Il y a des associations qui tombent sous le sens : Hangman's Chair et DOOL sur la même affiche, c'est à la fois un rêve et une évidence. Les deux groupes maîtrisent comme personne le clair-obscur, le retournement de tripes sans esbroufe technique, le gros rock mélancolique qui cogne directement au plus profond de l'âme. On vous racontait d'ailleurs comment, lors du dernier passage de DOOL à Paris en 2022, les uns assistaient au concert des autres (souvenez-vous).
DOOL
La première chose que l'on remarque, c'est comment DOOL semble avoir gagné en popularité depuis la tournée Summerland. Entre le succès de leur album The Shape of Fluidity et plusieurs passages en festival l'été dernier, les néerlandais ont un bon nombre d'adeptes bouillants. La seconde chose qui nous frappe, comme d'habitude, c'est l'énergie qu'y met le groupe : le bassiste J.B. Van Der Wal, trempé dès les premières secondes, frappe ses cordes avec une rage de possédé et le charisme de Raven Van Dorst irradie, sa voix puissante résonnant dans la coquille du Trabendo. Il y a de quoi être intimidé face à ses regards autoritaires, sa hargne... aussitôt désamorcés par un sourire chaleureux et plusieurs remerciements.
Si avec The Shape of Fluidity, joué presque en intégralité ce soir, DOOL semble avoir trouvé un nouveau public, on ne peut s'empêcher de trouver leur approche un brin plus "complexe", avec les influences post-rock et progressives marquées, moins immédiate. Si l'album est peut-être leur plus abouti et le plus homogène et reste une œuvre passionnante, il ne provoque pas forcément la même addiction monomaniaque et le concert, habité et intense, n'a pas la même saveur crépusculaire et romantique que lors de la sublime tournée Summerland. On est tout de même embarqués par la poésie tempétueuse du morceau-titre ou les ombres rampantes de The Hand of Creation et House of a Thousand Dreams.
Dans ses vagabondages, DOOL mute, évolue, grandit, essaye mais, quoi qu'il arrive, ne stagne pas et c'est tant mieux. On est tout de même ravis de retrouver les refrains rageurs de Wolf Moon et surtout d'entendre à nouveau The Alpha, de retour dans la setlist avec sa menace grondante contenue et ses contrastes lumière / obscurité vertigineux. Comme la tradition l'exige, après sa magnifique reprise tout en lourdeur de Love Like Blood de Killing Joke, DOOL termine sur la chanson avec laquelle tout a commencé, Oweynagat et son crescendo viscéral lors duquel les musiciens suent leurs dernières gouttes. Encore une fois, DOOL s'est livré sans retenu et a mis toute son âme dans chaque instant du set. Ce qui était encore un très beau secret bien gardé en France semble enfin avoir trouvé son public. Il était temps : depuis le temps qu'on vous dit quel incroyable projet c'est ! Qu'est ce qu'on pourrait espérer de plus ? Eh bien, que cet instant ne s'arrête jamais et que le groupe continue de parcourir sa discographie, quitte à nous jouer en boucle Dust & Shadow et Vantablack qui nous manquent cruellement, mais c'est aussi ça la beauté de la vie : il faut faire le deuil de toutes ces choses du passé... Jusqu'à de prochaines retrouvailles, peut-être ?
HANGMAN'S CHAIR
Plus on voit Hangman's Chair, plus on devient obsédé par Hangman's Chair. C'est la règle. Les patrons du spleen déchirant et de la pesanteur asphyxiante sont irrésistibles. Leur musique ne fait pas dans l'étalage de compétences techniques ni dans l'excès de fioriture : il n'y a pas 150 accords, il n'y a pas des de démonstrations de percussions endiablées. Chaque coup sur la batterie, chaque lamentations arrachées aux cordes semble être extirpé avec toute la rage possible, comme si les musiciens allaient chercher le moindre son au plus profond d'eux-mêmes pour nous le balancer à la gueule : incarné, cathartique, puissant comme un boulet de démolition.
Ce soir, le groupe ne lambine pas et enchaîne ses plus célèbres titres dans une première partie de concert, succession d'hymnes imparables au désespoir, de Cold & Distant à ce hit absolu de la tristesse qu'est Naive, avec bien sûr entre temps les nappes brumeuses d'An Ode to Breakdown ou la sentence Dripping Low. Leur mélange si unique de grunge poisseux à la Alice in Chains, de doom et de cold wave, avec une réverb monumentale pleine de spectres et de parpaings de béton, est à se damner.
Mais Hangman's Chair, ce sont aussi quatre gaillards qui, bien loin de paraître abattus sur scène, assurent le spectacle. Si comme d'habitude Cédric reste sur un côté de la scène, une position inhabituelle pour un chanteur, on le constate aussi plus communicatif, moins effacé, comme s'il se cachait moins. Il laisse néanmoins la lumière à ses collègues Julien et Clément, duo guitare basse aussi expressif qu'attachant. Ces deux-là, qui alternent entre nonchalance, hargne de guerrier et un brin de frime, savent mettre l'ambiance comme personne. Complices avec leur public, ils échangent alors que leurs gestuelles hurlent toute la sincérité avec laquelle ils incarnent dans leur corps leur musique. Et puis derrière ce trio, il y a Mehdi qui mène tout le monde à la baguette : chez Hangman's Chair, la batterie est centrale, le cœur battant dont les coups viennent nous cogner directement dans l'estomac.
Au fur et à mesure que le set avance, les nouveautés arrivent. Le groupe en offre trois : The Worst is Yet to Come, plus entraînante que d'habitude, surprend après un interlude electro / indus, Kowloon Lights est jouée en avant-dernier et sonne comme une nouvelle promesse des choses à venir... mais surtout LE moment que l'on attendait fébrilement, quand Raven Van Dorst revient sur scène le temps de 2 A.M. Thoughts, collaboration rêvée d'une lourdeur monumentale. On en viendrait à rêver un side-project de tout ce beau monde ensemble, ou même un EP (mais bon, on essaye déjà de continuer à espérer d'entendre à nouveau un jour l'incroyable split entre Hangman's Chair et Regarde les Hommes Tomber)... Une des plus belles affiches de l'année ? Sans aucun doute. On en ressort à la fois ratatiné et exalté, des étoiles dans les yeux et des trous noirs dans l'estomac. Trop bien.