Empathy Test a dix ans. Le duo formé par Isaac Howlett et Adam Relf a connu une ascension fulgurante grâce à l'élégance de sa pop synthétique sombre pleine de vague à l'âme et, il faut bien le dire, la voix exceptionnelle de son chanteur. Pourtant, après un départ tonitruant, ces dix années ont aussi leur lot d'ombres : entre une pandémie qui a paralysé le monde deux ans et des mésententes artistiques qui empêchent les deux amis d'enfance de sortir de nouvelles choses depuis Monsters, Empathy Test semble chercher un second souffle... qui viendra peut-être des débuts en solo d'Isaac Howlett. En attendant avec impatience de voir ce que réserve l'avenir (et que des organisateurs fassent revenir le groupe en France !), nous avons été à Londres assister à la dernière date d'une tournée anniversaire qui, à l'image de la musique du groupe, dégageait un parfum doux amer, entre envie de célébrer et une certaine mélancolie due à ce contexte particulier.
Lucy Dreams
La soirée commence dans les tonnes de fumée et la pénombre pour découvrir Lucy Dreams. Le duo originaire de Vienne a travaillé sa mise en scène : costumes trop grands, couleurs pastels, et une boule lumineuse créent une atmosphère onirique, quelque chose de pastel et rassurant mais aussi légèrement décalé. On se croirait emporté dans un rêve fait par Michel Gondry, avec ces deux bonshommes couverts de maquillage et de paillettes qui jouent leur dreampop à la fois introspective et futuriste, comme deux extra-terrestres venus se perdre sur Terre répandre leur bonne parole. L'ambiance feutré et ce chant haut perché n'empêchent pas le groove de contaminer un public réceptif (Silver Lines, ça reste en tête) alors que le groupe présente aussi bien ses singles les plus récents que son premier album, paru en 2022... mais aussi une chouette reprise de Do I Wanna Know? des Arctic Monkeys en fin de set. Leur énergie est communicative et l'association de leur extravagance et l'espèce de retenue timide que dégage la musique a cette touche rafraîchissante, cette personnalité touchante qui fait mouche.
Black Nail Cabaret
Quand le duo hongrois Black Nail Cabaret s'installe sur scène, l'atmosphère s'assombrit soudainement. Un voile funèbre dissimule le visage de la chanteuse Emese Árvai-Illé, grande prêtresse des ténèbres le temps d'un show où les titres du récent Chrysanthemum (dont nous vous disions beaucoup de bien par ici) sont mis en valeur. Entre l'étrangeté fantomatique de My Home is Empty, l'entêtante Darkness is a Friend et la mélancolie de Roadtrip, il y avait de quoi nuancer l'intensité de titres plus rentre-dedans comme No Gold. Leur "pop noire" mélange une certaine froideur obscure dont la texture n'est pas sans rappeler les sophistications synthétiques théâtrales de Die Form mais aussi la chaleur grave des incantations de Siouxsie Sioux : on passe du glacial au cathartique sans ne jamais perdre ce sens de la séduction, de la formule musicale qui accroche l'oreille mais ne s'interdit aucune singularité. Alors qu'en fond de scène Krisztián Árvai reste discret, Emese assure le show avec sa présence solennelle et ses danses énergiques face à un public d'initiés déjà familier. Ils en ont de la chance, là-bas, hein ? Parce que de ce côté-ci de la Manche, aucun organisateur n'a encore fait venir Black Nail Cabaret et, après plus de quinze ans de carrière et des performances aussi puissantes, il serait grand temps !
Empathy Test
Pour parodier le slogan désormais célèbre "les vrais goths sont dégoûtés" que le groupe imprime sur ses tee-shirts, "les fans d'Empathy Test sont aux anges". Avec un show généreux de presque deux heures, on a eu droit à un balayage plus que complet d'une discographie qui compte trois albums. Il y a fort à parier qu'Empathy Test doit une partie de son succès aux performances live de son chanteur Isaac Howlett : il a non seulement une des voix les plus frappantes et singulières de la scène synthpop / darkwave / ce que vous voulez, mais il y ajoute une présence scénique énergique et chaleureuse. Sa personnalité irradie le show, apportant un contrepoint humoristique à la mélancolie de la musique lors de ses échanges fréquents avec le public, comme lors de cet unique loupé, sur Vampire Town, dont il s'amuse avant de recommencer le morceau. Sa présence délicate attire forcément la compassion et la sympathie, il y a quelque chose de presque enfantin chez lui, comme quand il dédie un titre à sa maman, évidemment présente dans la salle.
"J'ai cru qu'on allait m'arrêter", lâche-t-il amusé alors que l'heure tourne et qu'un type monte sur scène lui rappeler que la salle a un couvre-feu strict à 22h. Empathy Test dépasse néanmoins assez largement l'heure indiquée : personne n'avait envie d'interrompre cette belle fête face à une audience qui connaît les paroles et peut s'égosiller, de l'intro sur la très Placebo-esque Monsters à Losing Touch, en passant par Demons, Holding On, Empty Handed, Stop et tant d'autres hits, tous indispensables et précieux. Cerise sur le gâteau, la performance s'achève sur House of Cards, le premier titre solo de Howlett qui nous rassure sur un point : si Adam Relf, absent mais évoqué le temps d'un hommage, ne souhaite pas poursuivre l'aventure, la continuité est assurée avec un line-up live complété par Nadine Green aux claviers et David Leisser à la batterie.
Néanmoins, cela donne à la soirée une teinte étrange alors que ce qui aurait dû être une célébration pourrait presque aussi avoir des airs de tournée d'adieu qui ne dit pas son nom. On ignore de quoi sera fait l'avenir d'Empathy Test. L'énergie qu'y met Howlett, à la fois visage, voix mais aussi désormais âme du projet a beau être avant tout festive, il est difficile de ne pas y trouver une forme de désespoir qui fait écho avec la musique jouée : il y a de quoi danser, il y a de quoi pleurer et c'est dans cet équilibre élégant que cette soirée si singulière trouve sa beauté, alors que la sueur se mêle aux larmes et qu'arrive l'heure des adieux. Si le projet devait en rester là, il faudra alors faire son deuil avant de retrouver ce chanteur d'exception mener sa barque seul et ailleurs.