La dernière fois qu'on avait eu des nouvelles de la compositrice et chanteuse Virginia B. Fernson, elle était en plein jus de cerveau, occupée à planifier l'avenir de son groupe SKINSITIVE. Deux ans plus tard, on la retrouve à la tête de nombreux autres projets, notamment She Left the Devil for Fire, un one-shot post-rock et instrumental sur le traumatisme (chronique). Elle nous parle de ses nouveaux travaux, sans oublier de faire le point sur les anciens.
Pour commencer, peux-tu nous présenter She Left the Devil for Fire ?
She Left The Devil For Fire est un projet que j'ai dû commencer... environ en 2010, car comme la plupart de mes projets, j'aime bien traîner ! Je devais avoir dans les 25 ans. Je commençais tout juste à me faire la main sur tout une gamme d'instruments virtuels, alors qu'à l'époque d'Her(tz)oÏn, j'étais plutôt en mode plug & play et expérimentations analogiques (comme envelopper un micro de capotes et hurler sous l'eau...) . Je ne m'intéressais très peu au MIDI, sauf pour caler des batteries, un piano... Du coup, j'ai commencé à expérimenter plus des orchestrations avec le projet She Left the Devil for Fire.
Initialement, les huit compos, j'ai dû les torcher en quatre mois maximum. Ce qui est plutôt exceptionnel dans ma démarche créative : j'ai tendance, encore une fois, à être lente. Et puis j'ai fichu ça au tiroir pendant longtemps, trop préoccupée par SKINSITIVE. J'ai rouvert ce même tiroir l'an dernier et je me suis dit "il faut que tu le sortes". J'ai tout repris de A à Z ou presque. J'ai gardé les pistes MIDI, quelques samples de boites à rythmes. J'ai refait la plupart des guitares, basses, arrangé et mixé quelques trucs. J'avais déjà en tête depuis de nombreuses années cette idée d'histoire de traumatismes vécus et racontés par des femmes, mais je n'ai pas su aller au bout de ma démarche. Je piétinais. J'avais des exigences trop fortes et abusives : je cherchais à la fois des femmes qui avaient du vécu, qui savaient écrire et qui pouvaient faire du spoken word. Au bout du compte, je me suis dit : et si au final, le trauma, c'était quelque chose qui se passait de mots ?
Peux-tu développer les quatre histoires que tu y racontes ?
Absolument. J'avais en tête les segments 1 et 5, une femme qui aurait subi des violences sexuelles et qui sublime son traumatisme en devenant performeuse (danse ou bodymod, par exemple), pour les segments 2 et 6, une femme qui traverse un deuil et devient mère dans la même foulée, pours le segments 3 et 7, une femme qui aurait survécu à une maladie grave et qui devient reporter de guerre, pour les segments 4 et 8, une femme qui aurait survécu à une catastrophe naturelle (type tsunami) et qui marche sur des volcans susceptibles de se réveiller à tout instant...
Mais en réalité, tu peux changer les histoires comme bon te semble. L'idée, c'est de répondre au feu par le feu.
Pourquoi avoir choisi ce découpage en deux parties trauma / résolution ?
Parce que je pense que toute personne ayant vécu un traumatisme cherche à sauver sa peau. C'est pour cela que j'insiste sur le terme de survivre et non d'être victime dans la question précédente, d'ailleurs. Mais le terme que j'ai dû employer moi-même comme "résolution" est maladroit. J'aurais dû dire dès le départ "sublimation". Un traumatisme ne se résout jamais, ça reste là, encré. Par contre, il est possible de le contourner en le sublimant. C'est ce que j'ai essayé d'exprimer.
Est-ce un projet amené à avoir un avenir, ou ce disque est un one-shot pour toi ?
Disque one-shot. Il est possible que je refasse d'autres projets dans cette idée-là, mais sous un autre nom. J'ai compris que je m'ennuyais vite, je vais privilégier les projets à courts termes pendant quelques temps !
Si tu envisages un avenir a SLTDFF, penses-tu revenir sur ta décision de ne pas y inclure de chant ?
Non, définitivement pas un projet avec du chant. Peut-être du spoken word, si à tout hasard le projet intéresse des personnes qui ont envie de l'amener plus loin, de mon côté, je crois avoir accompli ce que je devais accomplir !
Comment on fait pour composer un album instrumental sur les traumatismes ? J'imagine que ça implique pas mal de recherche.
Alors oui, en effet, j'ai un peu potassé le sujet un moment. J'ai même des anciennes pistes avec des participantes avec d'excellents textes même, mais au final, ça ne s'est tout simplement pas fait. Je crois que ce qui était compliqué c'était d'équilibrer le texte avec la musique, qui est quand même super riche, au final. En gros, je sais désormais que si je veux faire un projet spoken word, je trouve d'abord les textes et les lectrices, je les enregistre et après seulement je compose par-dessus, en collaboration avec la personne, bien sûr. C'est en tombant qu'on apprend à marcher, mais je ne regrette pas d'avoir sorti ce projet qui, je trouve, tient la route même sans texte.
Parlons un peu de SKINSITIVE : où es-tu avec ce groupe ?
SKINSITIVE continue de me hanter. J'ai des chansons en français qui me semblent avoir un très bon potentiel, seulement, je crois que dix ans avec SKINSITIVE m'ont bien lessivée. J'ai besoin d'un vrai repos, de prendre du recul, de faire d'autres choses, reprendre de l'assurance. L'envie ne me manque pas côté créatif, mais je ne veux pas produire n'importe quoi, perdre de l'argent sans un minimum de retour sur l'investissement (et oui, je vieillis), je ne veux pas sortir ça à l'arrache non plus. Donc, encore une fois, je prends mon temps, au risque que ça n'intéresse plus personne. Je ne sais pas me forcer de toute façon !
SLTDFF parle de traumatismes, et tu nous disais que l'hypothétique troisième album de SKINSITIVE aurait eu pour titre Accidents. Peut-on voir un lien thématique entre les deux ? Il y a des accidents traumatisants, l'un a-t-il pu te mener à l'autre ?
Oui tiens, je n'y avais absolument pas pensé. Je pense que globalement je dois être obsédée par tout ce qui traite de près ou de loin au trauma, c'est un sujet qui me concerne directement. Faire de la musique, c'est ma façon de sublimer, à mon tour, d'anciennes blessures. De toute façon n'importe quel artiste un minimum sincère te dira la même chose. Je ne crois pas à l'artiste authentique qui n'a pas mangé un minimum de merde. Les meilleures œuvres ne transpirent pas la joie de vivre, ce n'est pas une règle absolue, mais quand même !
Ne pas avoir à chanter, c'est libérateur pour toi ?
Putain ça me manque, tu n'imagines même pas, de gueuler dans un micro. Mais en effet, ne pas chanter, ça me permet aussi d'avoir no limit niveau instrumentation, de ne pas me dire "faut que je laisse un peu de place à la voix quand même"... Non. Tout exprimer via les instruments, c'est formidable aussi. Mais l'écriture, la voix me manque. Je vais y revenir, crois-moi !
As-tu d'autres projets en tant que compositrice actuellement dont tu aimerais nous parler ?
Oui, je travaille sur un projet musical avec ma collaboratrice Megan Casey sur un duo grunge intitulé Your Wife, Last Night, mais dans l'optique de sonner lourd, bien lourd. Nous avons déjà fait une commande pour un jeu avec le studio Accidental Queens, Alt-Frequencies (cf le lacteur ci-dessous) mais ce n'est pas représentatif de ce que nous faisons, bien que ce sera elle au chant et aux textes comme le titre Disorder. Je co-écris et compose avec elle, je ferai quelques back vocals aussi. Notre EP suit son cours. Difficile de te donner une date de sortie, peut-être cet été.
J'ai vu que tu te mettais également à produire d'autres artistes. Peux-tu nous en parler ?
Yep, j'ai lancé mon studio VBF où en gros je compose, arrange, fais du sound design pour différents clients. J'ai fait notamment des documentaires, des applications, un livre audio. Je produis notamment des artistes solos comme LEA JACTA EST, super artiste dark folk que je recommande de suivre. Sa voix et ses textes sont sublimes, sa musique brut de coffre comme j'aime. Elle ne ment pas. J'ai pris un pied monstrueux à m'occuper de son EP qui devrait sortir au printemps prochain. Je fais aussi de l'arrangements pour de la chanson française / poème chanté (et oui) avec Anne Marie Pédezert, qui a eu la mention spéciale du jury de Printemps des Poètes (Printemps de Bourges) l'été dernier sur une de nos collaborations.
La production, c'est une expérience que tu aimerais renouveler ?
Je préfère le terme de réalisation. Production, ça veut dire mettre un peu d'argent, quand même, haha ! Et oui, ça me plait carrément de travailler avec différents artistes, de partager des visions autres que les miennes. J'apprends plein de trucs. Je me dis que ça permet d’affûter encore mieux mes armes pour revenir à d'autres projets plus personnels. Encore une fois, j'aime ce que je fais actuellement, mais l'envie de faire bzzzbzzzbwaaaaa sur un disque commence sérieusement à me gratter.
Merci. Un dernier mot pour la fin ?
Mon plan démoniaque est de faire suffisamment d'argent pour pouvoir produire le prochain album de SKINSITIVE, des projets inécoutables pour 95% des gens, rouler en Cadillac, fumer le cigare dans le Sud de la France et vivre en pyjama dans mon jardin jusqu'à la fin de ma vie. Merci pour cet entretien.
Crédit photo : Léa Grégoire