, le public, etc... Il y'a des morceaux où par exemple toutes les percussions sont des samples, mais en live Olivier va jouer de la batterie en plus pour apporter un côté plus humain, plus organique, parce que l'indus c'est quand même quelque chose de très froid. Ça me paraît important d'apporter cette forme d'humanité, de vie, en live.
L'EP Mad Party date de 2013... Tu mentionnais un album tout à l'heure. Est-il prêt ?
Oui, tout à fait. Il sortira en septembre et contiendra douze morceaux. Il devait y'en avoir treize, mais ça s'est cassé la gueule sur le treizième... Les choses ont été un peu longues parce que je suis perfectionniste : un mec qui me dit qu'il peut faire le mixage d'un morceau en quelques heures, je le crois pas ! Surtout avec l'indus, qui est un style quand même très produit. Ou bien il a de l'or dans les doigts et c'est un génie... Comme je n'avais pas de deadline, j'ai pu bien le peaufiner, je suis un maniaque des prod impeccables, genre quand t'écoutes Mutter de Rammstein : c'est juste parfait niveau production ! L'album sortira physiquement, j'aime l'objet du disque, c'est mon côté collectionneur : j'aime posséder l'objet même si au final je vais le plus souvent écouter la musique sur mon ordinateur...
Le morceau Clock's Waltz sonne plus sombre, plus lent que le reste. Est-ce une direction vers laquelle tu comptes aller plus souvent ?
Oh, je ne ferme la porte à aucune direction. C'est vrai que les autres morceaux ont ce côté plus dancefloor, mais y'a plein de trucs qui peuvent me tenter. Si j'avais eu envie de faire du jazz indus, pourquoi pas ? On verra par la suite, mais j'aimerais bien tester pour voir ce que ça donne de mélanger de la techno hardcore avec du metal pour un ou deux morceaux... On verra bien !
Peux-tu nous parler du clip que tu tournes la semaine prochaine ?
Comme je n'ai pas encore trouvé le moyen de me dédoubler, je ne le réalise pas moi-même, un ami s'en chargera. Ça sera pour le morceau Uman Iz Jaws... Je ne sais pas trop ce que je peux te raconter dessus vu que j'aime bien improviser et que je n'ai pas vraiment de scénario précis, ou de planning genre "de midi à midi et demi on tourne tel plan". J'ai bricolé la muselière dont je te parlais tout à l'heure pour le clip, on y retrouvera donc des dents et des mâchoires ! On va tourner ça en petite équipe dans la vieille cave que j'ai utilisée pour faire plusieurs photos déjà.
Vois-tu Shaârghot comme un projet "isolé", ou envisages-tu des collaborations avec d'autres groupes ?
Pourquoi pas ? Comme je t'ai dit, je ne suis fermé à rien. Je dois justement faire un remix pour Kamera Obscura là, et c'est une expérience nouvelle pour moi. Je sais composer un morceau, mais le remixer je ne sais pas encore comment je vais m'en tirer, je verrai bien ! Sinon, faire monter d'autres gens sur scène, pourquoi pas... Et faire monter le Shaârghot sur la scène d'un autre groupe, pourquoi pas non plus : après tout, il tape déjà l'incruste parmi les humains !
Comment vois-tu l'avenir de Shaârghot à long terme ?
Comment je me projette dans l'avenir ? Et bien avec un trébuchet ! Plus sérieusement, je ne sais pas trop. Je compte continuer à faire des albums et des concerts, ça c'est sûr... Notamment à l'étranger, parce que même si le public français qui vient aux concerts est super, la scène française goth / metal / indus a malheureusement ses limites...