Diary of Dreams n'était pas venu à Paris depuis une quinzaine d'années. Décidément, après Rosa Crux trois jours plus tôt, Persona Grata nous avait concocté une semaine riche en belles et sombres raretés du côté de Paris. Il n'y a pas de groupe en première partie, probablement le prix à payer quand on fait jouer une tête d'affiche de festival allemand dans un pays où sa popularité est moindre, et ce n'est pas plus mal : ça ne commence ni trop tôt ni trop tard et laisse tout le temps qu'il faut aux stars de la soirée. On rentre tout de même dans l'ambiance avec un DJ Set de Venus Fatale qui nous permet de nous échauffer sur du Front 242 et du Nitzer Ebb histoire de se mettre dans le (petit) bain.
DIARY OF DREAMS
Quand on pense à Diary of Dreams, on pense à une voix, grave et profonde, qui projette toute son affliction dans chaque ligne de chant. On imagine une musique électronique étoffée de quelques guitares lourdes et d'un piano écrasée par toute la tristesse du monde. Diary of Dreams, c'est sombre et très beau. Adrian Hates, le cerveau tourmenté derrière le projet darkwave, est sombre. On ne le voit jamais sourire sur les photos promo. Même son nom de famille est sombre : Adrian déteste. En live, en revanche, c'est une autre histoire. Adrian aime, Adrian sourit, Adrian partage. On a toujours autant plaisir à observer ce paradoxe chez les têtes d'affiche des scènes dark allemandes : si leur art est noir, ils ont le sens du divertissement et du spectacle. Ils nous font taper dans les mains, ils tendent le micro, les lumières savent les mettre en valeur, le son est parfait. Bref, un vrai savoir-faire pour mettre en place un show accrocheur qui implique son public.
On est donc très vite happés par Viva la Bestia, un des morceaux phare du récent Melancholin, dont la pesanteur et l'agressivité n'effacent pas un refrain entêtant. La voix de Hates est irréprochable, lugubre, déprimée et communicative. De manière générale, les morceaux gagnent une nouvelle puissance en live : et bien que Diary of Dreams soit un projet solo, tourner avec un groupe complet permet d'apporter ce supplément de percussion, de mordants, et plusieurs fois la musique flirte avec le metal industriel (Sinferno, Epicon, The Plague).
Diary of Dreams fait partie de ces projets que l'on peut perdre de vue quelques années, dont on peut louper un album ou deux, et soudainement rattraper nos trains de retard sans ne jamais se sentir perdu. La qualité est constante, la richesse aussi, ce qui évite tout sentiment de lassitude et garantit la cohérence de l'ensemble. Les morceaux indispensables des vingt-cinq dernières années cohabitent harmonieusement et alors que l'on pourrait se laisser bercer par la routine il suffit par exemple d'une interprétation habitée de She and her Darkness pour capter à nouveau toute l'attention d'une salle qui retient son souffle. Dans le fond de la salle, heureux, un couple plus tout jeune s'enlace. Trop mignon. Peut-être que c'était "leur chanson". Dans la fosse, les gens dansent au son de l'hymne mélancolique Decipher Me. Sur scène, Adrian Hates bichonne son auditoire et le gâte avec un concert de plus d'une heure et demi, théâtral, intense et poétique où le sinistre se mélange aux éclaircies oniriques et l'introspection à l'envie de remuer son popotin sur toutes ces plaintes élégiaques. Pourvu que la prochaine ne soit pas dans quinze ans.