Votre album sort officiellement dans quelques minutes, vous venez de faire votre release-party... Comment vous sentez-vous ?
MC : Ça va, ça va...
Fanny : Released, justement, en anglais. On se sent relâchées, heureuses de sortir cet album.
MC : Je voudrais dire que je suis très très fière de ce disque. On n'attend qu'une chose, c'est de le montrer au monde.
Alice : Je suis d'accord avec Marie. Je me sens sur une montagne-russe émotionnelle. On a fait l'album, c'est passé super vite et du coup on peut choisir de se poser un peu et prendre le recul de se dire "on a fait un putain de truc !", mais on est aussi obligées de regarder un peu devant ce qui arrive : on a des concerts et une tournée qui arrive très vite. Ce qui est dur dans la musique, ce sont les "up and downs" en fait. Quand tu fais un truc bien, tu te sens le roi du monde et quand tu fais un truc qui te semble un peu moins bien, tu te sens comme la pire des merdes. T'es le roi du monde, puis la pire des merdes, puis le roi du monde, puis la pire des merdes...
Pourquoi la pire des merdes ?
Alice : Tu vois ce que je veux dire, quand tu penses que tu as foiré un concert par exemple, tu te dis que c'est la fin du monde alors que quand ça se passe bien c'est génial. Et d'un jour sur l'autre, ça peut complètement changer pour une raison que j'ignore encore...
Fanny : Il y a des raisons qu'on connait, quand même ! On n'a par exemple pas passé le même concert samedi dernier pour notre release à Nogent-le-Rotrou et aujourd'hui par exemple. À Nogent, on devait tout organiser, on a eu des problèmes techniques, il y a eu des problèmes physiques. Au sein même du groupe, on peut passer des concerts totalement différents. Par exemple, perso, samedi j'ai souffert alors que ce soir je me suis éclatée !
Alice : Alors que moi c'était complètement l'inverse, c'est marrant ! On va y arriver, un jour... Tu sais, parfois, c'est débile hein, mais t'as juste un feeling qui te dit "je le sens pas, là". Et une fois que tu t'es dit ça, c'est mort. Suffit que tu te dises "je le sens pas"...
MC : Tu sais pourquoi tu le sentais pas ce soir ? Parce que Fanny et moi on était bien ! J'ai remarqué que souvent quand Fanny et moi on n'est pas en forme, toi t'es en mode "c'est génial !", et là ce soir c'est toi qui étais en galère !
Alice : Haha, c'est vrai ! Il faut qu'on se trouve.
Votre premier EP était sorti il y a pile un an, un 14 février également. Pourquoi cette date ?
MC : Alors, connais-tu la petite histoire ? Enfin, pour être honnêtes, on l'a su il n'y a pas longtemps, mais à la base le 14 février ce sont les lupercales. C'est la fête des louves chez les Romains. On ne le savait pas, mais c'est une fête païenne. Ils fêtaient la louve qui a enfanté Remus et Romulus, et c'était une grosse fête païenne en mode grosse beuverie. Et un jour les chrétiens, avec leurs évêques là, ont dit "oulala, c'est trop païen tout ça, on va mettre un Saint à la place ! Qui est-ce qu'on va mettre ? Allez, plouf-plouf, Saint Valentin". Mais à la base, c'était les lupercales, et moi je suis très fière de sortir notre album aux lupercales.
Donc tout était calculé ?
MC : Pas trop en fait. Mais tu le diras pas ! (promis, ndlr)
Alice : Mais il y a une ironie avec la Saint Valentin quand même.
MC : Oui, en gros, c'est pour tomber amoureux de SHEWOLF.
C'est drôle cette histoire de loups. Vous pouvez m'en parler un peu plus ?
Alice : Pour la petite histoire, Don, un de nos plus fidèles fans, travaille pour un centre de protection des loups aux Etats-Unis. C'est un type formidable, passionné à mort. C'est lui qui nous a signalé cette histoire de Lupercales. Cette fête fait référence à Rémus et Romulus, qui ont été sauvés par une prostituée. La prostituée qui se fait mère... encore un symbole qui nous rappelle que les femmes ont toutes ces choses en elles - désir/pouvoir/besoin sexuel et instinct/pouvoir/besoin maternel - que ces pulsions marchent ensemble, sont aussi belles l'une que l'autre et qu'il faut les respecter comme un tout. Que les hommes arrêtent enfin de se sentir coupables de pleurer et que les femmes arrêtent enfin de se sentir coupable de désirer, et je prédis la fin des guerres voire de la famine dans le monde...
C'est vrai qu'une chanson comme Au Nom du Pair, ça ne fait pas franchement niaiseries de la Saint Valentin...
Fanny : Ah, pas du tout ! Mais on pourrait pousser et dire qu'on est anti-consommation débile et qu'on essaye de battre la fête de l'amour du commerce. On va essayer de faire passer la fête de SHEWOLF au-dessus de la Saint Valentin !
À propos de Au Nom du Pair, c'est votre seul titre en français. Comment vous est venu ce choix ?
Alice : Ça a maturé au fil du temps. On avait dû en parler vite fait entre nous, en se disant que peut-être qu'un jour on ferait un titre en français. Beaucoup d'amis nous ont dit "nous ça nous fait chier l'anglais, on comprend rien aux paroles !". C'est bien je trouve, et en même temps c'est très français ce truc de vouloir comprendre les paroles pour être dans la musique, les Anglais ils s'en foutent : pour eux c'est la musique qui compte. C'est vrai qu'en France, on a une tradition de la chanson à texte. J'ai l'impression que les gens ont gardé ça, ils veulent savoir ce qui se raconte. Et c'est bien, c'est une bonne exigence. Il y a eu ça, et le choix peut-être un peu stratégique de se dire que ça serait cool si on veut passer à la radio de faire un titre en français...
MC : Au final, celui-là, j'suis pas sûre qu'il passera à la radio !
Alice : Oui, c'est vrai... Mais moi j'aime bien écrire en français aussi.
MC : Moi j'adore. On l'a écrite toutes les deux sur un coin de table.
Alice : Quand on aime écrire, on aime écrire dans sa langue. Du coup, le défi c'est de se dire "putain, celle-là, si on la fait en Français, on a intérêt à bien l'écrire, sinon elle va sonner tellement mal" !
MC : Et le titre a été trouvé par Fanny. C'est vraiment un travail d'équipe !
Des titres comme Au Nom du Pair ou Childhood amènent une révolte qui n'était pas aussi présente sur le premier EP. Comment est venue cette réaction face au monde ?
MC : À la base, SHEWOLF, c'est Alice. Et quand elle a commencé le groupe, comme tout le monde, elle y a exprimé des histoires personnelles. Et après, je suis arrivée dans le groupe et j'avais déjà dix ans de musique derrière moi donc je n'avais plus forcément envie de parler de moi mais de parler plutôt de choses plus politiques, plus générales et je pense qu'on a fusionné. Du coup, Sorry, not Sorry oscille vraiment entre des chansons très intimistes qui sont plus du fait d'Alice, des chansons très politiques comme Childhood qui sont mes compos à moi et des chansons comme Au Nom du Pair qui sont un mix des deux. Et le prochain album sera peut-être plus dans la revendication, parce qu'au début on parle de nous parce qu'on en a besoin mais plus le groupe avancera, plus je pense qu'on parlera de choses en dehors de nous.
Alice : Je suis tout à fait d'accord. Je pense que c'est aussi la marche des choses chez tout le monde : on part de nous, de nos sentiments, et après on généralise au monde et c'est là que ça devient politique. Je ne crois pas qu'il y ait une frontière hermétique entre le psychologique et le politique, tout est dans tout et réciproquement. Pour Au Nom du Pair, c'est rigolo parce qu'au début ce n'était pas du tout ça les paroles mais il s'est passé quelque chose dans notre vie qui fait que du jour au lendemain on a changé toutes les paroles, on a enregistré comme ça, et c'est super.
Le thème de la culpabilité semble très présent dans Sorry, not Sorry et revient souvent dans les titres des chansons (Would You Stand it if I Forgave You, Apology, etc...). Pouvez-vous nous en parler ? La culpabilité de quoi ? Envers qui ?
Alice : Oui, l'album tourne pas mal autour de la culpabilité et nous en sommes conscientes. En fait, c'est en faisant le constat de cet omniprésence de la problématique de la faute que nous avons choisi le titre Sorry, not Sorry ! En définitive, ce n'est pas tant le sentiment de culpabilité que la volonté de s'en défaire qui caractérise l'album.
Maintenant, pourquoi ce sentiment de faute ? Je n'ai pas encore creusé toutes les raisons psychanalytiques de cet état de fait mais j'ai, depuis l'enfance, toujours eu tendance à me sentir coupable, pour tout et rien. Si j'avais quelque chose de plus qu'un autre, une bonne note, un talent, un bien matériel, une situation familiale plus aisée...je me sentais mal, j'avais l'impression de ne pas le mériter. Pour compenser, j'ai toujours eu un côté "trop gentil", un côté sacrificiel. J'ai toujours cette tendance à exiger de moi plus que ce que je n'exige des autres en termes d'intégrité morale, je laisse passer beaucoup de choses, peut-être parce que je pense que j'ai la force d'encaisser les coups bas, et parce que j'ai peur des conflits, de l'abandon. Je pense toujours que c'est à moi de prendre sur moi. Si quelqu'un autour de moi fait la gueule, je me sens immédiatement visée, je me dis que l'on m'en veut. Je me sens coupable. Comme j'ai en même temps un côté tête brûlée, les gens pensent parfois que rien ne m'atteint, alors qu'au fond je suis une âme sensible qui se remet toujours en cause, qui examine ce qu'elle a bien pu faire de mal, ou mal faire, alors que de l'extérieur la situation mériterait juste un bon FUCK OFF de ma part. A cause de ce côté trop gentil je me suis souvent retrouvée dans des relations très intenses assez malsaines ou je jouais un étrange rôle à la fois de protectrice et d'amie piégée dans sa loyauté, sur laquelle on peut projeter toutes ses angoisses d'une manière très violente, car on sait qu'elle pardonne toujours, que son amour est inconditionnel. J'ai pardonné les pires crasses d'ami-e-s ou de petits amis sans hésiter, parce que je voulais être "au-dessus de ça" (de la rancune, de la haine...). Certes, le pardon est une force (et certaines personnes minables ne veulent pas que vous soyez fortes, elles veulent vous voir devenir aussi vicieuses qu'elles l'ont été elles-mêmes avec vous, comme une preuve qu'elle vous ont blessé. C'est le sens de Would you stand it if I forgave you.
Le pardon est une force, mais plus je fais de l'art et plus je comprends la valeur salvatrice et saine de la colère qui s'exprime. C'est vers ça que je veux aller, je veux passer du "sorry" au "not sorry". Parce qu'au fond je m'excuse beaucoup sans trop savoir pourquoi. Juste pour qu'on me foute la paix.
A une échelle plus sociale, je pense qu'en tant que femmes, on ne peut ignorer ce thème de la culpabilité. Eve est coupable de croquer la pomme issue de l'arbre de la connaissance, elle est coupable d'accéder à un état de conscience supérieur, coupable d'avoir voulu savoir. Dans nos cultures judéo-chrétienne, l'acte fondateur de l'humanité est un pêché et nous sommes les descendants d'une faute qui a un sexe. Eve, la femme coupable, comme les sorcières après elle, ont en commun une intelligence hors du commun, un rapport intime avec la nature (les règles, les plantes, les potions magiques...), une soif de savoir qui en soi est extrêmement positive (la curiosité nous a emmenés sur la lune...) mais qui est présentée comme une tentation pour le mal car ce penchant pour la vie, pour la conscience, fait peur. Nous avons donc profité de cet album pour signifier à ceux qui ne l'auraient pas encore intégré (et tout le monde en prend pour son grade) que nous n'avons pas l'intention de nous racheter, que nous ne nous excusons pas pour Eve, que nous continuerons à faire de la musique, à bouger comme des diables sur scène et à nous fringuer comme bon nous semble même si "le rock c'est pas pour les filles". NOT SORRY.
Sur l'album, aucun des titres ne provient de votre premier EP. Pourquoi ?
MC : Parce que c'est un album, il faut qu'il soit neuf !
Alice : Nous on avance, hein, c'est bon ! On jette et puis on repart !
MC : Et puis on est un groupe de filles, hein, et les filles ça fonctionne différemment des garçons ! Du coup, nous on ne fait pas du revu et du passé quoi, on avance !
Mais vous avez joué ce soir des morceaux de l'EP !
MC : Ah, oui ! Parce qu'en même temps, ils sont bien ! Et on n'a pas joué tout l'EP, juste trois morceaux.
Alice : On a maintenant assez de morceaux pour avoir le luxe de choisir la setlist ce soir. On ne joue pas tous les titres qu'on a, mais tout ceux qu'on préfère dans ceux qu'on a. C'est quand même cool.
MC : D'ailleurs, je ne sais pas si tu as remarqué, mais on n'a pas joué notre single, Would You Stand It !
Fanny : Personne ne l'a remarqué ! Personne ne l'a demandée, haha !
MC : Tu veux savoir pourquoi ? Tu veux la réponse commerciale ou la vraie raison ? Alors la version commerciale, c'est parce qu'on veut laisser une frustration au public, pour qu'il veuille revenir nous voir... Mais la vraie raison c'est qu'on ne la maîtrise pas encore assez en live ! Elle est un peu molle, et les gens... s'en vont... quand on la chante... (tout le monde éclate de rire)
Alice : Non, mais même, quand tu veux jouer un morceau mais que tu sens que tu peux pas vraiment le vivre parce que t'es encore trop dans la technique, c'est pas l'idéal. On va la travailler, et on la fera quand on sera prête.
Quelles sont vos inspirations musicales ? Vous avez cette étiquette "grunge" et pourtant, votre musique ne ressemble pas tant que ça aux classiques du genre...
MC : Il y a vraiment un mélange de styles. On est toutes les trois dans des genres de musiques différents. Alice est très dans le grunge, moi j'ai d'autres influences, Fanny aussi...
Fanny : Totalement différentes, on peut le dire !
MC : Par exemple, allez, je vais te l'avouer pour toi et tes milliers de lecteurs, mais c'est vraiment un scoop, hein ! Childhood, c'est une compo que j'avais faite il y a longtemps pour un autre de mes groupes. Et en fait je me suis dit "j'en ai marre, faut que je fasse un tube !". Et donc j'ai écouté NIRVANA... Et je ne suis pas très fan de NIRVANA, c'est pas mon truc. Bref, j'ai examiné NIRVANA alors que je n'aime même pas NIRVANA, mais il ne faut pas le dire (ok, on ne le dira pas, promis ndlr), et après j'ai fait Childhood. Qui ne ressemble pas du tout à NIRVANA. Enfin, j'espère. Alors que j'ai vraiment essayé de la faire en passant à un de leur tube. On a tellement d'influences... Moi, j'adore NINE INCH NAILS, j'adore MINISTRY, PJ HARVEY, etc... Je pense qu'on aura toujours ce mélange. Quand tu écoutes un morceau et que tu sens la pâte d'une influence, c'est peut-être dur ce que je vais dire, mais c'est peut-être que le musicien n'a pas forcément grand chose à dire. Si un musicien est influencé mais qu'il a des choses à dire, une âme à mettre, alors l'influence va être effacée par l'âme et le coeur qu'il a à y mettre. Si j'ai envie d'imiter quelqu'un, je ne suis pas sûre d'y arriver parce que je vais avoir mon "moi" qui va vouloir dire quelque chose d'autre en plus de l'influence. Les influences c'est super pour évoluer. J'adore PORTISHEAD, j'adorerais faire un morceau à la PORTISHEAD, mais j'en serais incapable. Ils ont leur son, c'est eux. Mais en pensant à PORTISHEAD, peut-être que je ferais quelque chose qui sera un mix de moi, ou nous, et leur musique. Je sais pas si c'est clair, mais c'est aussi la chienlit de faire les interviews après avoir picolé, quand on dit n'importe quoi, et voilà !
Alice : Ça dépend si tes influences tu les as assimilées ou pas. Et nos influences à toutes, ce sont des groupes qu'on écoute depuis qu'on est ados, on a eu le temps de les assimiler, de les digérer et les recracher dans une autre forme, peut-être. C'est débile de vivre sur une nostalgie... Mais d'un autre côté, moi je suis très fan de NIRVANA perso !
MC : En plus le grunge, y'a pas 150 groupes. Pour moi, le grunge, c'est jouer en pyjama en fait. C'est ça le grunge. Ça veut dire quoi grunge ? C'est du rock garage ?
Alice : Je pense que c'est la dynamique. C'est en ça qu'on dit que les PIXIES sont des pionniers, c'est les premiers à avoir joué sur ces contrastes entre des moments très calmes et d'autres très énervés.
Votre line-up a pas mal changé depuis l'an dernier. Est-ce que ça vous convient ? Est-ce amené à évoluer ?
MC : Ça nous convient. Il y a des gens qui vont aimer ce côté power-trio, mais d'autres gens disent que Diane, notre autre guitariste, manque parce qu'ils aimaient bien le côté psychédélique et guitar hero. Ça dépend des gens. Y'a des morceaux où Diane manque parce qu'elle apportait une énergie folle, c'était une bête de scène...
Fanny : Là, dans les concerts que je vis, elle ne me manque plus. Ça a été difficile d'intégrer son départ parce que j'adore son jeu, elle a un côté magique à la guitare qu'elle maîtrise, elle a une technique de fou. Après, moi je suis très contente et j'adore le son d'Alice à la guitare et je pense que le power trio va exploser à force d'expérience et de routine sur nos instruments. On manque chacune un peu d'expérience dans nos instruments et du coup je pense que ça nous laisse un champ d'évolution énorme. Je trouve que c'est hyper intéressant pour des gens qui nous suivent actuellement : d'ici un ou deux ans, ils vont voir un changement énorme. Que ce soit moi à la basse, que j'ai commencée il y a un an et demi / deux ans, Alice qui fait un boulot de malade pour maîtriser le chant et la guitare qu'elle n'avait pas il y a moins d'un an, et Marie-Claude qui a commencé la batterie avec SHEWOLF. On est en train de se faire de mûrir et de grandir ensemble et je trouve ça vraiment cool. On fait toujours des concerts qui sont imparfaits. Si je regarde les groupes avec qui on a joué ce soit, ils sont carrément plus calés que nous je trouve techniquement. Mais après, je pense qu'on donne beaucoup d'autres choses et ce sera trop bien dans une petite année, quand on va vraiment être à l'aise à 100% sur nos instruments respectifs et qu'on pourra se lâcher !
Alice : Oui, et il y a quelque chose de compact dans ce power trio que j'aime bien. On n'est plus que trois, mais c'est tout bête : on est trois qui vivons dans le même village. On peut répéter tous les jours, il n'y a pas à se poser des questions, téléphoner à quelqu'un qui est à Paris, galérer pour se retrouver. Je trouve ça vraiment bien.
Ce côté fait-maison de votre album, qui lui permet de transpirer de vie, est-il lié à des contraintes matérielles, ou même si vous aviez eu le choix vous l'auriez gardé ?
Fanny : C'est vraiment un mélange. Malheureusement, si on n'avait eu les moyens, peut-être qu'on serait allée plus facilement vers du mastering, la petite touche finale, on aurait payé pour. Il y a vraiment du 50-50 : on a des moyens extrêmement restreints, on est passés par du financement participatif qui ne nous a pas seulement aidé mais nous a permis vraiment de faire l'album et tout ce qu'il y a autour comme le merch. Ça va permettre de combler les manques qu'on a eu : on est à pertes après nos deux release-party, on les paye de notre poche, donc nos contributeurs nous aident aujourd'hui même si on espère que cette situation ne durera pas. En même temps, il y a un gros choix, c'est quelque chose que j'aime : tout faire de A à Z, utiliser nos compétences à nous. On en bave, c'est dur, parce qu'on n'est pas super bonnes sur des trucs comme la communication visuelle, qu'on apprend. Alice et moi on a mis les mains dedans parce que Marie-Claude avait déjà enchaîné l'enregistrement, le mix et le mastering de l'album alors on a pris le relai. C'est génial parce que ça nous permet d'évoluer, d'apprendre plein de nouvelles compétences, et de faire des trucs bruts qui ne sont pas peaufinés, qui sont plein d'erreurs mais c'est pas grave. Ça nous parle, et ça parle aux gens je pense. Quand on en parle, on les vit tous les jours ces problèmes qu'on a. Ça donne un truc plein d'énergie et plein d'imperfections, à l'image de la vie.
MC : Ce qui est important aussi de comprendre, c'est que SHEWOLF ce n'est pas qu'un groupe. On a habité à Paris, on a fait notre vie, et on a décidé toutes les trois de déménager dans un petit village de 300 habitants dans le Perche. On a essayé de faire notre home-studio, de faire notre jus de pomme, de faire des fêtes de village, on a décidé de faire plein de choses. Quand on part en tournée, un des problèmes est de savoir qui va garder les poules pendant la tournée ! Les pédales de disto de Alice et Fanny pour la guitare et la basse, ce sont des pédales que notre ami Laurent a fait, ce sont des pédales pour SHEWOLF. On essaye de tout faire nous-même, dans un projet machiavélique un jour d'avoir nos amplis, nos pieds, etc... On aimerait recréer la musique au sens analogique et brut du même. On n'est pas juste un groupe de musique : on vit la musique...
Alice : On met les mains dedans, c'est un projet de vie.
MC : On est toutes les trois saoulées par la société capitaliste. J'ai eu des groupes et je devais travailler pour faire de la musique, du coup j'avais très peu de temps pour en faire vraiment. SHEWOLF, c'est le premier groupe où j'ai les ovaires de dire que je me barre de Paris pour ne faire que de la musique ! Je pense que c'est important de donner aux gens une vision de vie... J'ai plein de potes qui bossent dans des super boites mais n'ont jamais le temps, ils sont en recherche de temps, ils courent après... Et si avec SHEWOLF on peut leur donner envie de quitter leur boulot pour vivre leur putain de passion, même s'ils gagneront moins de thunes... On est dans un village de 300 habitants là, mais on a plein de potes. Moi j'ai plus de vie sociale dans mon vieux village où y'a rien et où ils votent 60% FN qu'à Paris ! J'ai vécu douze ans à Paris, j'y ai eu moins de vie sociale. Enfin, ce que je veux dire, c'est juste qu'il n'y a pas que de la musique dans SHEWOLF.
Alice : En même temps, c'est un vrai pari. Dans le monde dans lequel on vit, on a tellement l'habitude d'entendre des trucs archi-produits... Bien sûr que demain si on envoie ce qu'on fait à telle radio ou tel blog, ils vont écouter vingt secondes. Déjà, ça n'a rien à voir avec le son qu'on entend tous les jours à la radio, et putain le mec faut vraiment qu'il en veuille pour tendre l'oreille et se dire "attends, j'écoute, il y a quand même quelque chose derrière".
Fanny : C'est vrai qu'on n'a pas tellement de réussites sur les blogs !
Alice : Non, mais voilà : on pourrait aussi se dire qu'on fait comme tout le monde, à galérer pour mettre de l'argent de côté et aller dans un studio pro... Et encore, ça serait peut-être même les plus pourris ! Donc on essaye de proposer autre chose à nos risques et périls.
Tout ce que vous dites là renvoie beaucoup au chouette petit texte dans le livret de l'album. Qui l'a écrit ? C'est collectif ?
MC : Alice l'a écrit, genre entre minuit 26 et deux heures du mat'. Elle l'a écrit en un trait, il y a plein de trucs qu'on voulait rajouter ou changer mais on ne l'a pas fait parce qu'on s'est dit que c'était vraiment un jet. Alice bosse beaucoup. Trop. Et n'importe comment : à quatre heures du mat'... Et il est cool ce texte, il nous ressemble : c'est vraiment ce qu'on vit actuellement. Parfois on rentre de répétitions et Fanny doit couper du bois parce qu'on n'a pas de thunes pour acheter du bois, il fait froid, on doit rentrer les vaches pour le voisin... En fait oui, c'est assez marrant notre vie.
Fanny : J'étais contente de la fin du texte, mais quand je l'ai lu... Par exemple ma soeur disait qu'on n'envoyait pas franchement du rêve et que c'était triste et mélancolique au début. C'est un peu le sentiment que j'ai eu sur la moitié du texte, et après il y a plein de petits trucs qui viennent se rajouter et je l'ai adoré, même si au début je me disais qu'il n'y avait pas trop de joie dedans. Il y a toujours cette question de l'image qu'on renvoie, et j'ai plus envie de montrer que ce qu'on vit est génial et beau que de donner l'impression qu'on est tristes et qu'on se plaint. En fait, en se disant que c'est à un instant T alors oui : il y a des moments où on se sent fatiguées, mais putain, on kiffe notre vie ! Moi je suis trop heureuse tous les jours, mais parfois c'est dur. On a envie de dire les deux en même temps, c'est un peu une balance. On a trouvé notre équilibre, et parfois la balance est plus du côté fatigue genre on est au bout de notre vie comme quand on fait notre release-party à Nogent-le-Rotrou et qu'on s'aperçoit qu'on est en déficit... On est dégoûtés, mais après on réalise qu'on avait 90 personnes, presque 100... Les gens qui sont venus ont aimé, ils n'avaient pas l'habitude de voir ça mais ont aimé. Nous on repart avec moins d'argent, on aime moins ça, mais c'est pas grave, on s'en fout. On continue, on bouffe la vie en fait.
Bon, ce n'est pas vraiment une question, mais c'est marquant de voir comme vous êtes vraiment à trois à participer au groupe : chacune y va de sa petite blague, vous rigolez entre vous, tout le monde participe à part égale... Bon, je ne sais pas comment tourner ça en question du tout.
Alice : Moi, ce que j'adore, c'est qu'on se sent un peu entre nous : quand une d'entre nous a un peu plus de mal, les deux autres en remettent une couche derrière pour l'aider et c'est chouette. C'est au-delà de la musique ça.
Fanny : Et je pense que ce qu'on renvoie sur scène est vraiment ce qu'on vit au quotidien : on est toutes les trois à des posts différents, à utiliser nos compétences respectives et on essaye de prendre le meilleur de chacune, ce qui fait vraiment notre force. C'est en ça que le power trio a vraiment son sens : à quatre, il y avait peut-être une force moins concentrée et moins dirigée vers un point fixe vers laquelle tous aller au même rythme.
Voulez-vous ajouter quelque chose ?
Les trois : Ahouuuu ! (ceci est une transcription écrite de louves hurlant à la Lune, ndlr)
MC :... Et sinon, qu'il faut faire vivre le spectacle vivant, aller aux concerts, vivre la vie réelle, tout simplement.
Merci !