À peine sorti d'une monumentale tournée avec Igorrr, Der Weg Einer Freiheit et Hangman's Chair (nous étions à Paris), le groupe de post-hardcore Amenra reprenait la route pour une poignée de dates en France avec, de nouveau, des affiches qui font rêver : en première partie, selon les soirées, on avait droit soit à Treha Sektori, soit à Mütterlein. C'est le projet de Marion Leclercq que l'on retrouvait à Poitiers, sous le haut plafond du Confort Moderne (qui porte bien son nom : mêmes les toilettes y sont aérées et agréables !), en début de cette impressionnante soirée que l'on vous raconte. Les photos sont de Romain Rossard (allez donc jeter un œil à son travail, @romross86), qui nous a bien sauvés d'un embarrassant pépin technique qui a bien failli nous priver d'images. Ç'aurait été dommage !
MÜTTERLEIN
Quelques heures avant le concert, nous discutions en interne. Le sujet du jour était "comment avons-nous pu passer à côté de Mütterlein toutes ces années ?". Avec deux albums aussi impressionnants que différents l'un de l'autre, l'artiste nous emporte dans un univers fait de ténèbres cathartiques, entre dark folk, dark ambient, indus ritual et doom. On y trouve des traces de Lingua Ignota, Author & Punisher, Trepaneringsritualen, Treha Sektori et tout un tas d'autres choses, du black metal à la cold wave : c'est aussi puissant que passionnant. Sur scène, Marion Leclercq est seule, entourée d'une douzaine de serpettes posées sur piques : le décor est à la fois mystique et menaçant, on pense aussi bien à de la sorcellerie qu'aux silhouettes empalées dans l'impressionnant prologue du Dracula de Coppola. Il fait noir. La musique nous écrase tout en nous invitant à une transe mystique synthétique. Quelques rugissements rageurs venus des tripes mordent fort, ça fait du bien. Par respect, ou trop tétanisé, le public est silencieux alors que les morceaux s'enchaînent et il faudra attendre la fin du set pour enfin entendre quelques applaudissements mérités : la performance de Mütterlein s'apprécie dans le silence, avec recueillement presque. De cette ambiance funèbre, la voix grave de Leclercq s'extirpe, elle invoque autant qu'elle exorcise, elle qui semble encore se cacher derrière la fumée et les serpettes, aussi bien décor que déguisement alors qu'elle se présente sans artifice, ni costume ni maquillage : on ne triche pas. Pendant presque une heure, Mütterlein a pu nous inviter dans son rituel intime, entre noirceur opaque et quelques passages qu'on n'oserait qualifier d'éclaircies mais qui tendent vers une forme d'apaisement. C'était absolument magnifique et la première partie idéale pour le rituel à venir d'Amenra.
AMENRA
Il est bien question, encore une fois, de rituel chez Amenra. Il suffit de voir Colin Van Eeckhout, à genoux et dos au public, lancer le concert avec Boden et ses percussions sur fond de silence pour saisir l'atmosphère : comme d'habitude, Amenra se produit dans la pénombre, dans d'épais nuages de fumée. Le chanteur, maître de cérémonie écorché, ne se tourne que très rarement face au public comme pour mieux souligner certains moments du set. L'écran projette des images en noir et blanc, aussi évocatrices que poétiques. En live, Amenra est aussi violent qu'élégant : il y a les hurlements et les accalmies, l'obscurité et les respirations plus lumineuses. C'est lourd, écrasant, asphyxiant et d'une intensité exceptionnelle que l'on apprécie d'autant plus avec cette setlist remaniée par rapport au mois de mars dernier et, surtout, plus longue. Petit à petit, Van Eeckhout tombe les couches pour, comme d'habitude, mettre le public face à la potence inversée qui recouvre son dos : la souffrance, toujours, qu'il faut sublimer. Avec son goût pour le mystique et son rapport au temps qui s'étire, ses projections qui viennent presque effacer la présence de musiciens discrets, mais aussi son leader dont on ne voit que rarement le visage à la colonne vertébrale tatouée, Amenra a ce petit côté "Tool hardcore" toujours frappant lors de certaines accalmies (l'intro d'A Solitary Reign). Le public, lui, est comme foudroyé à la fois par l'incroyable puissance de la performance, radicale, sans un mot ni un sourire, mais aussi par la beauté qui s'en dégage. Le retour en fin de set de Silver Needle, Golden Nail n'empêche pas cette conclusion imparable, quand le groupe quitte la scène sans une parole, nous laissant dans le noir avec ces mots à l'écran : "Peu à peu ces fleurs tomberont, il ne restera que les épines". Encore une fois, les symboles évoquant le sacré se mélangent à la souffrance, mais aussi aux moyens de protection que chacun déploie au risque de blesser les autres. Le groupe étant à l'affiche de plusieurs festivals cet été, il faudra impérativement de nouveau profiter de l'occasion d'assister à cette grande messe cathartique, déchirante et captivante.