Reportée depuis trois ans pour cause de vous-savez-quoi, la soirée unissant Acyl et Magoyond sur la scène de Petit Bain a enfin pu avoir lieu. Saluons comme il se doit la persévérance des artistes et d'Access Live, l’organisateur, qui n'ont pas jeté l'éponge entre temps... et heureusement ! Si l'affiche propose un mélange d'univers assez éloignés, entre le freak show familial décalé des uns et le metal ethnique des autres, plus violent et moins théâtral, leur association à l'affiche était aussi naturelle que rafraîchissante. Ici, nous avons beau aimer les trucs super sombres, la souffrance, la tristesse et tout ça, parfois, ça fait aussi du bien de passer une bonne soirée.
MAGOYOND
En trois ans de reports successifs, Magoyond a eu le temps de grandir. Le quatuor a récemment sorti le fort recommandable album Necropolis et conquis de nombreux nouveaux adeptes à son petit monde fait de goules, de zombies, et autres joyeusetés horrifiques s'amassant la bave aux lèvres sous leur chapiteau horrifique. On peut d'ailleurs constater que le groupe a réuni une foule non négligeable et on ne devrait pas trop tarder à les retrouver en tête d'affiche d'événements d'ampleur similaire.
Il faut dire que la formule a des atouts imparables : en optant pour une approche amusante plus qu'effrayante (on est plus proche d'un univers Burtonien en plus loufoque), Magoyond n'est ni clivant ni dérangeant et a tout d'un spectacle convivial et familial, aux multiples références geeks que l'on s'amuse à deviner. Un metal certes acéré mais dont l'agressivité ne dépasse pas le seuil du "socialement acceptable", ainsi qu'un chant en voix clair et en français qui permet non seulement d'en apprécier facilement le texte mais aussi au public de le chanter avec le groupe : le succès est (presque) garanti.
Il ne faudrait pas non plus négliger la performance. Si l'on se dit au premier coup d’œil qu'un tel univers aurait peut-être mérité une mise en scène plus fournie, on est finalement ravis de profiter d'un show qui n'est pas étouffé par des gimmicks faciles et cache-misère qui donneraient l'impression de prendre le dessus sur la musique. On n'en apprécie que mieux l'énergie communicative des musiciens et on s'y amuse comme des sales gosses. Magoyond n'avait pas vraiment eu le temps de défendre sur scène l'album Kryptshow, sorti fin 2019, la setlist lui réserve une place généreuse. Ainsi se côtoient Le Chapiteau des Supplices et Le Village, Le Manoir de Zack Trash et Le Charnier Des Épouvantails. Lourdeur des instruments, vivacité de la plume : c'est fun et jouissif. Le groupe conclut, comme une évidence, avec ses reprises de Soyez Prêtes du Roi Lion, transformant la chanson de Scar en manifeste politique pour goules, et du Pudding à l'Arsenic, l'irrésistible chanson d'Astérix et Cléopatre et ses jubilatoires perspectives de meurtre par empoisonnement. Dans la fosse aussi, on jubile : généreux, divertissant et avec un univers fort, Magoyond est encore plus fun et fédérateur en live qu'en studio.
ACYL
Avant qu'une pandémie ne vienne casser l'ambiance, Acyl n'était pas rare sur scène. Nous avions pu, les années précédant la mise en pause du monde, retrouver le groupe franco-algérien à multiples reprises, sur des scènes variées allant de Petit Bain, déjà, au jardin d'un particulier dans le 78 (si, si, l'incroyable Kave Fest, avant que l'événement ne prenne de l'ampleur et ne déménage). On se réjouissait de retrouver ce show bien rôdé, ce mélange entre un metal lourd aux influences parfois extrêmes, groove et thrash, et de musiques traditionnelles berbères au sens large (kabyles, touaregs, etc...).
Le concert commence avec Mercurial : on en connaît la formule et on en savoure la puissance. On pensait s'être habitués à Acyl, mais les retrouvailles font du bien. Le groupe peut compter sur le charisme de ses musiciens, mélange d'élégance et de complicité, ainsi que sur l'immédiate sympathie qu'ils provoquent. A l'image du chanteur Amine, dont le regard et les paroles facétieuses dégagent également une bienveillance palpable et donnent une impression de sagesse, ces grands gaillards sont attachants. Et pédagogues, aussi, quand il s'agit de présenter un instrument, une chanson. Il faut les voir changer leur attirail pour, après avoir provoqué le chaos dans la fosse, se lancer dans des pas de danses au son des irremplaçables karkabous... "Maintenant, on va danser, et les danses kabyles se dansent avec les hanches... mais n'ayez pas peur amis métalleux : elles se dansent aussi avec les têtes et les nuques !" lance le frontman à son public, avant que la fosse de la salle ne devienne le théâtre d'une séance de pas chassés gauche-droite à faire pâlir de jalousie les plus grandes soirées goth.
Depuis le temps, Acyl n'a pas chômé. Certes, on connaît les grandes lignes de la performance, on savoure toujours autant les irremplaçables Finga, Gibraltar et Ungratefulness ainsi que cette identité et cette sincérité unique, mais la soirée nous réservait quelques surprises. Il y avait beaucoup de nouveaux morceaux (dont un certain "Nouveau Titre" qui gardera ce nom tant que les membres du groupe ne se seront pas mis d'accord sur son titre définitif, l'occasion pour le public de scander avec ferveur "Nouveau Titre ! Nouveau Titre !"). Surtout, il y a eu une parenthèse acoustique pendant laquelle le groupe s'est assis, a débranché les amplis et nous a offert une bulle d'air inédite d'une grande classe. De la variété et une place plus grande à la poésie et aux atmosphères mélancoliques ? L'avenir qui se profile du côté d'Acyl est fort prometteur !
En attendant d'enfin pouvoir écouter le nouvel album, le public parisien a pu apprécier de nouveau ce groupe au charme unique et au message de brassage culturel toujours aussi salvateur. On s'y amuse, c'est le bordel, mais on le fait avec du cœur et de l'esprit.