Les venues de Filter de ce côté-ci de l'Atlantique ne sont pas fréquentes et les apparitions de Richard Patrick sur les scènes françaises encore moins. Sur les vingt dernières années, ses passages se comptent sur les doigts de la main : il était donc hors de question de rater le bonhomme qui posait ses valises à Paris le temps d'une soirée organisée par Garmonbozia qui sentait bon le rock énervé mais aussi la nostalgie des 90's.
Belmondo
Pourtant, malgré un nom de groupe qui évoque le cinoche à papa, le groupe en première partie ne fleure pas franchement la naphtaline : si l'on additionne l'age des quatre membres de Belmondo, on obtient peut-être celui de Jean-Paul qui se serait probablement beaucoup amusé de les voir sur scène, lui qui aimait les acrobaties fofolles. Belmondo ne manque pas d'énergie : ça se secoue, ça grimace, ça communique avec humour, bref, très à l'aise, les petits font le show.
Les morceaux courts s'enchaînent à toute allure alors que leur étiquette "grunge goth" prend son sens : il y a l'énergie viscérale de Nirvana, Hole ou Queen Adreena, ce côté destroy un peu punk qui sent la bière et la trousses-banane LC Waïkiki (finalement, malgré ses touches modernes, la nostalgie 90's existe aussi chez Belmondo). Aux explosions rageuses et à l'efficacité s'ajoutent aussi un expressionnisme décalé et tourmenté très british, voire une certaine pesanteur qui s'incruste de temps en temps, des fantômes batcave, industriels et cabaret hantent aussi bien les rythmiques que les mimiques de Carmen Mellino. Melting-pot Franco-suisso-britannique, Belmondo transpire la bonne énergie et nous laisse avec quelques trucs très accrocheurs en tête (RTD) et quelques formules d'un français parfait ("on va tabasser la mort", si, si, ça se dit très bien, on le fait souvent, nous). Très cool découverte.
Filter
Si Petit Bain est blindé depuis le début de la soirée, c'est pour voir le boss. On a beau croiser des gens de tout âge dans le public, on devine quand même que Filter fait bien d'attaquer avec You Walk Away : rythmique accrocheuse, inflexions à la Layne Staley sur le refrain... un titre percutant et vieux de vingt ans, ça marche très bien pour se mettre le public en poche rapidement.
Pourtant, une impression bizarre se dégage des premiers instants du concert. On patine un peu : l'absence de lumière sur les visages des musiciens (tant pis pour les photos, personne ne nous dira "nice shot !", mince... à moins d'utiliser des filtres ?), le prompteur de Richard Patrick et ses lunettes noires (peut-être une coquetterie pudique due au prompteur, justement) créent comme une barrière, une distance qui retarde les premiers incendies dans une fosse qui ne demande pourtant qu'à se remuer. C'est un peu dommage car les morceaux du récent The Algorithm, le meilleur album du groupe depuis plus de vingt ans, méritaient peut-être à la fois plus de conviction et un meilleur accueil. Si la star de la soirée est évidemment le chanteur, à la voix toujours si atypique et irréprochable, on est aussi soufflés par son jeune batteur qui donne aux titres la puissance et la hargne qui font un peu défaut en début de set.
Petit à petit, ça prend. On est sur un bateau, il en faut peu pour que la folie se répande. On n'y voit toujours pas grand chose, mais Richard Patrick ne se laisse pas abattre et va chercher son public pour le tirer de sa torpeur. "Si vous voulez lancer un moshpit, c'est le moment" lance-t-il avant d'envoyer l'énervée The Take vers la moitié du concert. Ouais, il était temps. Ce grand bonhomme multiplie les échanges bienveillants, véhiculant son lot de messages positifs : "on est tous amis", "soyez bons les uns avec les autres", "vous êtes fantastiques", "fuck Trump", ce genre de choses qui attirent forcément la sympathie.
Quand la première étincelle jaillit, c'est le brasier. Les slams s'enchaînent, le public braille, on sue à grosses gouttes et Richard Patrick finit d'ailleurs par laisser tomber prompteur et lunettes, créant tout de suite une nouvelle connexion avec ses fans. Il filme son public à plusieurs reprises, s'accroupit pour chercher le contact et manifeste à plusieurs reprises son plaisir de jouer dans une petite salle comme ça. Thoughts and Prayers, American Cliché, Welcome to the Fold : peu importe l'époque, Filter nous remue avec son mélange de rock industriel et de grunge viscéral, comme un mélange entre Soundgarden, Nine Inch Nails et les débuts de la vague neo-metal (bon, au risque de se mettre du monde à dos, on se fait toujours un peu chier pendant Take A Picture la bien nommée : c'est le moment pour souffler et prendre quelques photos, le succès monumental de ce morceau reste une énigme !).
Ce concert proposait un vrai crescendo : on a commencé avec un début un peu froid pour finir avec l'incontournable Hey Man, Nice Shot, c'est dire l’ascendeur émotionnel. Le temps d'un set généreux, on a connu ce moment de flottement bizarre aussi bien que le délire d'une foule retournée. Si les morceaux y sont pour quelque chose, la personnalité du frontman, pas avare de sa personne, y est pour beaucoup. Conscients d'avoir eu beaucoup de chance de voir Filter dans des conditions aussi intimistes, le public ressort heureux : la fibre nostalgique a été satisfaite, mais on a surtout eu droit à un super concert. Allez, la prochaine fois, ce sera la folie dès le début !