Trois ans et demi : c'est le temps qui s'est écoulé entre l'annonce de la venue d'Eisbrecher à Paris et la tenue du concert. Après tous ces reports successifs, encore une fois, nous devons saluer la ténacité de Garmonbozia, l'organisateur, mais aussi la patience des artistes... et du public, venu en masse remplir la Machine du Moulin Rouge. Une fois n'est pas coutume, le spectacle commençait un peu avant l'heure prévue, avant même que Maerzfeld ne monte sur scène pour assurer la première partie. Il ne fallait pas arriver en retard, au risque de rater le début du Alex Wesselsky Show. Le charismatique chanteur d'Eisbrecher est venu saluer son public avant le début des concerts, dans son français toujours aussi impeccable (soyons chauvins : il y a fort à parier que les prestations d'Eisbrecher ont en France une saveur supplémentaire qu'on ne trouvera pas dans leurs pays d'origine) et avec humour, sortant des poches de son sweat-shirt des fruits qu'il balançait dans le public avec nonchalance. Il peut se le permettre, lui : fort de sa réputation, il n'a pas à craindre qu'on les lui renvoie plus tard.
MAERZFELD
L'Allemagne est décidément un pays à part musicalement. Il est toujours fascinant pour nous, en France, de constater la popularité des musiques rock, metal et gothiques chez eux au point d'avoir une scène particulièrement fournie en groupes dont le son très calibré est tout à fait adapté au succès auprès d'un large public. La présence de Lord of the Lost à l'Eurovision cette année en était une nouvelle illustration et il en résulte un foisonnement d'héritiers de Oomph! et Rammstein tous très pros et efficaces (et interchangeables, pourraient ajouter certains). En 2017, Eisbrecher était accompagné d'Unzucht. Cette fois, ce sera Maerzfeld. La recette est plus ou moins la même : un mélange d'influences électroniques, industrielles et metal pour un résultat accrocheur, pensé pour faire remuer le public. D'ailleurs, Maerzfeld a son lot d'adeptes présents, tant mieux pour eux.
Il est difficile de ne pas les trouver sympathiques. Ils ont le sens du show, c'est carré, convivial, bien éclairé, énergique. On se souvient que Maerzfeld a aussi un projet parallèle, Stahlzeit, cover-band de Rammstein (l'allure générale du chanteur Heli Reißenweber est là pour nous le rappeler, il pourrait être le cousin de Till Lindemann). Pour le reste, on connaît la popote : quelques riffs rentre-dedans et surtout des refrains entêtants pour faire taper l'audience dans ses mains. Un autre truc formidable avec cette scène NDH, finalement, c'est que ça n'a pas besoin d'être génial, ça ne cherche d'ailleurs certainement pas à l'être. De tous ces groupes, bien peu ont réinventé la roue, ce n'est pas non plus le cas de Maerzfeld. En revanche, si on ne peut pas parler de génie ou d'originalité, il faut savoir reconnaître et apprécier ce travail d'artisan consciencieux, compétent, et l'espèce d'humilité qui s'en dégage. Maerzfeld assume son héritage, ne se prend pas pour plus important qu'il ne l'est et offre avec modestie et enthousiasme à son public ce qu'il est venu chercher : des formules immédiates faciles à assimiler pour se mettre en jambe avant la tête d'affiche.
EISBRECHER
On pourrait commencer à parler d'Eisbrecher en disant à peu près la même chose : des références criantes, un talent pour l'efficacité, une performance scénique au poil, la Deutsche Quatlität, quoi. L'imagerie, on la connaît aussi et respecte les codes de la Neue Deutsche Härte, qui a décidément Laibach et Die Krupps dans le sang : des bonshommes costauds, sourcils froncés, vont faire la guerre ou taper sur de la fonte à l'usine, avec leurs gros marteaux ou leurs gros bateaux... un univers visuel qui a fini, pour certains, par être associé au metal industriel en général. Pourtant, ce n'est pas pour rien si Eisbrecher se distingue particulièrement dans le genre. Le brise-glace a un atout de taille dans sa manche : son chanteur, Wesselsky, est peut-être la meilleure raison de venir voir Eisbrecher.
Le frontman déborde d'énergie et s'adresse très souvent au public. Il amuse la galerie, mais s'assure ainsi que tout le monde passe un moment agréable : il prend la pose pour les photos, plaisante sur Molière et la guillotine pour montrer quel expert de la France il est et joue à fond la carte de la complicité, de la proximité. Un show d'Eisbrecher est presque un one-man show. Pour le reste, on apprécie tout particulièrement les moments où le groupe lâche les chevaux et assume pleinement d'aller dans la lourdeur débridée, le martial, le gras. Frommer Mann, FAKK, Verrückt, Was Ist Hier Los : là, ça envoie et on s'amuse ! Volle Kraft Voraus en intro, avec son ton conquérant et aventureux, fonctionne bien dans la pénombre et la brume et on apprécie le clin d’œil de la double reprise de Falco avec Rock Me Amadeus (que Wesselsky chantait déjà avec Megaherz) et Out of the Dark.
Au final, peu importe si Eisbrecher est souvent un peu sommairement résumé à un ersatz de Rammstein, peu importe aussi si les passages qui ne débordent pas de testostérone basse du front ne sont pas aussi jouissifs. Ce qui importe c'est qu'avec son énergie folle et sa générosité, Eisbrecher reste de très loin le groupe le plus cool, le plus réjouissant et le plus fun d'une scène qui a parfois un peu trop tendance à se regarder le nombril. Là, on n'est pas là pour poser (ou bien on le fait avec humour) ni pour prétendre être ce que l'on n'est pas. Eisbrecher, c'est de l'entertainment de haut niveau, et c'est finalement dans ce savoir-faire, dans ce soucis d'offrir à son public le meilleur moment possible, que le groupe trouve ses lettres de noblesse.