Tomohide IKEYA - 2015-11-01

Tomohide IKEYA - 2015-11-01

Mandah 24 novembre 2015

Tomohide IKEYA est un artiste japonais dont la notoriété grandit de jour en jour. Ses travaux ont été exposés en France, en Allemagne, à New York et, évidemment, à travers tout le Japon. La myriade de bulles d'air sur BREATH, l'une de ses dernières séries, rendent visible la vie. Nous respirons, nous vivons pendant que la Terre tourne, tandis que le soleil et la lune s'accordent continuellement. Mais avec MOON, le photographe Tomohide IKEYA montre la tendance des Hommes à vouloir contrecarrer Mère Nature en contrant la nuit. Voici comment !

Comment t'es-tu intéressé à la photographie ?
Tomohide Ikeya : J'étais chef cuisinier avant de me lancer dans la photographie. Un jour, un ami m'a invité à faire de la plongée sous-marine. C'était génial ! Ce moment partagé entre amis restera à jamais gravé dans ma mémoire. Ce jour-là, j'ai essayé de prendre des photos, sous l'eau j'entends. J'ai trouvé ça intéressant et le travail en cuisine était difficile. Mon ami m'a alors dit : « Laisse-tomber la cuisine et lance-toi dans la photographie, tu vas peut-être devenir célèbre dans le monde ». J'ai commencé comme ça, par hasard (rires). Après avoir pris mes premières photos, j'ai suivi des cours dans une école. Et me voici ici aujourd'hui !

Continues-tu à te perfectionner via des séminaires et formations professionnelles ?
Tomohide Ikeya : Oui et non (rires). Aujourd'hui, c'est moi qui organise des séminaires. Je donne également des cours dans certaines écoles d'art. Je me perfectionne comme cela, en étant professeur.

Comment décrirais-tu ton style ?
Tomohide Ikeya : Hum... J'essaye toujours de planifier mes séances photos à l'avance, mais je laisse aussi une place au hasard importante dans la réalisation de mes ?uvres. Planifier méticuleusement tout par le biais de croquis, et autres genres de dessins, est une manière de faire trop simple. Le hasard, tant qu'il est mesuré, rend un travail plus intéressant. Lui laisser une trop grande place serait en revanche chaotique. Il faut quand même proposer une idée, une vision, un sujet. Mon travail est une balance des deux, prévoir et laisser dans ces plans une marge au hasard. Voilà ma démarche. Mon concept quant à lui, c'est de mettre en avant les liens qui lient la nature aux hommes. C'est ainsi que je décrirais mon style.

Quelle est l'oeuvre dont tu es le plus fier ?
Tomohide Ikeya : En ce qui concerne BREATH, je choisirais celle-ci.

En ce qui concerne MOON, je choisirais cette photo imprimée (ci-dessous). La texture due aux cheveux rend le résultat intéressant. La photo est moins lisse que la photo précédente.

En ce qui concerne WAVE, je choisirais cette photo imprimée (ci-dessous). La texture la rend plus vivante que les précédentes. Le verre cassé donne une impression de glaçage. C'est arrivé par accident. Je l'ai amenée en Allemagne, je devais présenter une exposition à Munich. Elle s'est cassée dans l'avion, très certainement à cause de la pression d'air. Arrivée à destination, elle fut invendable, mais j'ai trouvé le résultat assez beau (sourit). J'ai trouvé une nouvelle fois que le hasard faisait bien les choses. J'aimerais simplement rendre la partie cassée plus solide afin qu'elle ne tombe pas. J'aime vraiment le rendu au niveau de la texture, texture glacée.

 

Quelle photo a été la plus dure à réaliser et pourquoi ?
Tomohide Ikeya : Elles ont toutes été difficiles à réaliser (rires). En ce qui concerne la série MOON, c'est plutôt le modèle qui a rencontré des difficultés. Pour celle de la photo que je viens de citer, la modèle était obligée de rester dans cette position, très peu confortable, des heures durant. Tandis qu'elle devait rester immobile, un styliste se chargeait de poser chaque liasse de cheveux sur son corps. En ce qui concerne la série WAVE, les modèles ont dû beaucoup souffrir également. Sur l'?uvre que je t'ai montrée, le modèle devait poser devant mon objectif alors que du sable lui était jeté à la figure.

Quel type d'appareils utilises-tu ?
Tomohide Ikeya : Je n'utilise que les appareils de Phase One. Je suis sponsorisé par la marque.

Si tu devais choisir un seul objectif, lequel serait-il et pourquoi ?
Tomohide Ikeya : Je choisirais le 55mn f1.8 de Phase One. Je n'utilise que celui-là quasiment !

Quel est ton accessoire photo préféré, autre que l'appareil-même ?
Tomohide Ikeya : Tout mon kit d'éclairage de la marque Broncolor dont je suis sponsorisé.

Ce qui m'impressionne le plus dans ton travail est la prépondérance du mouvement, et en l'occurrence celui du corps humain. Qu'est-ce qui t'attire le plus là-dedans ?
Tomohide Ikeya : Hum... Les habits empêchent le hasard de jouer son rôle. Tu es plus vulnérable nu, ce que je trouve plus intéressant, plus touchant et émouvant. La richesse des corps, leurs différences, est une variable qui me plaît beaucoup. Le corps de la femme et de l'homme sont différents, le corps de la femme est également très différent d'une femme à l'autre. Quand tu portes des vêtements, tu ne peux pas te rendre compte de ces différences. Je trouve le corps d'une richesse incomparable !

D'un point de vue tout à fait personnel, je trouve des similitudes entre ton travail et le mouvement baroque de la peinture : comme lui, on retrouve des silhouettes vivantes et formes expressives par le biais de la contorsion. On retrouve de fortes émotions et expressions faciales. Ton travail témoigne de la sensualité et grandeur. Le mouvement baroque a-t-il eu une quelconque influence sur toi ?
Tomohide Ikeya : Oh, merci beaucoup ! Tu as très certainement raison car la peinture baroque me plaît tout particulièrement pour les raisons que tu viens d'énoncer. Étant fasciné par ces points précisément, cela doit ressortir dans mon travail. J'aime le mouvement baroque en général : la peinture effectivement, mais pas seulement, j'aime également le cinéma et la musique baroques. Je suis très influencé par l'art en général. Et je me rends compte, en t'écoutant, que le mouvement baroque est une source d'influence. Complètement ! Merci.

Tu as trouvé dans l'eau le moyen de mettre en avant le mouvement du corps humain. Qu'aimes-tu le plus à propos de ce médium ? Quels sont ses avantages et inconvénients, s'il en existe ?
Tomohide Ikeya : J'aime l'eau depuis toujours. J'ai toujours travaillé la photographie sous l'eau. C'est l'eau qui m'a donné l'envie de faire de la photographie. Son avantage absolu, c'est d'avoir le pouvoir de mettre en avant le mouvement. L'eau est spécial à mes yeux. Pouvoir percevoir le mouvement à travers une ?uvre figée me plaît. L'avantage absolu de l'eau réside dans son pouvoir de mettre en avant le mouvement. Ce qui était très difficile au début était de photographier avec le matériel de plongée sur le dos. Le modèle ne portant pas de matériel de plongée sur lui ou elle, nous n'étions jamais synchrones. Quand tu plonges, ton corps remonte doucement vers la surface, n'ayant pas le même poids à cause du matériel, on remontait toujours à des cadences différentes. Pour cette raison, je plonge sans aucun matériel maintenant. Je porte le moins de choses possibles sur moi, afin d'être à niveau égal le plus longtemps possible. Il faut prendre la même respiration que le modèle, plonger exactement au même moment, il faut être complètement synchrones et prendre la photographie au bon timing. Voilà où réside la plus grande difficulté de l'eau.

Il est assez étrange d'avoir nommé cette collection sous-marine 'BREATHE'.
Tomohide Ikeya : Je voulais mettre la respiration en avant. Je voulais montrer la vie. Grâce à l'eau, ce qui est habituellement invisible à l'oeil devient visible.

Je vois. Et qu'en est-il de 'MOON' ?
Tomohide Ikeya : La relation entre le soleil et la lune créée un rythme dans notre quotidien. Le soleil connote l'idée du jour tandis que la lune connote celle du soir. Durant la nuit, nous sommes censés dormir, nous sommes censés nous reposer, mais inconsciemment nous faisons tout pour contrer cela. On préfère sortir pour s'amuser, on préfère allumer la TV et tout notre électronique, ce qui va donc à contre courant de ce que la nature attend de nous. Dans la collection MOON, il n'y a que des femmes parce que la femme est plus proche de ce cycle de vie, de Mère Nature, que l'homme. Elles passent par exemple par des cycles menstruels. En résumé, MOON montre la tendance des hommes à vouloir contrer la nature et selon moi, la quintessence de cette idée réside dans le fait de vouloir changer la nuit en jour. C'est peut-être difficile de comprendre mais voilà ma vision. En ce qui concerne le cheveux, c'est une idée symbolique. Les cheveux contiennent notre ADN qui porte des informations génétiques, personnelles. C'est une partie importante de notre corps, mais nous n'y prenons pas soin. On les colore, on les coupe, on les change dès qu'on en ressent l'envie. Les cheveux caractérisent également la sensualité et le charme érotique de la femme.

Comment sélectionnes-tu tes modèles ?
Tomohide Ikeya : Pour WAVE, n'importe qui aurait pu faire l'affaire. J'ai travaillé avec une personne qui était disponible à ce moment-là. C'est plus ou moins le fruit du hasard. Pour BREATHE, j'avais besoin de personnes qui comprennent le concept, capables de saisir ma vision. Des gens qui étaient complètement conscients de la difficulté de la mise en ?uvre de cette vision. J'ai rencontré tous les modèles lors d'exposition. De manière générale, je travaille avec des gens avec qui je m'entends. En ce qui concerne l'aspect physique, je travaille habituellement avec des personnes au corps fin.

Sous l'eau ou sur la lune, nous ne contrôlons pas le mouvement de notre corps. Veux-tu souligner la faiblesse de l'humain, sa perte de contrôle, ou sa résistance face à Mère Nature ?
Tomohide Ikeya : Les deux en fait. Selon les ?uvres et mon humeur, cela diffère. Montrer la résistance, la force du corps ou sa faiblesse dépend de ce que je cherche à mettre en avant à travers la photo. J'aime les deux idées.

Que représente quantitativement ton travail post-shooting ? Retouches-tu beaucoup tes images ?
Tomohide Ikeya : Je ne retouche quasiment pas mes photos. Je ne retouche jamais les lumières, leurs compositions, ni les couleurs. Je retouche les erreurs dues à la nature, un cheveu, un poil en trop. Je retire les poussières dans l'eau. J'enlève seulement ce qui est dérageant, un cheveux, un bouton disgracieux ou de la poussière.

Sur quoi travailles-tu actuellement et quels sont tes projets futurs ?
Tomohide Ikeya : Aucune collection ne sera jamais terminée. Je travaille continuellement mes séries. Une série est épuisant. Créer une collection de zéro est très, très fatiguant et prenant. Je ne termine jamais une série pour en commencer une autre. Si l'une ne m'inspire pas, je la laisse de côté, et complète une qui motive sur le plan créatif, qui m'inspire. Je reviens toujours sur mes anciens travaux. Ces collections ne seront donc jamais achevées. C'est un processus en construction continuel. Et ce, même après avoir été exposées.

Ça s'enracine toujours dans cette idée de mouvement. Merci pour cette interview.