Doodseskader + Verset Zero @ Point Éphémère - Paris (75) - 10 juillet 2024

Live Report | Doodseskader + Verset Zero @ Point Éphémère - Paris (75) - 10 juillet 2024

Pierre Sopor 15 juillet 2024

Le duo belge Doodseskader n'a pas encore donné énormément de concerts en France mais gagne petit à petit une réputation (amplement méritée) de truc à connaître absolument avec son mélange rageur d'indus, de rap, de grunge, de hardcore, de sludge et d'à peu près tout ce qui peut exprimer avec fracas une émotion tempétueuse, ce que nous confirmait leur récent et impressionnant second album Year Two (chronique). Malgré une date placée à une période plutôt calme (les parisiens sont déjà partis conquérir les plages du monde ou se remettent entre deux festivals), le Point Éphémère se remplit tranquillement alors que la soirée s'apprête à démarrer en compagnie de Verset Zero, autre secret bien gardé qui gagne à être découvert.

Verset Zero

Un autel, des fleurs, des bougies, un calice (on espère pour lui que ce n'est pas le vin rouge du Point Éphémère dedans, pouah, quel enfer ce truc!), des croix de fer sur des banderoles : le décor, à la fois mystique et totalitaire, donne la couleur. On n'est pas là pour rigoler. Si l'on a déjà exprimé à plusieurs reprises tout le bien que l'on pense de la musique de Verset Zero, on est de nouveau saisi par sa puissance et son efficacité. Caché par un voile noir, l'artiste hurle, vocifère et menace comme un possédé. Son mélange d'indus aux boucles répétitives hypnotiques et de metal extrême à la noirceur opaque évoquent un rite religieux, un sortilège obscur ou une mise en transe onirique, théâtre cauchemardesque où se succèdent les ombres des grandes figures du black metal mais aussi d'autres artistes adeptes de machines très lourdes (Author & Punisher, Trepaneringsritualen, Mütterlein...).

C'est là la très grande force de Verset Zero : réussir un mélange des genres aussi organique et viscéral qui confère à la musique son côté monolithique, monumental, mais aussi toute sa singularité. Peut-être que les métalleux vont trouver ça trop synthétique. Les amateurs d'indus trouveront probablement ça trop metal. Tant pis pour eux, tant mieux pour ceux qui adhèrent à ce numéro d'équilibriste unique que Verset Zero semble bien parti pour enrichir encore et toujours : la fin du set enclenchée par Les Horizons Mélancoliques, composée avec Perturbator et tout de suite plus respirable (on n'oserait pas dire dansante), puis de nouveaux titres aux rythmiques trap viennent nous confirmer que Verset Zero ne compte pas s'enfermer servilement dans un genre, et que plutôt que de devenir l'esclave d'une étiquette trop étriquée, il compte bien continuer de dévorer avec hargne toute la musique qu'il aime. Voilà un projet qui n'a pas fini de nous fasciner et la performance, théâtrale et incarnée, était à nouveau saisissante.

DOODSESKADER

Deux types, une basse, une batterie. Le dispositif a fait ses preuves et mettre les futs autant en avant est souvent annonciateur de gros son qui tabasse. Les rythmiques de Doodseskader ne font peut-être pas dans la technicité virtuose mais sont le cœur sauvage qui bat avec fureur de ce projet, imposant leurs angoisses et leurs colères. Sigfried Burroughs, du groupe noise-rock The K, a pourtant l'air d'un mec équilibré mais il cogne comme un forcené. A ses côtés, Tim de Gieter, également bassiste chez Amenra, laisse exploser toutes les émotions négatives de la musique. Il grimace, fronce les sourcils, se trimballe sur scène, prêt à en découdre, toujours aussi intense. S'il assure le spectacle, on peut également compter sur l'écran derrière le duo qui complète le dispositif et projette des extraits de texte ou d'intrigantes images.

Là encore, on a droit à une musique affranchie de règles et de limitations : la créativité peut s’exprimer, s'égarer, éclater et jaillir au détour de chaque hurlement, de chaque ligne de chant apaisé, de chaque mot scandé entre deux impacts sur la batterie. Peu importe les genres et les codes, Doodseskader, c'est fort. C'est le genre de tempête qui t'attrape par les tripes et t'éclate sur le trottoir pour mieux te piétiner ensuite. C'est radical et bizarre mais aussi immédiatement fédérateur grâce à son côté universel, aussi bien dans les émotions qui nous sont crachées au visage que dans ces rythmiques sismiques. La cerise sur le gâteau, ce sont les discours et remerciements chaleureux et nombreux de Tim de Gieter, touchant de simplicité et de sincérité dans un rôle plus bavard et proche du public qu'avec Amenra. On est là grâce à eux, ils sont là grâce à nous, peu importe, ce qui compte, c'est qu'on était tous là au même moment parce que si on s'était loupés, on aurait eu l'air malin. La soirée, placée sous le signe du brassage cathartique d'influences, était aussi furieuse que magnifique : voilà deux projets qui ruent dans les idées préconçues, qui dégagent une véritable envie de créer sans obéir, sans refaire ce qui a été fait, et le font avec une authenticité viscérale. On en veut encore !