Health + GosT + Zetra @ La Machine du Moulin Rouge - Paris (75) - 22 octobre 2024

Live Report | Health + GosT + Zetra @ La Machine du Moulin Rouge - Paris (75) - 22 octobre 2024

Pierre Sopor 24 octobre 2024

La dernière fois que HEALTH jouait en tête d'affiche à Paris, c'était en 2019 au Badaboum, juste avant que leur carrière ne décolle pour de bon. En cinq ans, il s'en est passé des choses pour le groupe californien fondé en 2005 : au fil des années, cet obscur projet noise / experimental est devenu un titan de la scène industrielle avec ses tubes aux influences pop et shoegaze, bien loin des bizarreries bruitistes des débuts. Surtout, HEALTH a été malin et a multiplié les collaborations, entre remixes et featurings, mais a également joué en première partie de groupes plus connus. Le trio est partout : dans des jeux vidéos (Max Payne 3, Cyberpunk 2077), aux côtés de mastodontes comme Nine Inch Nails, Lamb of God ou Ghostemane mais aussi de projets plus confidentiels, et également en festival (on mesurait alors déjà leur explosion quand, du Hellfest en après-midi devant un public épars en 2022 on passait à un show face à une foule bien plus dense en soirée au Motocultor 2023). Leur retour se fait à la Machine du Moulin Rouge sous l’œil de l'organisateur Veryshow : depuis le Badaboum, les dimensions ont décuplé mais ça n'empêche pas la soirée d'être sold-out

ZETRA

Pour se mettre en jambe, Zetra semble un choix finalement logique. Le duo britannique a émergé des ténèbres tout récemment, son premier album éponyme datant d'un mois environ (chronique). Avec un look empruntant autant à Kiss qu'au metal extrême, Zetra brouille les pistes et joue avec une image très sombre et maléfique... pour proposer une musique douce et mélancolique. Leur pop gothique aux nuances shoegaze et synthpop rassure en apparence pour mieux empoisonner son auditoire.

Sur scène, on apprécie les petites estrades sur lesquels se tiennent les deux musiciens, accessoire simple mais qui leur donne tout de suite une présence plus solennelle. On apprécie également comment le tumulte s'incruste dans Sacrifice, joué en ouverture, pour remuer les nappes introspectives et oniriques et leur apporter plus de corps, plus de pesanteur.

Si Zetra réussit facilement à occuper l'espace tout en restant statique et impose son univers grâce aux personnages que les musiciens incarnent et que certains titres se détachent tout particulièrement (Shatter the Mountain, notamment), on doit bien admettre que comme sur album, le set manque peut-être de vraies ruptures de ton de vraie variété. Cela viendra : le concept musical est singulier, l'univers est fort et Zetra a su entretenir un certain mystère qui leur donne une aura spéciale.

GOST

GosT a déjà fait ses preuves depuis un moment et les turbulences du Texan James Lollar blasphèment joyeusement depuis déjà plus de dix ans. Après une petite crise d'identité goth / coldwave avec l'album Valediction, GosT est depuis revenu à son approche chaotique, mélange de darksynth et de black metal sur fond de rituel apocalyptique.

Si l'on salue la démarche, cette volonté de vraiment y aller à fond dans la violence, de rechercher à la fois la sauvagerie et les atmosphères hantées du black metal pour les incorporer à de la musique électronique, on peut aussi bien être agacé par GosT pour exactement les mêmes raisons et ce chaos peut parfois sembler brouillon. On regrette également de ne pas voir Lollar chanter, lui qui s'y risquait à petites doses ces dernières années, il faudra se contenter de quelques voix sur bande.

Nous laisserons là ce débat : le public semble conquis et apprécie ce changement drastique d'ambiance qui lui permet de se défouler après Zetra. La frénésie diabolique des titres du récent Prophecy (chronique), déments, s'empare de l'audience et nous secoue dans tous les sens à toute vitesse. On se demande tout de même si l'on peut dire qu'on a "vu" GosT en concert : des tonnes de fumée et une pénombre quasi totale à peine troublée par quelques stroboscopes et faibles lueurs rouges dissimulent un artiste qui se cachait déjà sous une capuche et un masque. Le chaos et l'ambiance infernale, jusqu'au visuel.

HEALTH

Comme un rituel, l'arrivée de HEALTH sur scène est précédée de la chanson d'Evangelion, A Cruel Angel's Thesis, John Famiglietti (basse, bidouilles électroniques) imposant ses facéties geek d'emblée. Son serre-tête à oreille balancé dans le public, le concert peut commencer pour de bon. Identity, God Botherer, Crack Metal : les débuts sont intenses. 

HEALTH sur scène, ce sont des personnages que le groupe s'amuse à incarner au quotidien sur les réseaux sociaux. Au chant, Jake Duzsik est la voix de l'affliction, ses lamentations mélancoliques restant dans le même ton doux-amer tout le set. Johnny, lui, fait tournoyer sa longue chevelure pour ventiler la salle, étouffante. Derrière les fûts, Ben Miller cogne et sa mimique, dans l'effort, ressemble à une espèce de sourire dément qui colle à sa réputation de "mec sympa un peu bourrin du groupe".

HEALTH est aussi fun que déprimant. Aussi violent que doux. Les influences pop et shoegaze et les complaintes introspectives gagnent leur relief dans des riffs très méchants et des gros beats qui cognent (Hateful, un carton assuré, le final de Demigods ou Feel Nothing, par exemple, sont irrésistibles). Du spleen, du bordel, du fun : entre les références geeks et le gros son, HEALTH est sinistre, défaitiste, abattu. Une attitude aussi sincère que ludique, à la fois premier et second degré, mais surtout fédératrice et inclusive : si ça ne va pas, vous savez qu'ici vous serez quand même bienvenu.e, peu importe que vous portiez un cosplay bigarré ou que ça ne soit pas forcément votre meilleur soir ! Major Crimes évoque le souvenir ensoleillé des rues de Night City avant que Body/Prison ne transforme la Machine en dancefloor cyberpunk ou que les fans de Deftones ne frissonnent avec une reprise de Be Quiet and Drive.

"La prochaine chanson sera notre dernière" prévient Duzsik. "Je sais que "encore" est un mot français, mais on ne va pas faire ce truc pénible où on fait semblant de partir pour poireauter un peu backstage et revenir" : en jouant le rabat-joie de service, c'est en fait lui le plus rigolo. Alors que DSM-V vient cogner sur les murs de la Machine, on regrette peut-être juste que HEALTH n'ait pas profité d'être à Paris pour essayer de faire venir SIERRA, que ce soit pour Hateful ou jouer Holding on to Nothing : les réalités logistiques sont ce qu'elles sont, et c'est le lot des artistes dont le travail en studio est rempli de collaborations diverses !

La prochaine fois, il faudra (encore) une plus grande salle. Extension après extension, HEALTH gagne des niveaux et à force d'étoffer son arbre de talent, le trio californien est en train de devenir les boss d'un genre qu'ils ont dynamité, mêlant l'intime à la grosse fiesta, l'extraverti aux tourments personnels, l'accrocheur aux expériences sonores, la richesse et l'inventivité au plaisir primitif, pure et simple de suer pendant que la musique fait boum-boum, et d'être heureux d'être une personne un peu bizarre qui fait la gueule là, dans le noir, avec d'autres gens un peu bizarres.