Anja Huwe + Selofan @ La Marbrerie - Montreuil (93) - 9 février 2025

Live Report | Anja Huwe + Selofan @ La Marbrerie - Montreuil (93) - 9 février 2025

Tanz Mitth'Laibach 11 février 2025 Tanz Mitth'Laibach Pierre Sopor

Le retour à la scène d'Anja Huwe est un évènement dont on n'aurait osé rêver il y a encore un an. L'ex-chanteuse de Xmal Deutschland avait raccroché trente-cinq ans plus tôt après le quatrième album de la formation gothique ouest-allemande, consacrant la suite de sa création artistique à la peinture. Son retour l'année dernière avec un premier album solo intitulé Codes nous donnait espoir de la voir sur scène : c'est chose faite ce 9 février avec ce concert à La Marbrerie de Montreuil, le deuxième de sa tournée après son passage au Grauzone Fest. On est encore plus alléché en voyant que la première partie de la soirée sera assurée par Selofan : depuis une douzaine d'années, on a eu bien des occasions d'apprécier la qualité des compositions et des mises en scène du duo darkwave grec. Voilà une très belle réunion de deux générations que cette affiche !

Selofan

C'est que Selofan s'est construit une esthétique globale, à la fois musicale et visuelle : sa musique qui puise tout à la fois dans la théâtralité gothique, le minimalisme glacé de la coldwave et la répétitivité martiale de l'indus s'articule avec une imagerie élaborée, qui peut être en noir et blanc aussi bien que haute en couleur mais qui vise toujours à déformer la réalité pour la laisser envahir par les émotions. Cela peut paraître contradictoire et pourtant, Selofan nous montre ainsi une émotion figée qui nous glace et nous entraîne. Sur l'écran derrière la scène défile comme toujours un mélange d'images tirées des clips de la formation hellénique, dont l'inspiration expressionniste est souvent flagrante. Le duo présente toujours ce contraste entre une Joanna aux looks extravagants, en l'occurrence la voilà bleue dans sa tenue comme sur son visage avec encore une nouvelle coupe de cheveux, chantant avec des expressions et une gestuelles éloquentes, et un Dimitris réservé derrière ses lunettes noires, qui tient la basse la plupart du temps mais s'empare quelquefois du chant. La musique de Selofan est ainsi, elle aussi : la froideur implacable de la boîte à rythmes et la lourdeur de la basse contrastent avec les appels désespérés du chant et les touches musicales plus chaleureuses comme les interventions ponctuelles du saxophone.

Cette fois, les Athéniens viennent d'abord défendre leur dernier album en date Animal Mentality (chronique). On attaque donc par Bluebirds et ses rythmes binaires qui nous mettent aussitôt en mouvement, d'autres morceaux dansants du disque sont de la partie ; néanmoins, le ton change lorsque Dimitris prend le relai au chant pour des morceaux tout en douleur contenue, Lucille et surtout le magnifique Sacrifice Me... Ce septième album nous a convaincu à son tour sur scène. Selofan revient ensuite à ses albums précédents et nous surprend une fois de plus par le renouvellement de sa setlist : le tube Love is a mental suicide n'est pas présent cette fois-ci, en revanche on voit ressurgir Shadowmen de l'album Cine-Romance ou encore Tristesses ; Στο Σκοτάδι (Sto Skotadi en alphabet latin, "Dans les ténèbres") de l'album éponyme remplace le classique Wheels of Love et on s'en délecte, le titre a une lourdeur poignante en live. Comme souvent, c'est cependant avec les tubes de l'album Vitrioli (chronique) que l'on atteint le sommet de l'envoûtement : Ist Die Liebe Tot ? et son martèlement désespéré, Billie Was A Vampire dont le titre-refrain sonne comme une blague potache mais dont on prend pourtant très au sérieux la solitude glaciale, le désespoir de Give Me A Reason. L'espace d'une très belle heure, nous avons totalement plongé dans l'univers du groupe.

Cliquez sur une photo pour la voir en haute définition

Anja Huwe

En revanche, on ne savait pas jusqu'à ce soir-là à quoi allait ressembler un concert d'Anja Huwe en 2025. La blonde chanteuse emblématique de Xmal Deutschland arrive accompagnée par la complice de son retour Mona Mur au clavier -c'est sur l'album Delinquent de celle-ci qu'on avait pu l'entendre pour la première fois depuis longtemps en 2019, elle a participé aux compositions de Codes. Manuela Rickers, l'ex-guitariste de Xmal Deutschland qui avait elle aussi contribué au disque, n'est en revanche pas de la partie sur scène : les autres membres du line-up sont ici le bassiste Olaf Boqvist, le guitariste Drew Richards et le batteur Christian St. Claire, comme annoncé par Anja Huwe sur Instagram. Tandis que l'écran accompagne la formation d'images aux ombres impressionnantes, la musique nous saisit d'une façon plus chaleureuse que celle de Selofan : ce sont les guitares et la batterie qui prennent le dessus ici, dans un style lourd et incisif.

On s'en rend très vite compte, si Anja Huwe vient défendre son album solo, ce sont avant tout les morceaux de Xmal Deutschland qui sont à l'honneur. Tant mieux : on avait très envie de les voir. Anja Huwe nous les présente dans une interprétation moderne avec des ambiances plus lourdes qu'on ne s'y attendait, l'électronique et la batterie instaurent une ambiance pesante. Le concert démarre ainsi sur l'hymne Boomerang, tiré du premier album Fetisch de Xmal Deutschland, suivi par Geheimnis du même album. Visiblement habitée à nouveau par l'énergie de ses anciens morceaux, la chanteuse s'exprime abondamment, par sa voix et sa gestuelle. C'est après ces deux titres que l'on commence à découvrir en live l'album Codes, d'abord à travers Living in the Forest dont l'ambiance tourmentée nous plaît immédiatement. Les titres suivants tirés du même disque -Pariah, Exit, Rabenschwarz- poursuivent cette exploration, à des tempos plus lents que ceux pratiqués par Xmal Deutschland et avec des sonorités plus variées. On les aime beaucoup et à vrai dire, on a le sentiment de les avoir quelque peu sous-estimés sur le disque, où on avait parfois du mal à adhérer au mixage, en particulier en ce qui concerne Rabenschwarz.

La suite du concert est surtout consacrée aux morceaux des deuxième et troisième album de Xmal Deutschland Tocsin et Viva, qui font la part belle aux mélodies. Ils sont moins sombres et moins pesants mais on aime énormément les refrains entêtants de EisengrauPolarlicht ou Augenblick. On y entend toutefois aussi Allein, récemment ressurgie des ténèbres grâce à la compilation Early Singles (1981-1982) (chronique), hymne jouissif et rugueux. On termine en beauté par la fantastique Incubus Succubus, le tube historique du groupe, ici réinterprété avec davantage d'électronique, et l'imparable Qual tiré de Fetisch, beau comme un orage.

Ou plutôt non, on ne termine pas là-dessus. Enfin si. Enfin c'est compliqué. Il y a bien évidemment rappel, Anja Huwe et ses comparses reviennent avec enthousiasme, sauf que le clavier de Mona Mur, lui, n'en fait visiblement plus qu'à sa tête lorsque la musicienne tente d'enchaîner sur le dernier morceau prévu ; après plusieurs tentatives infructueuses pour le faire obtempérer, le groupe décide finalement de rejouer Allein, où il est plus aisé de se passer de sa coopération. Eh bien soit, on profite de nouveau de cette chanson ressortie des catacombes ! Et on se dit qu'on ne pouvait guère rêver mieux et que l'on espère que Anja Huwe reviendra bientôt nous jouer ses titres au complet et en aussi bonne compagnie.

Cliquez sur une photo pour la voir en haute définition