Moonspell
Ce soir à la Machine du Moulin Rouge, anciennement connue comme étant "la Loco", Access Live avait eu la bonne idée de programmer MOONSPELL et CRADLE OF FILTH, dont la tournée ensemble s'arrête d'ailleurs par plusieurs salles Françaises. Quelques heures avant l'événement, il restait des places. Pourtant, il y a du monde, beaucoup même : ça s'entasse dans les escaliers menant à la fosse, bloquant l'accès dans un sens comme dans l'autre en dépit de toute forme de logique, la fosse est remplie et il y a des gens au bar. Bref, du monde est venu accueillir les deux groupes présents à l'affiche ce soir, et c'est tant mieux.
Pour être tout à fait honnête, MOONSPELL est un groupe qui m'attire bien plus que CRADLE OF FILTH : le dernier album des Portugais, 1755 (chronique), est une nouvelle démonstration de richesse musicale et contextuelle, d'une intensité dramatique forte. Quand Fernando Ribeiro arrive sur scène avec les choeurs de Em Nome do Medo en fond, sa silhouette en impose d'emblée. Long manteau noir, chapeau aux larges bords, il se présente une lanterne à la main, comme pour nous guider dans les ténèbres cataclysmiques qu'il dépeint dans son dernier album. Le séisme qui a dévasté Lisbonne au XVIIIème siècle est au centre de la performance du groupe ce soir-là, alors qu'ils enchaînent, et dans l'ordre, les morceaux du dernier album. La présence de Ribeiro remplit la scène, qu'il arpente avec énergie. Très vite, il lâche sa lanterne pour cacher son visage derrière un masque de médecin de la peste du plus bel effet, avant de se débarrasser petit à petit de tout son attirail (c'est qu'il devait faire chaud sous le chapeau !).
À la puissance de 1755 succède In Tremor Dei et ses passages plus mélancoliques, et il faut attendre le cinquième titre joué pour entendre, avec Night Eternal, un morceau issu d'un album plus ancien du groupe. On peut regretter à ce sujet que rien de l'excellent Extinct n'ait été joué, bien que l'album soit encore récent. Peut-être justement que ses titres plus orientés rock gothique sont encore trop frais pour figurer parmi les "classiques incontournables". Entre les morceaux, Ribeiro s'adresse régulièrement au public dans un Français impeccable, fidèle à sa réputation de sympathique érudit polyglotte, présentant le contexte historique de 1755 ou annonçant l'arrivée future de CRADLE OF FILTH sur cette même scène. La deuxième partie du set est ponctuée de chansons issues de la discographie du groupe, concluant avec Full Moon Madness et son ambiance fantastique qui nous renvoie plus de vingt ans en arrière.
MOONSPELL proposait un show théâtral et nerveux où le dernier album des Portugais et ses orchestrations très présentes avait la part belle. Le son, ample et chaud, ne rendait pourtant pas toujours justice à la musique du groupe, même si comme d'habitude, ça passait mieux avec du recul. On peut cependant regretter vivement un petit détail : la durée du concert était cruellement trop courte. C'est le dur lot des premières parties, mais peut-être que les deux groupes présents ce soir-là méritaient de se partager la tête d'affiche.
Setlist :
01. Em Nome do Medo
02. 1755
03. In Tremor Dei
04. Desastre
05. Night Eternal
06. Ruínas
07. Opium
08. Evento
09. Todos os Santos
10. Alma Mater
11. Full Moon Madness
Cradle of Filth
Ainsi, CRADLE OF FILTH était de passage à La Machine du Moulin Rouge, là, en 2018. Si vous avez suivi l'actualité du groupe, alors vous savez que leurs derniers efforts sont tout à fait honorables, à condition bien sûr de ne pas être allergique aux gimmicks de son leader Dani Filth. Et même si la petite troupe a perdu de sa superbe et n'est plus tout à fait au sommet de sa gloire de la fin des années 90 / début des années 2000, l'aura particulière de ce groupe culte est toujours bien là, comme en témoigne le public venu en nombre les soutenir.
Passer après MOONSPELL est une tâche ingrate, tant le show des Portugais était excellent, mais peu importe : la majorité des personnes présentes semblent clairement venues pour la bande à Dani et se tassent dans la fosse. Certes, l'entrée sur scène des Anglais est moins théâtrale, il n'empêche qu'attaquer d'emblée avec Gilded Cunt et ses riffs de malade, c'est se mettre tout le monde dans la poche très vite. Contrairement à MOONSPELL, CRADLE OF FILTH propose un set qui pioche de manière équitable dans plusieurs époques, les albums Cruelty and the Beast (qui fête ses 20 ans), Cryptoriana et Nymphetamine étant en toute logique les mieux représentés avec deux titres chacun. Un bon moyen de faire réagir un public certainement venu au moins autant par nostalgie que pour les compositions plus récentes du groupe. Les esprits s'échauffent vite, et les habituelles prises de bec se jouent dans la fosse, comme une comédie usée dont on ne se lasse pourtant pas : "arrête de me pousser, putain" "mais mec, t'es à un concert de metal !" "vas-y, casse-toi !". Hmm, ça fleure bon la testostérone !
Pendant ce temps, sur scène, Dani Filth n'a certes pas la présence la plus impressionnante qui soit, mais il compense avec une belle énergie, sautillant rageusement, cavalant sur scène et prenant des poses de gargouille pour nous asséner ses hurlements stridents. Mine de rien, il fait le job avec enthousiasme et est fidèle à ce qu'on peut attendre de lui. Entre les morceaux, il prend sa voix grave la plus inquiétante pour, tel un bonimenteur de foire, s'adresser au public. Il évoque telle anecdote (vous vous souvenez la fois où il était tout bourré et s'était fait arrêter par la police ? Lui, visiblement, ne s'en souvient pas si bien !), ou introduit tel titre. C'est carré, mais la musique du groupe perd de sa richesse orchestrale sur scène, où l'on n'en apprécie pas autant la dimension symphonique. Une certaine lassitude s'installe alors que l'énergie petit à petit se perd, et les nombreux jets de fumée ou l'inquiétante dégaine du guitariste Richard Shaw n'y peuvent malheureusement rien. Heureusement, un généreux rappel amené par la transition A Bruise Upon the Silent Moon passée en fond permet au groupe d'enchaîner ses grands classiques et raviver la flamme nostalgique du lycéen qui sommeillait cachée quelque part. Finir avec les hits (même si Bathory Aria et Dusk and Her Embrace ont été joués en milieu de set) : la tactique est connue, éprouvée, mais fonctionne et permet à CRADLE OF FILTH de finir sur une bonne note, alors que Dani pousse négligemment dans la fosse un type qui allait probablement tenter de slammer mais n'a même pas eu le temps de faire un selfie.
La soirée s'achève. Mon moi passé, incrédule, se demande un peu ce que son moi futur (le moi présent, donc, si vous suivez) est venu faire ici. Et pourtant, mon moi présent décide d'ignorer la voix goguenarde de cet idiot de moi-du-passé : CRADLE OF FILTH, c'était mieux que prévu. Certes, ils sont souvent à la limite de l'agaçant avec leurs postures kitch, et les borborygmes de Dani peuvent taper sur le système, mais si l'on arrête de se prendre trop au sérieux deux minutes, c'est plutôt marrant. Entre le second-degré over-the-top du chanteur et le cocktail musical entre metal extrême et éléments plus mainstream, aussi efficace que régressif et sympathique, le groupe réussit à dégager une forme de bonne humeur communicative qu'on aurait bien tort de rejeter.
Setlist :
01. Gilded Cunt
02. Beneath the Howling Stars
03. Blackest Magick in Practice
04. Heartbreak and Seance
05. Bathory Aria
06. Dusk and Her Embrace
07. The Death of Love
08. You Will Know the Lion by His Claw
09. A Bruise Upon the Silent Moon
10. The Promise of Fever
11. Nymphetamine
12. Her Ghost in the Fog
13. Born in a Burial Gown
14. Blooding the Hounds of Hell