Déjà de retour après une tournée à l'automne dernier en compagnie de Karin Park, A.A. Williams passait cette fois-ci par Paris (parce que Savigny-le-Temple, le 77, tout ça, le parisien lambda ne sait pas trop s'il peut y payer sa pinte en euros, ni s'il doit refaire ses vaccins avant d'envisager le périple), l'occasion pour l'artiste de répandre la mélancolie du merveilleux As the Moon Rests (chronique) non loin des lumières vives du Moulin Rouge, le tout chapeauté par Garmonbozia. Direction le Backstage by the Mill où le projet de black metal atmosphérique Limbes assure la première partie, le monstre du seul Guillaume Galaup ayant été choisi en personne par A.A. Williams pour lancer la soirée après un appel à candidatures. Plutôt classe.
LIMBES
Limbes sortait en début d'année Écluse, sorte de renaissance / continuité de Blurr Thrower, l'ancien projet de l'artiste. Alors que le public arrive tranquillement et s'approche timidement de la scène, Galaup monte sur scène et se met à hurler directement au visage de son audience, sans utiliser le micro. Un truc à la fois déchirant et viscéral, mais aussi un peu flippant. On comprend vite qu'il n'est pas là pour tricher et qu'il y a dans la démarche une sincérité qui se retranscrit par le dispositif scénique, minimaliste. Le musicien, seul, dans la fumée, avec des spots blancs du début à la fin. Pas de couleurs, pas d'artifices, juste un type là, comme à poil, qui crache ses tripes le temps d'une demi-heure cathartique. Les morceaux sont longs et écrasants, la performance saisissante. Limbes a beau laisser dans ses atmosphères de vagues nuances de lumières, le public, comme intimidé, ose à peine applaudir après une vingtaine de minutes. Comme si ce que propose Limbes ne se prêtait pas à ce genre de trivialités festives, mais peut-être aussi parce que sans changement d'ambiance, le passage d'un morceau à l'autre n'est pas spécialement appuyé... Il faut dire que la musique est sans concession. Certes, avec son côté cathartique, Limbes ne nous étouffe pas de sa noirceur, l'humeur est dépressive et l’exécution sans concession, glaciale. A plusieurs reprises, Galaup n'utilise pas de micro, appuyant l'aspect physique de sa démonstration mais renvoyant aussi au traitement du chant sur l'album, souvent lointain, comme s'il nous parvenait... eh bien, des limbes. Ça ne sera pas pour tout le monde, certes, et la musique écorchée de Limbes est certainement plus extrême que celle de la tête d'affiche, mais on se dit que recevoir ce genre d'auto-exorcisme en pleine tronche, ça ne laisse pas indifférent et on se prend à imaginer un rendu live du split réalisé avec Mütterlein : ça aussi, ça serait fou, dis donc !
A.A. WILLIAMS
Changement d'ambiance : la petite scène suffit difficilement au groupe, qui nous plonge dans l'obscurité et les nuages de fumée pour entamer son set. Si le dernier album d'A.A. Williams occupe l'essentiel de la setlist, c'est sur Wait que le concert commence avant de plonger dans les lourdeurs éthérées d'Evaporate. Si le spleen écrasant de l'album nous avait déjà hanté comme il se doit, son interprétation live ajoute une couche de ténèbres sur ce rock sombre, ce "death gospel" comme aime dire l'artiste. Des musiciens quasi immobiles, tout de noir vêtus, une communication réduite au minimum, des visages cachées dans la fumée ou derrière des cheveux, noirs évidemment : on n'est pas venus pour faire la fiesta.
C'est donc dans cette atmosphère respectueuse de recueillement qu'on se laisse porter par tout ce vague à l'âme, qui parfois nous broie avec quelques incursions quasi doom (la terrible Murmurs, la très sombre For Nothing que ne renierait pas Chelsea Wolfe, le final sur As the Moon Rests et ses riffs hypnotiques), on se fait trimballer par Pristine (bien que son rendu, sans réel orchestre, soit forcément plus minimaliste)... A.A. Williams nous coupe du tapage de l'extérieur pour nous piéger dans son brouillard d'élégante noirceur, l'interprétation est irréprochable, la voix impressionnante de puissance, de vulnérabilité et de justesse. On est bien, là, dans cette confortable petite bulle d'obscurité, à lécher nos plaies, à se complaire dans nos ombres : ça fait du mal, mais ça fait du bien. Peut-être aurait-il fallu lui glisser que Trent Reznor fêtait son anniversaire la veille, on n'aurait pas été contre sa reprise d'Everyday is Exactly the Same, tiens, et ça aurait sûrement fait plaisir au boss de Nine Inch Nails. Pour le reste, on ne peut que constater ce que l'on savait déjà : le dernier album est incroyable et A.A. Williams a, en très peu de temps, rejoint le cercle fermé des grandes reines des ténèbres, celles qui imposent immédiatement le respect et réussissent à nous écraser tout en gardant une hauteur aérienne. La grande classe.